featured_celine-sciamma-c-claire-mathon (1)

CÉLINE SCIAMMA | Interview

Révélée en 2007 avec Naissance des pieuvres, qui fut le premier jalon de la carrière d’Adèle Haenel, Céline Sciamma est désormais une cinéaste qui compte dans le paysage français, assumant son militantisme et des thématiques fortes. Après Tomboy, le scénario césarisé de Ma vie de Courgette et le superbe Portrait de la jeune fille en feu, elle revient à l’enfance avec Petite maman. Entretien.


L’après Portrait de la jeune fille en feu 

Céline Sciamma : Quand on veut faire un film, on reprend toujours tout à zéro si vous voulez. Chaque film vient approfondir toujours le même projet qui serait un rêve cohérent et un désir fort de tout recommencer. C’est pour ça qu’il y a des temps très variables entre mes films. Pour Petite maman, c’est venu très vite parce que cette idée je l’avais en tête, et pour moi à partir du moment où le rêve se dessine et tient tout seul, à ce moment là j’y vais très vite.

Je voulais vraiment créer une matrice intime pour les spectateurs à la fois dans le rapport à l’histoire, mais aussi dans son rapport au film

La thématique du rêve

Dans le film, il y a une chanson et dans ses paroles il y a cette phrase qui dit : « le rêve d’être enfant avec toi ». Cette phrase, je l’ai écrite en toute fin de la post-production du film au moment où j’ai écrit les paroles de la chanson, et je trouve qu’elle résume bien le film. J’aurais même pu la mettre sur l’affiche ! Le rêve d’être enfant avec toi

Sous ce « toi », on peut mettre qui on veut, ses parents. On peut y mettre aussi la personne qu’on aime, qu’on a rencontrée adulte. C’est une espèce de formule magique du film et tout a été fait pour rendre ce rêve le plus simple possible, le plus évident et aussi le plus commun. C’est à la fois un récit très intime, mais qui n’est pas engorgé de l’intimité des personnages. La maison se vide, il y a peu de détails et peu de caractérisation des personnages, très peu de back-story – comme toujours chez moi. Je voulais vraiment créer une matrice intime pour les spectateurs à la fois dans le rapport à l’histoire, mais aussi dans son rapport au film.

C’est le film qui est fondé sur le plus grand rêve de collaboration entre le spectateur et l’histoire. Je pense que c’est mon film le plus collaboratif, qui fait le plus appel à l’intimité du spectateur. Et ça, c’est inscrit dans un processus plus grand pour collaborer et penser à l’expérience de celui qui regarde. C’est une chose que j’avais vraiment entamé fortement dans Portrait et qui, là,  trouve une forme un peu radicale.

Le lien mère-fille

Le film a plusieurs paliers dans le rapport entre les adultes et les enfants pour créer des effets de complicité très forts dans la salle entre les spectateurs et le film, mais également entre les spectateurs entre eux, particulièrement si vous le voyez avec un enfant. Là, c’est vrai que c’est un premier palier, cette enfant qui improvise un apéritif un peu burlesque dans la voiture. Ce que je cherche à convoquer c’est un effet de réel alors même que le film est un peu magique, pour créer un sentiment de familiarité par le biais de cette image. Elle raconte un rapport parent-enfant sans un mot, même avec un seul visage, et d’un coup on est convoqué à un endroit où le sentiment de justesse domine, et où se dit que le film va respecter ce rapport entre elles. Il y a un effet d’attraction où l’on se dit que c’est comme un souvenir parce que c’est familier.

C’est à dire une magie du montage, de l’apparition/disparition à la prise de vue, une espèce de cinéma premier qui regarderait cette idée comme toute nouvelle et laisserait la place à l’imaginaire du spectateur au point le plus grand possible.

