PHILIPPE SETBON | Interview
Philippe Setbon, dessinateur de bandes dessinées, scénariste et réalisateur pour le cinéma et la télévision a sorti aux éditions AO (André Odemard) le livre Memorabilia dans lequel il relate ses rencontres, sous forme d’abécédaire. Rencontres avec les stars qu’il a fait tourner ou pour lesquelles il a écrit ou avec lesquelles il a failli travailler. Le livre regorge d’anecdotes savoureuses, ironiques ou tendres mais toujours positives. L’homme qui a écrit pour Alain Delon, Jeff Goldblum, Alan Bates, scénarisé Détective de Jean-Luc Godard ou Mort un dimanche de pluie de Joël Santoni a également côtoyé dans sa jeunesse Klaus Kinski, sur lequel il a écrit et beaucoup d’autres personnalités. Nous avons voulu le rencontrer et avons pu faire une interview à distance.
Le Bleu Du Miroir : Pourriez-vous nous parler de votre entrée en cinéphilie ? Vous parlez dans votre ouvrage du film « Il était une fois dans l’Ouest », par exemple.
Philippe Setbon : Oui, il passait sur les Grands Boulevards depuis des années et je crois que c’était quelqu’un de ma famille qui m’y avait emmené et c’était la première fois que je comprenais ce que c’était que réaliser un film. Je comprenais que ce n’était pas juste une histoire que je regardais, mis qu’il y avait quelqu’un derrière la caméra, qu’on filmait les yeux d’une certaine façon, qu’il y avait des différences de plans. C’est la première fois que je comprenais la grammaire cinématographique et que je n’appréhendais pas seulement l’histoire. Le deuxième choc ça a été quelques années plus tard, ça a été « Aguirre, la colère de Dieu» et là, ça m’a propulsé vers un autre cinéma ; que j’ignorais complètement avant, le cinéma d’auteur. Avant j’étais plutôt cinoche d’action américain, ou grands films en noir et blanc, policiers ou westerns, mais essentiellement américains. Et « Aguirre », ça m’a ouvert sur un autre cinéma.
Par rapport à ces découvertes en salle, y-avait-il des salles de cinéma que vous fréquentiez particulièrement ?
J’ai grandi dans la banlieue Ouest de Paris, à La Celle Saint Cloud. Il y avait un cinéma, avec deux salles et la programmation changeait toutes les semaines. Je me débrouillais pour aller voir les deux films, chaque semaine, quels qu’ils soient. Des fois pas très honnêtement en rentrant par la sortie. Ca représentait quand-même beaucoup de films ! Et j’ai vu tout et n’importe quoi, ce qui m’a forgé un sens critique. A force, je commençais à discerner ce qui était bien, pas bien…C’est venu comme ça dans une espèce de torrent de films.
Le rôle de la télévision dans votre parcours de cinéphile ? C’était important ?
Ca a été important, grâce notamment aux ciné-clubs de la télé. J’ai découvert notamment des films comme « Psychose », les Hitchcock, je me souviens notamment des « Enchaînés » qui m’avaient beaucoup frappé. Et c’était des films que je découvrais tard le soir, parfois en cachette. En plus c’était entouré d’une espèce d’interdit. C’est comme ça que le vivaient beaucoup de mômes de mon âge et on en parlait au lycée. C’est vrai qu’il y avait un parfum d’interdit et la notion de petit bijou caché. Faut pas oublier qu’il n’y avait pas de vidéo, ni d’internet. Quand j’ai vu « Psychose », je n’en avais jamais entendu parler. Là-aussi ce fut un grand choc que j’ai bien entendu pu revoir par la suite, grâce au DVD, au Blu-Ray.
Vous vous intéressiez aussi aux autres programmes du type séries télé, téléfilms ?
Oui, tout m’intéressait, j’étais téléphage, cinéphage, j’avais une soif d’images. Autant les études ne m’intéressaient pas, autant pour ce domaine, j’étais avide de comprendre, je voyais tout.
Par rapport au clivage Cinéma / Télévision, pensez-vous qu’il existe toujours ou qu’il tend à disparaître ? Existe-t-il toujours une certaine condescendance envers les productions télévisuelles ?
