THE NEST
Dans les années 1980, Rory, un ancien courtier devenu un ambitieux entrepreneur, convainc Allison, son épouse américaine, et leurs deux enfants de quitter le confort d’une banlieue cossue des États-Unis pour s’installer en Angleterre, son pays de naissance. Persuadé d’y faire fortune, Rory loue un vieux manoir en pleine campagne où sa femme pourra continuer à monter à cheval. Mais l’espoir d’un lucratif nouveau départ s’évanouit rapidement et l’isolement fissure peu à peu l’équilibre familial…
Critique du film
Présent cette année en compétition officielle au Festival du film américain de Deauville, le deuxième long-métrage de Sean Durkin suscitait des attentes particulièrement élevées, autant pour son casting alléchant que les promesses suscitées par sa première réalisation Martha Marcy May Marlene, prix de la mise en scène au Festival du film Sundance en 2011. Et force est de constater que le voir une nouvelle fois récompensé avec The Nest serait la dernière des surprises – le film a logiquement remporté trois prix à Deauville dont le Grand Prix.
Pour expliquer la réussite du film, il convient de souligner en premier lieu la performance impeccable du duo Jude Law / Carrie Coon (aperçue dans Gone Girl et The Leftovers) en couple au bord de la crise de nerfs : les deux ont peut-être trouvé ici leur meilleur rôle, en tout cas celui qui exploite le plus largement leur palette de comédien. À cette composition remarquable s’ajoutent une photographie particulièrement léchée, qui confère à l’œuvre une ambiance rétro pour le moins troublante, et un sens du montage aiguisé, au service de la tragédie annoncée.
NID DE DÉSAMOUR
Durkin portraiture avec une précision et une subtilité remarquables cette bourgeoisie pavillonnaire américaine, décrite dès 1922 par Sinclair Lewis dans son roman satirique Babbitt, qui, réduite à un quotidien aussi normé qu’insignifiant, se découvre de nouvelles aspirations comme autant de vaines tentatives pour combler un vide existentiel. À l’opposé du père de famille réfléchi et équilibré, Rory est comme un bonisseur qui n’hésite jamais à maquiller sa vie de famille pour paraître toujours plus respectable aux yeux des autres membres de la bonne société, quitte pour cela à dilapider des finances qui finissent fatalement par manquer. Mais si l’ambition professionnelle et familiale de Rory peut parfois se teinter de fourberie et d’inconscience, le regard du réalisateur sur son personnage n’est jamais réprobateur : celui-ci n’est qu’une victime parmi tant d’autres d’un système qui le dépasse et le pousse à devenir une personne qu’il n’a jamais été.
Cette supercherie est dénoncée à plusieurs reprises par Allison qui, plutôt que de fermer les yeux, met son époux face à ses contradictions les plus flagrantes : à ce titre, il faut voir cette scène quasi-comique dans un restaurant chic où, apprenant les dépenses excessives de Rory, la mère de famille passe une commande pour le moins onéreuse et en vient même à goûter la bouteille de vin au goulot, à la grande gêne du mari. La séquence est particulièrement révélatrice de l’éloquence de ce personnage féminin, qui loin d’être une simple victime des agissements inconsidérés de son conjoint, lutte activement contre la lente descente aux enfers promise à la cellule familiale.
Progressivement, le « drame familial naturaliste » (selon les propres dires d’avant-séance du réalisateur) évolue vers une esthétique se rapprochant davantage du film d’angoisse, où les personnages se retrouvent encloués par un cadre qui les isolent les uns des autres, dans une maison décidément trop grande pour une famille aussi réduite, et les entraînent chacun vers des tourments grandissants. Les plans se font toujours plus lugubres et la musique, grinçante à souhait : le point de rupture est proche et l’on ne peut que constater, hébété, qu’il fut plus sournois et pernicieux qu’attendu.
Davantage noir et vertigineux que Les Noces Rebelles (Sam Mendes, 2009), qui traitait de ce même mal-être dans des banlieues trop tranquilles, The Nest agit comme un révélateur saisissant du pharisaïsme inhérent à une certaine élite économique. Mais plus que ce propos déjà ressassé par le cinéma, le film de Sean Durkin rappelle à qui veut l’entendre que l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs et que l’ennemi intime est la pire menace qu’un homme peut craindre.
Porté par des acteurs au sommet de leur art, The Nest parvient habilement à concilier puissance thématique et exigence formelle ; et l’on espère avec sincérité que Sean Durkin n’attendra pas une nouvelle décennie avant de nous faire parvenir sa prochaine création.
Bande-annonce
Le 9 Février 2021 sur Canal+ – De Sean Durkin, avec Jude Law, Carrie Coon
Grand Prix à Deauville 2020