CLAIR-OBSCUR
Critique du film
New York, 1929. Derrière son chapeau, Irene cache une partie de son visage, seul moyen pour elle de se déplacer tranquillement en ville et dans les magasins. Si elle peut le faire c’est que, bien qu’Afro-Américaine, sa peau est claire. Alors qu’elle s’installe à la terrasse d’un café, elle croise le regard d’une femme blonde qu’elle tarde à reconnaître. Il s’agit d’une de ses amies d’enfance, Clare, Afro-Américaine à la peau claire également, qui se fait totalement passer pour blanche et vit comme telle. Cette rencontre va bousculer leurs vies respectives, Clare décidant de renouer les liens avec Irene et de passer de plus en plus de temps avec elle à Harlem.
Pour son premier film, Rebecca Hall adapte un roman de 1929 de Nella Larsen, qui fait écho à l’histoire de sa propre famille puisque son grand-père se faisait passer pour blanc. Le « Passing », titre original du roman et du film, est un terme de sociologie désignant la capacité d’une personne à être considérée comme appartenant à une autre groupe social que le sien. En abordant ce thème dans l’Amérique ségrégationniste des années 1920, Rebecca Hall dresse bien évidemment un portrait du racisme omniprésent à cette époque et de la condition sociale des populations afro-américaines, mais elle va plus loin en s’interrogant sur la façon dont chacun réagit à une telle exclusion sociale et va composer avec sa propre identité.
Si les premières scènes peuvent laisser sous-entendre un traitement faussement simpliste avec d’un côté Clare, l’Afro-Américaine « passée » du côté des blancs, et de l’autre Irene, celle qui n’a pas renié ses origines et qui s’investit auprès de sa communauté, on constate rapidement que les personnages sont plus complexes qu’il n’y paraît, animés de sentiments et de comportements ambigus et contradictoires, auxquels le titre français Clair-obscur fait habilement référence. Rebecca Hall ne donne aucune réponse préconçue et livre une réflexion intelligente sur les rapports sociaux et sur la façon dont ils affectent les êtres.
Esthétiquement le film est une très grande réussite, d’une maîtrise étonnante pour une première œuvre. Rebecca Hall a fait le choix du noir et blanc et du format 1.33 pour ancrer totalement Clair-obscur dans l’époque qu’il dépeint. La photographie d’Eduard Grau va également dans ce sens, rendant hommage au cinéma des années 1920/30. Il y a presque pour Rebecca Hall une volonté de faire une adaptation contemporaine du roman de Nella Larsen. Pour autant, la réalisatrice s’en détache par des nuances, en intégrant quelques éléments de modernité, notamment certains plans sur des détails, des instants suspendus dans le récit ou encore une belle utilisation des flous. La réalisatrice donne en fait à sa mise en scène des touches de douceur et de délicatesse qui sont en adéquation avec le jeu de ses actrices : Tessa Thompson et Ruth Negga (Loving) livrent des prestations tout en retenue mais où les apparences cachent en fait un mal-être dissimulé.
Œuvre réfléchie autant sur le fond que sur la forme, Clair-obscur surprend par sa maturité pour un premier film et place incontestablement Rebecca Hall, dont on connaissait déjà les talents d’actrice, parmi les cinéastes à suivre de très près.
Bande-annonce
10 novembre 2021 (Netflix) – De Rebecca Hall
avec Tessa Thompson, Ruth Negga et Andre Holland