Non, maintenant, avec les plateformes, ça a disparu et on a l’impression que la télé a pris le dessus. Le petit écran est plus accessible et on a accès à plus de choses. Encore plus maintenant avec le Covid, évidemment. Quand je suis passé du cinéma à la télévision, c’était un choix volontaire. Je ne me suis pas dit « je ne peux pas faire de cinéma, je vais faire de la télévision ». Non, j’avais l’occasion de filmer plus souvent, d’expérimenter plus de choses. Je n’avais pas cette espèce d’épée de Damoclès de la sortie en salles qui était très rude à l’époque. En télévision, on avait le droit de ne pas faire le meilleur audimat de l’année ; je parle de ça il y a vingt-cinq ans.
Après avoir commencé par la bande-dessinée, vous avez écrit des biographies pour les éditions PAC, sur Charles Bronson, Klaus Kinski et Telly Savalas. Qu’est-ce qui vous motivait pour écrire ces biographies ?
Pour Charles Bronson, c’était le comédien mais surtout tout ce que sa carrière couvrait : la télévision des années 50 en live, « Les Sept mercenaires », « Il était une fois dans l’Ouest », évidemment. Et puis « Le Passager de la pluie ». Quand j’en faisais le résumé, je me disais quelle carrière ! C’est très intéressant de revisiter une période du cinéma à travers une personne. Et ça a été un déclencheur également.
Vous précisez dans votre livre que vous avez préféré ne pas le rencontrer.
J’aurais eu l’occasion de le rencontrer. Un agent m’avait dit : « Je te le fais rencontrer quand tu veux ». j’aurais été enchanté de le rencontrer pour lui présenter un projet mais le voir pour le voir, non.
Vous évoquez beaucoup d‘artistes dans votre ouvrage « Memorabilia », mais ‘il y avait un ou une artiste à qui vous deviez consacrer un livre de 200 ou 300 pages, comme à vos débuts de qui s’agirait-il ?
Pas évident de répondre. Il y a quelques années, j’ai revu par curiosité la plupart des films avec Gary Cooper, qui était un acteur vraiment fascinant, quand on voit toute sa filmographie. Il est un peu oublié des nouvelles générations. Ce serait intéressant, car on peut suivre avec lui une évolution d’Hollywood, quasiment des années 20 aux années 60. Période fascinante à explorer.
Dans votre ouvrage, justement, vous évoquez des artistes par forcément connus des nouvelles générations comme Gabriele Tinti ou Michel Peyrelon. On sent votre amour pour les artistes, même ceux qui n’étaient pas forcément des stars, mais qui étaient plutôt des seconds rôles. Avez-vous eu des retours de lecteurs concernant des comédiens qu’ils ont découverts ou redécouverts grâce à « Memorabilia » ?
Oui, vous prenez l’exemple de Michel Peyrelon, beaucoup de lecteurs se souvenaient de lui, par exemple dans « Dupont Lajoie », sans connaître forcément son nom. C’est pour ça que j’ai mis parfois un petit résumé. Un acteur comme Gabriele Tinti, qui a joué dans environ deux cents films, peu de gens sont capables de le nommer. Et pourtant, c’est un des acteurs les plus charismatiques avec lesquels j’ai travaillés.
Par rapport aux films dont vous avez écrit le scénario, il y a « Mort un dimanche de pluie » (1986) qui est certainement un des plus grands films noirs français de cette époque, avec une véritable atmosphère. L’idée venait de vous, ou on vous a contacté pour l’adapter ?
L’idée de l’adapter n’est pas venue de moi, on m’a contacté vers 1985. J’avais enchaîné l’écriture de 4 ou5 longs métrages et Joël Santoni, qui venait de monter sa boîte de production avait vu un ou deux films de moi et m’avait envoyé le livre. Quand j’accepte ou refuse d’adapter un livre, ce n’est pas seulement si le livre est bon ou pas. C’est aussi si je sais que je peux faire ressortir ce qui est passionnant dans le bouquin. Dans le livre, il y avait quelque chose sur la maltraitance des enfants, sujet dont on parle beaucoup maintenant, mais pas trop à l’époque. On a respecté l’histoire mais on a mis en relief des éléments assez choquants. Maintenant ce serait impossible d’écrire un film pareil.
