OH, CANADA
Un célèbre documentariste canadien, condamné par la maladie, accorde une ultime interview à l’un de ses anciens élèves, pour dire enfin toute la vérité sur ce qu’a été sa vie. Une confession filmée sous les yeux de sa dernière épouse…
Critique du film
Cinéaste fasciné par les dualités qui consument l’être humain, Paul Schrader est à la tête d’une filmographie riche d’une vingtaine de longs-métrages, tous aussi protéiformes que cohérents dans les thématiques qu’ils abordent. Après s’être intéressé à trois figures masculines dans un triptyque sur la rédemption (First Reformed, The Card Counter et Master Gardener), le plus bressonien des réalisateurs américains avait déclaré mettre un terme à sa carrière, principalement à cause de son état de santé. Le voici pourtant sélectionné au 77ème Festival de Cannes pour défendre Oh Canada, l’histoire d’un documentariste en fin de vie qui accorde une ultime interview. De là à parler d’auto-fiction il n’y a qu’un pas.
Le générique qui introduit Oh Canada donne le ton. Sur la musique sereine de Phosphorescent, on découvre une équipe de tournage s’afférer : installation d’un décor sobre, réglage des lumières, allumage des caméras, tout se met en place dans le plus grand des calmes. Cette séquence d’introduction se conclut par le marquage au sol d’un seul et unique repère en forme de croix. Le plan est simple, sans artifice et pourtant, il dégage une douceur crépusculaire qui va progressivement infuser l’entièreté du film de Paul Schrader.
L’argument d’Oh Canada est très épuré : Leonard Fife est un documentariste engagé, admiré par ses contemporains et multi-récompensé pour son travail. Vieillissant et atteint d’un cancer incurable, il accepte de participer à un documentaire qui lui est consacré, réalisé par l’un de ses anciens étudiants. L’entretien fleuve auquel il va prendre part sera la clé de voûte de ce document filmique qui tente de mieux cerner le génie de l’artiste à travers son histoire personnelle et de faire passer ce dernier à la postérité. Affaibli par la maladie, Fife décide malgré tout d’aller jusqu’au bout et de jouer la franchise à tout prix. Il entame alors une balade à travers ses souvenirs.
La beauté discrète du film provient sans contexte de sa structure labyrinthique qui multiplie les ruptures pour mieux adopter l’errance introspective de son personnage principal. Le film se construit alors comme une longue digression à travers l’esprit tourmenté d’un homme au crépuscule de son existence. Passage de la couleur au noir & blanc, changement de format et dispersion de la chronologie des événements racontés par Fife sont autant de partis pris visuels et narratifs qui parsèment le long-métrage. Désorienté, le spectateur peut néanmoins s’approcher au plus près des états d’âmes du personnage, et par extension du metteur en scène.
Avec un premier degré désarmant, Paul Schrader prend le temps de se confier sur les réflexions qui le traversent à un âge avancé. Plus qu’un exercice vaniteux et autocentré d’un artiste en fin de carrière, Oh Canada s’intéresse à des questionnements existentiels bien plus universels qu’il n’y paraît. Détient-on la vérité sur son parcours et sa propre existence ? Notre passé ne nous échappe-t-il pas constamment ? Les souvenirs racontés par Leonard sont flous, épars et parfois même contradictoires avec des faits historiques avérés. « Quand notre passé est un mensonge, on devient soi-même un personnage de fiction » confesse Fife face caméra. Une évidence saute alors aux yeux : la caméra qui filme Leonard devient le témoin d’un moment, et non des moindres, mais ne révèle en aucun cas une forme de vérité sur l’histoire de l’objet auquel elle s’intéresse.
Autoportrait d’une remarquable lucidité, Oh Canada impressionne par son mélange de sérénité et de profonde mélancolie sur le temps qui passe et de ce qui reste de notre passage au moment de notre dernier souffle. En adaptant le dernier roman de son ami Russel Banks (à qui il dédie le film), Paul Schrader signe une fiction testamentaire d’une grande élégance, portée par un Richard Gere merveilleux de sobriété.