Il y a un deuxième moment dans le film où on ressent une bascule encore plus forte, une bascule d’égalité entre les enfants et les adultes, où l’on déclare qu’on va respecter cette égalité des enfants avec leurs parents, ce dont on est pas vraiment habitués au cinéma, : quand elle se couche et que sa mère lui dit « tu poses toujours les questions quand il s’agit d’aller se coucher ». Et l’enfant lui répond : « oui mais c’est quand je te vois ». Et ça, ça crée un effet en salle superbe, car elle a raison contre l’adulte, elle lui répond un truc vrai sur sa disponibilité. Ça donne un sentiment de respect du film pour les enfants et leur parole, et vraiment à ce moment il y a quelque chose qui se passe dans la salle et qui se dépose, qui fait que tous les spectateurs sont en train de regarder le même film quelque soit leur âge.Céline Sciamma sur le plateau de Petite Maman

Ce sont des mécaniques de scénario qui ne sont pas fondées sur quelque chose de vraiment narratif. On est dans une histoire de voyage dans le temps, donc on peut y aller, les paradoxes temporels, on peut s’éclater au scénario… Mais c’est vraiment l’idée de plutôt donner toute sa chance à la situation dans sa plus grande simplicité et de travailler à la sensation, toujours. Quand j’ai eu cette idée, d’une petite fille qui rencontre sa maman enfant, ça m’a d’abord donné des sensations. On raconte ça à n’importe qui, tout le monde se lance dans des élucubrations, donc c’est sûr qu’il y a de la puissance, de la dynamique dans cette idée. Mais il y a aussi quelque chose d’un peu magique que j’ai tenté d’animer, comme une magie du cinéma en plus. C’est à dire une magie du montage, de l’apparition/disparition à la prise de vue, une espèce de cinéma premier qui regarderait cette idée comme toute nouvelle et laisserait la place à l’imaginaire du spectateur au point le plus grand possible.

Le caractère ludique de tout ça, et ce qu’on s’autorise à faire de plus grand parce que c’est le cœur battant des enfants, c’est cette intensité émotionnelle là. Le regard des enfants, franchement, c’est un niveau de sérieux avec la vie qui va bien avec le cinéma pour moi.

Le passage vers l’âge adulte

Il y a dix ans, j’aurais eu un regard totalement différemment, mais aujourd’hui l’argument de la jeunesse ne prime plus. De ma propre jeunesse ou même d’une espèce de culture du premier film français qui serait porté vers le film d’adolescence. Je crois que c’est vraiment une question de profondeur des enjeux, c’est à dire les enjeux des personnages jeunes, et notamment des enfants, ce sont des enjeux qui sont toujours d’une très grande sincérité. Il y a une profondeur et une intensité dans ce qui leur arrive. Et de regarder des enfants réagir à ça, c’est un niveau d’intensité qui me plait. Les questions que se pose un enfant sur la tristesse de ses parents, ce sont des questions gigantesques. Je crois que c’est ça que j’aime. Et il y a aussi la possibilité de faire intervenir un autre imaginaire de cinéma, celui du cinéma pour enfants, et donc d’un cinéma ludique, un peu magique, où on choisit toujours la solution qui plaira aux enfants.

À la fin, j’ai toujours choisi ce qu’ils comprendraient le mieux, ce sont des détails mais qui font que le film a un style un peu plus d’aventure que d’habitude. Par exemple, quand elle voit pour la première la maison de sa petite maman, la même que la sienne, il pleut des cordes et elles courent pour rentrer dans la maison. Et là, j’ai demandé à Joséphine, l’actrice qui joue le rôle, de faire un petit dérapage. Un petit dérapage d’Olive et Tom. Et ça, le coté héros enfant qui dérape, le coté un peu Indiana Jones, je n’aurais jamais demandé ça à un adulte. Le caractère ludique de tout ça, ce qu’on s’autorise à faire de plus grand parce que c’est le cœur battant des enfants, c’est cette intensité émotionnelle là. Le regard des enfants, franchement, c’est un niveau de sérieux avec la vie qui va bien avec le cinéma pour moi.

Un conte teinté de fantastique

En tout cas, de vraiment d’offrir une situation qui était impossible dans le réel, de la rendre très concrète, de l’inscrire dans un bois de Cergy-Pontoise, mais d’aller dans le fantastique. C’est à dire s’autoriser de grands raccourcis et de l’humour, car il y a beaucoup ça aussi dans le cinéma fantastique. Ce sont des formes de prestidigitation parfois ! Cela me plaisait car je ressens de plus en plus d’attraction pour ça. Dans le Portrait déjà, il y a ça, un cinéma qui revendique plus fortement sa poésie, sa langue. Dans cette histoire, il y avait la possibilité de le penser comme un épisode de La Quatrième dimension. Vous voyez, la modestie de ces formats là, mais qui déployaient à chaque fois des histoires qui vrillaient vraiment la tête.


Propos recueillis par F. Boutet pour Le Bleu du Miroir