Quand vous adaptez un roman, quelle part de votre univers vous incluez dans le scénario ? A quel moment le scénariste devient l’auteur à part entière ?
Il faut d’abord trouver le thème qui nous parle vraiment et le traduire dans un autre medium. Il faut parfois changer énormément de choses. Quand j’ai adapté « Le Lion » de Joseph Kessel, un livre magnifique, j’ai réalisé qu’il ne se passait pas tant de choses que ça. Je commence toujours par cocher les moments où il se passe réellement quelque chose. Et j’ai vu que pour le personnage d’Alain Delon, il n’y avait pas tant de choses. Donc il y a fallu faire des changements majeurs mais en gardant l’esprit. Et pour Fabio Montale, d’après les polars de Jean-Claude Izzo, les livres n’étaient pas faits pour Alain Delon. Ce qui ne correspondait pas à la personnalité de Delon dans le personnage des romans je l’ai transféré sur une autre personnage, celui de l’adjoint.
Vous évoquiez pour « Mort un dimanche de pluie » la difficulté à parler de certains thèmes maintenant. Pensez-vous que nous sommes dans une époque où le politiquement correct est plus présent qu’avant ? Où il y a plus de censure ?
Oui, clairement. Je ne me souviens pas qu’on m’ait empêché de dire ou de montrer des choses dans mes films. Ca pouvait plaire ou ne pas plaire, mais je ne me souviens pas qu’un producteur m’ait dit « Tu vas trop loin ». Pour les images oui, trop de sang ou de violence. Mais pas au stade de l’écriture.
Vous avez réalisé « Mister Frost » en 1990, film fantastique avec Jeff Goldblum et Alan Bates. Vous pouvez nous parler un peu de cette expérience. C’était assez rare un film de genre français avec des acteurs américains et anglais.
C’est un film que j’avais envie de réaliser. L’histoire d’un homme qui se prend pour le Diable et qui possède quasiment l’esprit de sa psychiatre. Quand j’ai fini de l’écrire, je me suis dit ça ne peut être tourné qu’en anglais. Je ne voyais pas quel acteur français aurait la folie, la démesure pour jouer ce personnage. On n’avait pas du tout ce genre de comédien en France. A une certaine époque, ça aurait pu être Louis Jouvet ou Michel Simon. Mais là je ne voyais pas. Quand j’ai rencontré mon producteur, qui était Xavier Gélin, le hasard a voulu qu’il devienne directeur de la boïte AAA , à l’époque qui venait de distribuer « Le Dernier Empereur » de Bertolucci. Et donc, il avait du pouvoir, des contacts à Hollywood et il m’avait dit « Tope là » ; on était parti à Los Angeles avec le scénario, on l’avait fait circuler pendant plusieurs jours, en stipulant aux agents que c’était très urgent, qu’on ne restait pas longtemps. Et on a vu pas mal de très bonnes réactions de gens comme Sean Connery, Michael Caine. J’avais au fond de ma tête l’idée de Jeff Goldblum, vu dans la série « Timide et sans complexe ». Je trouvais qu’il avait ce regard un peu exorbité, même dans les choses un peu comiques., cette espèce de démesure dans les gestes, le style. C’était 3 ans après le succès de « La Mouche » de Cronenberg et il était dans la liste A à Hollywood. Ceux sur qui on monte un film. On lui a proposé le scénario et il a répondu tout de suite, il était très emballé, il voulait absolument jouer ça. On s’est vu le surlendemain de sa lecture. Les choses se sont enclenchées et on a eu une entente parfaite. C’était une expérience assez démente. J’étais très jeune quand c’est arrivé. Je devais avoir 32 ans.
Votre premier film pour le cinéma c’est « Cross ».
