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PIALAT, LE MONDE SELON MAURICE

Il est de ces réalisateurs connus et reconnus qui sont pourtant souvent laissés au second plan, seulement évoqués par leurs inconditionnels. Maurice Pialat fait l’objet cet été d’une rétrospective complète, articulée en deux cycles. Deux vagues orchestrées par Capricci, en juillet puis en août.

Au Reflet Médicis, mythique cinéma du quartier Latin à Paris, les séances de la rétrospective débutent toutes de la même manière. Après nous avoir informés qu’une rétrospective Jean-François Stévenin se tenait dans la salle d’à côté, on voit le cadre du projecteur passer au format 1.66, favori du maître. Ensuite, un logo Gaumont de l’époque – par un hasard de calendrier, le même que celui qui ouvre Alerte Rouge en Afrique Noire, d’ailleurs. Ensuite, le film commence, souvent au milieu d’une scène. Comme si Pialat voulait projeter les spectateurs dans ses long-métrages sans en interrompre les protagonistes.

Dans son cinéma d’une manière générale, les séquences existent mais demeurent malléables. Le découpage technique n’est jamais plus important que le contenu des scènes. La trame narrative aussi passe parfois au second plan : à certains moments, il semble que les personnages aient progressé sans nous, comme s’ils vivaient leur propre histoire entre deux scènes. Si le réalisateur juge que telle ou telle scène, moins réussie, ne doit pas être dans le film, il coupe sans hésiter. Les protagonistes évoquent parfois des événements dont nous, spectateurs, n’avons pas été témoins.

La France nue

L'enfance nue

Le premier film de Pialat, L’enfance nue (1968) est un très bon point de départ dans la filmographie du réalisateur. Court, avec très peu d’artifices et un style parfois proche du documentaire, il dit beaucoup sur la vision du monde et des possibilités qu’il offre du réalisateur. Pialat y développe un thème qui en un sens sera celui de la plupart de ses films : grandir, se construire (envers et contre tous). Celui de la pauvreté également, même s’il filmera des bourgeois
ensuite. François est un enfant « difficile » de l’assistance publique, trimballé de famille en famille. Il se heurte aux adultes, puis, débarqué chez un couple qui semble prêt à l’aimer, il se heurte à leur amour. L’Enfance nue semble en bien des aspects être l’anti-Quatre Cents Coups. François, tête brûlée comme Antoine Doisnel, ne parvient jamais à s’évader. Pas de grand travelling émancipateur, lorsque le générique de fin commence, François serait presque revenu en arrière. Le film est pourtant produit… par François Truffaut.

Nous (ne) nous sommes (pas) tant aimés

Pour Pialat, l’existence est un combat. Combat contre les autres, contre soi-même, contre la vie, l’ennui. Il est difficile de trouver chez le réalisateur un personnage qui ne soit pas en proie à un déchirement intérieur ou qui se satisfasse de sa condition. Dans À nos amours, Suzanne (Sandrine Bonnaire) souffre d’être née dans cette famille, entre un frère (Dominique Besnehard, jeune et odieux) et un père joué par Pialat lui-même. Lui aussi est en souffrance. Le réalisateur incarne un archétype du père bougon, fatigué et taciturne ; mais aussi une figure d’autorité. Alors qu’il semble trouver un moment de répit en parlant à sa fille rentrée une fois de plus trop tard, il finit par lui annoncer qu’il quitte leur famille et l’appartement. Lorsque Suzanne se réveille, il n’est plus là. Ce n’étaient pas des paroles en l’air. Son retour bien plus tard dans le film n’est pas prévu, mais il ne perd pas un instant pour distiller son venin. Dans un moment de sidération, les convives le voient se heurter une fois de plus à ceux qu’il appelait sa famille. Dans ces conditions, les a-t-ils seulement aimés ?

A nos amours
Les hommes chez Pialat sont violents et résolument machos, comme un art de vivre revendiqué. Gérard Depardieu incarne notamment une sorte d’alter-ego du réalisateur. Il joue dans Loulou, Police, Sous le soleil de Satan et Le Garçu. Il serait également dans La Gueule Ouverte, s’il n’avait pas préféré tourner Les Valseuses. D’un film à l’autre, il tâche la pellicule de sa violence sourde. Les hommes de Pialat se disputent les femmes, veulent se les approprier. C’est essentiellement l’intrigue en sous-texte de Police : savoir qui « remportera » le personnage incarné par Sophie Marceau.
Dans ce film, Pialat lui laisse le dernier mot. Mais de Nous vieillirons ensemble à Sous le Soleil de satan, il a ensuite pris soin de préciser que le couple est impossible. Inenvisageable parfois, cruel le reste du temps. Jean Yanne – autre double du réalisateur à l’écran – et Marlène Jobert se déchirent, se battent dans des scènes difficiles à regarder en 2021.

Le maître du désamour

Pialat développe son propre style, bien loin de ses contemporains. Ne lui demandez pas son avis sur la Nouvelle Vague. Si Truffaut faisait des films d’amour, Pialat pourrait être le maître du désamour. Son cinéma est plus proche de celui de certains réalisateurs anglo-saxons. On peut y voir la dureté et le style d’un Mike Leigh, avec peut-être avec un soupçon de Cassavetes d’un point de vue construction. Ses films, d’une grande noirceur, laissent rarement indemne.

Le garçu
Sa filmographie se conclut par Le Garçu, où Gérard Depardieu et Géraldine Pailhas s’aiment mais n’en finissent pas de se séparer. Antoine, leur petit garçon joué par le fils de Pialat, apporte un équilibre étonnant au film. Terrible sur le fond, il est inondé de joie de vivre par le personnage de l’enfant. Il paraît pourtant (justement ?) que l’auteur n’aimait pas les scènes avec son fils et aurait préféré s’en débarrasser. Inévitable, le dernier film de Maurice Pialat se termine sur les pleurs de Géraldine Pailhas. Il est temps de quitter la salle, de prendre une grande inspiration et de se dire qu’on a fait la rencontre de l‘un des grands réalisateurs du XXème siècle. Et de retrouver en haut des marches la tiédeur du monde réel.




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