LES BRAISES
Karine et Jimmy forment un couple uni, toujours très amoureux après vingt ans de vie commune et deux enfants. Elle travaille dans une usine ; lui, chauffeur routier, s’acharne à faire grandir sa petite entreprise. Quand surgit le mouvement des Gilets Jaunes, Karine est emportée par la force du collectif, la colère, l’espoir d’un changement. Mais à mesure que son engagement grandit, l’équilibre du couple vacille.
Critique du film
Les Braises de Thomas Kruithof s’impose comme un drame social d’une brûlante actualité. Après La Mécanique de l’ombre et Les Promesses, le cinéaste poursuit son exploration des rapports de pouvoir et des fractures démocratiques, en choisissant cette fois de plonger au cœur du mouvement des Gilets jaunes. Mais loin d’un simple récit militant ou d’un ancrage documentaire façon d’Un pays qui se tient sage, son film se concentre sur l’intimité d’une mère de famille, dont l’engagement bouleverse l’équilibre conjugal et familial.
À travers Karine, femme ordinaire trouvant dans la contestation un moyen de porter des revendications pacifiques — justice sociale, pouvoir d’achat, démocratie participative — Kruithof dépeint la manière dont un mouvement citoyen massif a été progressivement écrasé et délégitimé. Les scènes de répression rappellent combien le gouvernement macroniste de l’époque, avec Castaner à la manœuvre, avait choisi la fermeté et la brutalité face à une mobilisation populaire sans précédent. Le film ne verse toutefois jamais dans la démonstration, il préfère montrer les répercussions humaines, émotionnelles et professionnelles, sur un couple en tension, Karine et Jimmy (Arieh Worthalter), dont l’amour se fissure au rythme des affrontements sociaux.

La mise en scène, sobre et réaliste, se garde du sensationnalisme. Kruithof filme les manifestations comme des lieux de fraternité, où les citoyens découvrent la force d’une communauté mais aussi le prix de la répression. Si certains regretteront l’absence d’un climax narratif fort — le film s’achève dans une forme de suspension plutôt que sur une résolution dramatique — cette retenue semble pleinement assumée. Les Braises n’est pas un pamphlet mais un constat, celui d’une société fracturée où l’engagement militant se paie souvent du prix de l’isolement, voire de la rupture familiale. La dernière partie, intime et conjugale, pose une question universelle : jusqu’où aller pour défendre ses idéaux, quand le coût personnel devient insoutenable ?
Dans une rentrée marquée par les initiatives « Bloquons tout » et les contestations des nouveaux projets d’austérité budgétaire, le film résonne avec une acuité saisissante. Kruithof réussit à tenir ensemble la chronique politique et le drame familial, porté par une Virginie Efira sobre, lumineuse et déterminée, qui incarne cette figure de résistance ordinaire, profondément humaine, et donne au film sa force émotionnelle et politique.

Avec Les Braises, Thomas Kruithof ne signe pas tant un brûlot qu’il pose un regard lucide sur l’état de la démocratie française. Son film atteste du mépris gouvernemental à l’égard d’une mobilisation populaire ignorée, réprimée avec une violence policière et une pression judiciaire systématiques, au seul bénéfice d’un pouvoir accroché à lui-même sans jamais prendre la pleine mesure de la précarité vécue et de la légitimité des revendications.
Si le mouvement des Gilets jaunes a permis en 2019 d’arracher quelques concessions, la situation des Françaises et des Français n’a, depuis, guère évolué. Pire, la colère n’a cessé de croître face à des institutions et des partis politiques jugés déconnectés et incapables de représenter la population. C’est précisément cette fracture démocratique que Kruithof met en lumière : celle d’un peuple qui, faute de relais légitimes, s’organise par lui-même pour continuer à résister et, peut-être, espérer encore quelques changements salvateurs.
Bande-annonce
5 novembre 2025 – De Thomas Kruithof






