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LA VÉRITÉ

Dominique Marceau est jugée pour meurtre. Son amant, Gilbert, a été retrouvée mort, assassiné. Après une tentative de suicide ratée, la voilà devant juges, jurés et procureur, forcée de se remémorer une relation intense et tragique.

Une femme en colère.

Souvent célébrés pour leurs twists et leurs retournements de situation, on oublie parfois aux détours des conversations les plus pressées de s’attarder sur la dimension sociale des films de Clouzot. Les violences, les meurtres sont une belle occasion de passer au peigne fin la société de l’époque – l’espacement dans le temps de la filmographie du réalisateur permet, qui plus est, d’en contempler différentes profondeurs, toujours à remettre dans le contexte de leur époque. En 1960, fine augure de la décennie à venir, Clouzot semble deviner déjà les confrontations générationnelles et les bourgeonnements de libertés individuelles. Ces derniers viennent de pair avec une profonde défiance de la convention. Celle de toutes les institutions, de tous les passéismes, de tous les pouvoirs et de toutes les traditions.

Pour accéder à La Vérité, le jugement. Un jugement partial mais pas partiel, où les figures de puissance de la société, mâles et blanches, font ce qu’elles savent faire de mieux : réaffirmer leur(s) diktats. Le twist, dans La Vérité, on s’en passera bien : le meurtre est là, commis. Au tribunal, avocat de la défense compris (Charles Vanel, bonheur d’humanisme et lueur d’espoir quasi-littérale), personne ne le remet jamais en question. Le vrai sujet est autre. Le vrai sujet est de savoir si Dominique, sublime Brigitte Bardot, est prête à se reconnaître coupable du seul véritable crime qu’elle a commis : avoir osé, l’espace d’un instant, remettre en question le bien-fondé des éthiques arbitraires de la société.

Qu’on ne s’y trompe pas un instant : La Vérité est dévoué entièrement à la cause de Dominique. Le choix du cadrage durant les séquences du tribunal suffisent à convaincre, la caméra constamment placée derrière les épaules de la jeune femme, le spectateur subissant de plein fouet les regards inquisiteurs d’une salle entière muée en procureur – comme si le regard glacial du préposé officiel, le glaçant Paul Meurisse, ne faisait pas déjà merveilleusement son office. Si cela n’est pas assez, Clouzot colle à la peau de Bardot. Bien au delà de la raison. Bien au delà du synopsis de son scénario. Le vrai crime, s’il doit y en avoir un, réside dans la réduction de La Vérité au romantisme de son crime passionnel.

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Étreinte tentaculaire

La justice arrache la biographie de Dominique comme on lui arrache le cœur. Voilà donc le portrait d’une jeune femme représentante de la jeunesse et d’un anti-conformisme naissant. La confrontation prend la forme d’une rencontre amoureuse. Alors qu’il semblait promis à Annie (Marie-José Nat), sœur de Dominique, Gilbert Tellier, jeune homme moyen, musicien moyen de classe moyenne dédié à un destin pas plus anormal que la médiane de ses qualificatifs tombe amoureux de cet interdit aux yeux de biche. Un homme qu’on présente comme innocent et “bien sous tous rapports”. En réalité, un homme médiocre, possessif, jaloux, infantile jusqu’à avoir des attitudes ridicules, passives, comme de celle du retour de la virée nocturne de Bardot, comme un gamin qui attend sa mère à la sortie de l’école. Le même gamin qui gribouille le nom de son amoureuse dans son cahier de texte, ici en l’occurrence, dans son agenda.

On pourrait écrire des lignes et des lignes sur le personnage et la performance de Sami Frey, évidemment excellent. D’autres l’ont fait, d’autres le font, d’autres le feront encore. Mais l’attrait, que dit-on, l’aimant Bardot et tout ce qu’elle représente est bien trop puissant pour faire de ce médiocre individu le centre d’une réflexion autour de La Vérité. On le répète, au delà du jugement pénal, le film transforme l’amour / haine impossible entre Dominique et Gilbert comme métaphore tragique entre la révolte de la jeunesse et le poids écrasant de la société. S’amusant d’abord des codes, cette jeunesse en reste malgré elle attachée, jusqu’à ce que le poids de la culpabilité et des promesses du confort viennent à rendre l’amour et la soumission. Frey, attaché par la moelle à son petit pouvoir, n’est rien d’autre qu’un musicien raté sans sa baguette de chef d’orchestre. Il n’aime jamais vraiment, se met plutôt au défi, ne confiant ses baisers qu’à la condition d’une révérence perverse qui doit lui être rendue, fuguant du lit charnel dès son affaire terminée, chuintant ses “je t’aime” sous le bruit porcin d’un orgasme nul et égoïste.

Durant un peu plus de deux heures, La Vérité est le témoin terrible de la pureté qui s’écroule. Le poids du destin, renforcé par le montage, pèse chaque seconde un peu plus, en même temps que les ramifications et les symbolismes se multiplient et étreignent Dominique. L’image de Clouzot se retrouve peut être le mieux dans le personnage de l’écrivain bohème. Celui qui propose, au détour d’une phrase anodine, qu’il faudrait que Dominique soit jugée par les jeunes pour être comprise. Celui qui insuffle, si doute il y avait, la vérité de sa morale. Celle rangée du côté de Bardot, celle de la vie et de la liberté, qui n’engendre que musique, danse et batifolages. Le cinéma nous apprend qu’il faut apparemment 12 hommes en colère pour remettre en cause la société. Clouzot nous prouve avec merveille, poésie et tragédie qu’il ne suffit que d’une seule femme pour faire de même.

La fiche

LA VÉRITÉ
Réalisé par Henri-Georges Clouzot
Avec Brigitte Bardot, Sami Frey, Charles Vanel
France – Drame
Sortie : 1960
Durée : 
124 min




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