MILK TEETH
Fin des années 1980, Roumanie. Maria, une fillette de 10 ans originaire d’une ville de province dont la sœur aînée disparaît soudainement.
Critique du film
Après To the North, remarqué en 2022 dans la section Orizzonti, le cinéaste roumain Mihai Mincan revient à Venise avec Milk Teeth (Dinți de lapte). Coproduction européenne, le film s’appuie sur une expérience intime du réalisateur soit le souvenir d’une disparition, travaillé et transformé en récit initiatique. Plus qu’un drame personnel, c’est une méditation sur une génération entière confrontée à la fin du régime Ceaușescu.
Avril 1989. Maria, dix ans, est la dernière à avoir vu sa sœur aînée avant qu’elle ne disparaisse mystérieusement. Le film s’ouvre sur ce vide, et ne cherche pas tant à résoudre l’énigme qu’à en sonder les retombées. Comment une enfant perçoit-elle l’absence, le secret, la détresse des adultes ? En plaçant son récit à hauteur de cette fillette, Mincan fragmente sa narration, le passé et le présent se télescopent et l’imaginaire surgit comme une échappatoire. Le montage et la photographie éthérée construisent un monde en flottement, entre mémoire et hallucination.
Allégorie d’une génération perdue
La disparition de la sœur n’est pas seulement une tragédie familiale, elle devient une allégorie politique. Maria incarne cette « génération perdue » qui grandit dans un climat de peur et d’incertitude, quelques mois avant l’effondrement du régime. La paranoïa diffuse, les silences, l’oppression du quotidien renvoient à un pays au bord du basculement, endoctrinant sa jeunesse dès l’école primaire. Le travail sonore, fait de bruits sourds, résonances étranges et fragments musicaux, rend sensible cette atmosphère d’étouffement.

Alors que depuis deux décennies, le cinéma roumain s’est imposé sur la scène internationale par son réalisme austère et frontal – de Mungiu à Puiu, en passant par Jude –, Mincan s’éloigne lui du naturalisme pur, déplaçant son regard vers des territoires plus sensoriels, entre rigueur documentaire et visions oniriques. Une manière de traduire un état intérieur par la matière sonore et visuelle, moins analytique, plus impressionniste, mais tout aussi politique.
Emma Ioana Mogoș, touchante dans le rôle de Maria, incarne ce paradoxe : un visage impassible, traversé par des micro-émotions. Sa quête n’est jamais héroïque, mais fragile, tâtonnante, comme ce pays dans lequel elle grandit. Certains pourront reprocher au film sa lenteur ou son refus de résolution, mais c’est sûrement là qu’il trouve son intérêt, ldans cette hypnose mélancolique où l’absence semble devenir un prisme pour lire la mémoire collective. Avec Milk Teeth, Mihai Mincan signe un film où s’entrelacent l’intime et l’histoire et la disparition d’une sœur raconte l’héritage douloureux d’un pays en transition.