C’est une histoire assez tortueuse. J’étais scénariste à l’époque et il y a un producteur, André Djaoui, qui m’avait demandé si je n’avais pas envie de réaliser. Je lui ai dit oui, et il m’a proposé qu’on écrive un polar. J’ai réfléchi et à l’époque j’avais écrit le scénario de « Détective » de Godard, dans lequel jouait Johnny Hallyday. J’avais sympathisé avec lui et il m’avait dit qu’il aimerait faire un polar avec moi, qu’il rêvait de jouer un flic. J’ai trouvé l’histoire de « Cross », pensé à l’origine pour Johnny. On s’est perdu de vue.
Quand je l’ai retrouvé, il était pris – il tournait autre chose, « Terminus », je crois – j’avais mon scénario mais pas d’acteur. On est passé par plusieurs tentatives, sans grand enthousiasme et au moment où j’étais prêt à abandonner le projet, André Djaoui m’a dit qu’i avait croisé Michel Sardou et m’a demandé ce que j’en pensais. Et moi, je n’en pensais rien, je ne le connaissais pas comme chanteur et je suis tombé sur une photo de lui où il avait des lunettes de soudeur, ça lui faisait une gueule à la Mad Max et je me suis dit pourquoi pas, on s‘est rencontré et ça s’est fait rapidement. Je ne me rendais pas compte de ce que renverrait le film et j’ai fait comme si j’avais un acteur « normal ». Et après le film a été pas si mal accueilli que ça. On a eu quelques bonnes critiques, notamment dans Première. Mais le film a laissé une sale impression de navet. C’est un film qui a été assez douloureux, je n’ai pas eu le courage de le revoir. Je ne pense pas que ce soit un navet. C’est plus lié à la présence de Sardou, à des acteurs que j’ai pris à contre-emploi – Roland Giraud en tueur à gages, Marie-Anne Chazel dans un rôle dramatique, Patrick Bauchau, que personne ne connaissait et que j’avais pris dans un rôle magnifique – et le film ne ressemble sûrement pas à sa réputation, je ne dis pas que c’est un chef d’œuvre. L’opinion qu’on peut avoir de lui aujourd’hui est biaisée.
Autre film dont vous avez écrit le scénario : « Les Fauves », qui va ressortir en vidéo, chez Le Chat Qui Fume prochainement.
Le Chat Qui Fume m’a contacté, mais je leur ai répondu que je ne pouvais pas trop participer à leurs suppléments. Je n’ai jamais revu ce film fait il y a 34 ans et j’y ai peu participé. Le scénario a été réécrit en partie après moi, et je ne suis pas allé sur le plateau. J’ai très peu de souvenirs liés à ce film. J’ai travaillé quelque temps, j’avais sympathisé avec le réalisateur qui s’appelait Jean-Louis Daniel, on avait eu d’autres projets ensemble. Mais là aussi je sais que c’était un tournage extrêmement dur. Le tournage avait été interrompu puis avait repris. Ce n’était pas une expérience plaisante pour le réalisateur.
En règle générale, quand vous écrivez un scénario, est-ce que vous allez parfois sur le tournage, pour réécrire des passages si quelque chose ne fonctionne pas par exemple ?
Non, jamais. En fait, je passe une fois, en général, si le tournage a lieu en extérieur. Sur Fabio Montale, je suis allé une ou deux fois voir Delon. Un tournage, c’est passionnant quand on participe, beaucoup moins quand on est spectateur. Et puis on peut très vite gêner.
Vous ne revoyez jamais les films que vous avez réalisés ou écrits ?
En règle générale, non. Cela m’est arrivé d’avoir de très bonnes surprises comme « L’Ange de feu », une mini-série que j’ai faite il y a plus de dix ans, ou quinze ans. Je l’ai revue récemment car ça passait à la télé et j’ai été très agréablement surpris. Mais je n’ai pas de recul, je vois le tournage, les problèmes qu’on a eus avec la production, j’arrive pas à voir le fil pour ce qu’il est.
Dans votre ouvrage, on sent une véritable affection pour les artistes que vous avez rencontrés. Contrairement à ceux qui aiment créer dans le conflit, vous aimez quand ça matche.
