REEDLAND
Lorsqu’il découvre le corps sans vie d’une jeune fille sur ses terres, Johan, fermier solitaire, est submergé par un étrange sentiment. Alors qu’il s’occupe de sa petite-fille, il se lance à la recherche de la vérité.
Critique du film
Représenter l’épaisseur du silence à l’écran, voilà le défi que Sven Bresser semble vouloir relever avec Reedland. Dès son introduction, l’œuvre vise la contemplation au détriment de la description. Un soleil rouge se couche à l’horizon tandis qu’émane une fumée opaque de plusieurs tas de pailles consumés, funeste présage que suivra une découverte macabre. A l’instar de La nuit du 12, sorti en 2022, le début de Reedland se veut bref tout en posant instantanément l’enjeu : deux plans successifs montrent les parties inertes d’un corps féminin, une victime de plus à mettre sur le compte des « problèmes entre hommes et femmes » pour citer à nouveau le long-métrage de Dominik Moll. Ici il s’agira pourtant moins d’interrogations que d’introspections, le meurtre restera tout au long du visionnage une sorte de vapeur nuageuse, une toile de fond plutôt utile pour cacher ce que le réalisateur souhaite vraiment représenter : la charge du silence.
Le meurtre a été commis, il ne sera pour autant pas nécessaire de le résoudre, nul besoin de suivre police et autres enquêteurs. L’intrigue se concentre sur le découvreur du crime, fermier visiblement apathique et d’un mutisme à toute épreuve. L’homme coupe machinalement ses roseaux, suit une routine quotidienne inébranlable et semble souffrir d’une sérieuse solitude, sociale, amoureuse et sexuelle. L’instinct invite alors à la prudence, cet individu que nous suivons tout au long du récit possède tous les caractéristiques du tueur froid et calculateur, suspect parfait sur lequel l’enquête semble être passée sans s’en rendre compte. Impossible de briser cette carapace, l’homme est imperceptible, fondu dans un cadre de vie où tout semble dissimulé. À se demander qui cache le plus entre cet homme nimbé de mystère et ces champs de roseaux touffus. La mise en scène joue de cette complexité à cerner ce vieil agriculteur, marginal parmi les marginaux (…). Le paysage rural des Pays-Bas semble aussi terre à terre que le fermier, territoire plat et sans obstacles dont on a du mal à percevoir les limites. L’esprit et le terrain se rencontrent, Sven Bresser espère dépeindre fidèlement – avec toutefois un relent de cynisme – un arrière-pays silencieux où trône une sorte de traditionalisme résiduel.

L’opacité de chaque élément fait de Reedland un film terriblement cryptique tout autant que lacunaire. Il est bien difficile de dire ce qui émane d’une telle forme, si le réalisateur souhaite vraiment faire de son protagoniste une figure ambivalente, tueur, sauveur ou les deux. Le mystère a du bon, mais peut-être que dans le cadre d’un féminicide en plein milieu rural, il aurait fallu clarifier certaines intentions afin de ne pas s’embarquer dans un flou informel. La désagréable impression que la caméra préfère esthétiser une météo capricieuse au lieu de se focaliser sur un récit fondamentalement important (au sens moral ou politique) suit constamment notre regard de spectateur contraint à observer une histoire qui s’embarrasse d’à côtés mineurs.
Reedland trouve parfois un peu de sens dans ses séquences symboliques, comme lors d’une pièce de théâtre organisée à l’occasion d’une fête de village durant laquelle le vieil homme grimé en épouvantail se voit décapité par sa propre petit-fille, scène qui passerait volontiers pour un aveu de culpabilité à la manière d’une pierre étrange que le fermier jettera dans l’eau avant de se raviser. Preuve dissimulée ou volonté d’éluder le mal ? Ces interrogations ont lieu d’être et font d’ailleurs du film un objet sincèrement fascinant par son économie de mots. Plus les questions s’accumulent, moins elles concernent ce meurtre dont le motif semble tout à fait issu d’un rapport de domination homme-femme. Ce n’est pas le manque de réponses qu’il faut reprocher à Reedland mais son incapacité à densifier les énigmes qu’il met en place dès son ouverture. Si l’œuvre elle-même semble se désintéresser de son propos pour satisfaire un besoin artistique purement visuel, devons-nous vraiment nous forcer à imaginer ce que la propre ombre du long-métrage cache ?
Cet effort paraît bien vain tant l’oeuvre ne nous encourage pas à la dissection. Quel tort que l’objectif ne s’engouffre jamais vers les racines du mal. Reedland est marqué par un ésotérisme à double tranchant, aussi captivant que frustrant.
Bande-annonce
3 décembre 2025 – De Sven Bresser