Les comédiens donnent le meilleur d’eux-mêmes quand ça se passe bien. Quand ça se passe mal, c’est qu’il n’y a pas d’amour, pas d’amitié. J’ai eu longtemps la même équipe. Et j’avais une technique pour les acteurs qui avaient le trac et qui se raidissaient quand on disait « Moteur ! » : on faisait deux ou trois répétitions assez précises et je lançais le moteur tranquillement. Les acteurs se sentaient plus à l’aise. J’ai toujours essayé que ça se passe bien. Ce n’est pas de la démagogie. C’est vraiment pour le bien du film.
On vous sent, à la lecture de l’ouvrage, assez détaché par rapport à la « connerie » de certaines personnes. Vous prenez avec beaucoup de philosophie les aléas des rencontres et tournages et les caractères un peu particuliers de certains producteurs ou acteurs. Par exemple Klaus Kinski ou Chalton Heston.
Je sais que je l’ai ce détachement et ça m’a sauvé la vie plein de fois. Ca m’a permis de bosser avec plein de gens très impressionnants, sans être impressionné. Et je sais d’où ça vient, ça vient de Klaus Kinski. Je l’ai rencontré, j’étais très jeune, je devais avoir 22 ans, je n’étais même pas dans le cinéma. Je faisais de la BD à l’époque. Et quand les éditions PAC m’ont demandé si j’étais intéressé par écrire une biographie de lui, j’ai dit oui tout de suite à cause de films comme « Aguirre la colère de Dieu » ou « L’Important c’est d‘aimer ». C’était u de mes acteurs préférés, on était en 1978 je pense. Je suis parti avec mon petit calepin, rencontrer Kinski et c’est quand même une personnalité hors du commun qu’on aime ou pas. Il n’avait pas que des qualités, loin de là, mais je ne pouvais pas trouver plus impressionnant et plus excessif comme comédien. Tous les autres m’ont paru faciles et banals après. En tous cas, c’était gérable. Les autres même les plus compliqués c’était gérable. Kinski, ce n’était pas gérable. Je n’ai jamais eu de problème avec lui parce qu’on n’a jamais tourné ensemble, tout simplement. On s’entendait très bien, je le faisais beaucoup rire, il m’adorait, ça a duré un an ou un an et demi. Je me suis beaucoup marré avec lui, mais comme je dis parce que je n’ai pas tourné avec lui. Et quand sur « Cross », on cherchait le méchant, le producteur m’avait proposé Klaus Kinski. Il avait parlé avec son agent. Kinski n’était pas contre. On ne se voyait plus du tout à l’époque. Et je me suis dit : « Je pars au Portugal pour mon premier film, avec un chanteur qui n’a jamais tourné, des comiques dans des rôles dramatiques et en plus je vais me coltiner Kinski… ». Je ne le sentais pas et je pense que j’ai eu raison.
Vous avez réalisé une adaptation des « Mains D’Orlac», vous semblez beaucoup aimer le cinéma de genre et le cinéma d’auteur. Je crois que c’est Jean-Baptiste Thoret qui a dit qu’être cinéphile c’était aimer autant le cinéma de genre que le cinéma d’auteur. Vous reconnaissez-vous dans cette définition ?
Complètement, oui, je peux passer d’un film de Dwayne Johnson à Ingmar Bergman sans aucun problème. Je saurais les apprécier pour ce qu’ils sont. C’est ça la cinéphilie : c’est l’esprit ouvert.
Vous avez des références, des artistes qui vous ont influencé au point de décider de votre destinée ?
Il y a eu Sergio Leone, qui avait un style inimitable. Question transgression de la grammaire cinématographique, création d’univers, culot visuel, j’ai jamais atteint ce niveau-là mais c’était un modèle pour moi. Comme scénariste, je dirais Sébastien Japrisot. Que j’aimais énormément pour les mêmes raisons. Il racontait souvent la même histoire avec des personnages liés à l’enfance. Il y a avait toujours des histoires de machinations. J’ai vraiment découvert une façon de raconter, de dialoguer. Ce n’était jamais naturaliste, c’était toujours décalé. Il y avait beaucoup de choses qui m’intéressaient. C’était un melting pot d’influences, de références.
Vous avez commencé par la bande dessinée, quand vous écrivez un scénario ou quand vous envisagez de réaliser un film, vous servez-vous beaucoup de cet art ? Vous faites des story boards un peu délirants ?
Non, mais ça m’a énormément servi pour tourner vite et bien. Les story boards, je les faisais le matin en arrivant sur le plateau. Je demandais à certains techniciens, la script, le cadreur de venir un peu en avance et je dessinais le story board de la journée. Ce qui fait qu’ils voyaient les valeurs de plans, les axes de prises de vues, ce qui permettait d’éclairer au mieux. Et de pré-éclairer les séquences d’après. Et donc c’était sans prix.
Quel regard vous portez sur la production télévisuelle française actuelle ? Et sur la production cinématographique actuelle ? Français e et en général.
Sur le cinéma français actuel, honnêtement, je ne sais pas car le cinéma français actuel ça ne me parle pas, ça ne l’intéresse pas. Pour le cinéma étranger, je vois beaucoup de choses, beaucoup de choses m’intéressent. Que ce soit des films de super héros Marvel, des mini-séries HBO, je suis resté cinéphage. Les super héros, on en a un peu marre, parce que trop c’est trop. Mais il y a des choses magnifiques, comme Logan par exemple. Je ne suis pas trop intéressé par les X Men mais Logan, c’est un mélange de polar, science-fiction, film noir.
En dehors de la période de pandémie, continuez-vous beaucoup à aller au cinéma ou privilégiez-vous la vidéo et les plateformes ?
Je ne vais plus du tout au cinéma. C’est venu progressivement. D’abord, c’est très simple, c’est à cause du pop corn. Et du portable. Les bruits de machouille et les gens qui répondent au portable… J’ai arrêté d’aller au cinéma et je suis bien équipé en Home Cinema. Je vois les films comme ça et j’en suis bien plus heureux. Mais je regrette ça. Je suis allé tellement au cinéma dans ma vie, j’adorais ça. Le cérémonial, le rituel. Mais à la fin, je n’en profitais plus du tout.
Y-a-t-il des gens avec qui vous regrettez de ne pas avoir travaillé ?
Oui, beaucoup. Certains que j’évoque dans mon livre, comme Lino Ventura ou Jean-Paul Belmondo. Ou Maurice Ronet, Romy Schneider.
A une époque où tout va de plus en plus vite, est-ce que ça se ressent dans les projets télé et cinéma, cette précipitation qui se fait parfois au détriment de la qualité ?
J’ai arrêté l’écriture de scénario il y a 5 ou 6 ans. Mais quand je vois certaines séries sur Netflix, par exemple, je me rends compte de défauts d’écriture, de dilatation, de séries de 8 épisodes qui auraient été parfaites avec 5 épisodes. Que ce soit tourné très vite, ça peut passer car avec les techniques actuelles, on peut effacer cette impression. Mais l’écriture, quand c’est fait à la va vite, on ne peut pas le masquer.
Vous parliez de vidéo. C’est quelque chose d’important pour vous ? Les gens de votre génération et de la mienne ont connu l’époque où un film en VHS coûtait 700 francs, voire 1000 francs pour voir un film, parfois en Pan And Scan, avec le tiers de l’image. Maintenant on a droit à de très belles choses pour un prix accessible ; vous revoyez beaucoup les classiques.
Oui, j’ai beaucoup de films et je revois énormément de choses. Et j’ai constaté que pour moi le « temps d’oubli » d’un film c’est dix ans. Au bout de dix ans, il n’en reste quasiment rien dans la mémoire. On croit qu’il en reste mais en fait on a oublié le film. Et on le redécouvre avec un œil neuf. Je redécouvre ainsi les films de Claude Sautet que je vous d’un œil neuf. C’est passionnant de revoir des films longtemps après.
Vos projets actuels ?
Deux polars en cours d’écriture, une exposition photo. Et voir des films.
Un sujet qu’on n’a pas abordé durant cet entretien que vous aimeriez évoquer ?
L’effet libérateur de ce livre.
Ecrirez-vous à nouveau sur le cinéma, les artistes que vous avez rencontrés ?
Il y a des souvenirs que je n’ai pas inclus, comme les mauvaises rencontres par exemple. Certaines personnes ne sont plus là pour me répondre. Et je préférais rédiger un ouvrage sympathique, positif.