ANNABELLE
John Form est certain d’avoir déniché le cadeau de ses rêves pour sa femme Mia, qui attend un enfant. Il s’agit d’une poupée ancienne, très rare, habillée dans une robe de mariée d’un blanc immaculé. Mais Mia, d’abord ravie par son cadeau, va vite déchanter. Une nuit, les membres d’une secte satanique s’introduisent dans leur maison et agressent sauvagement le couple, paniqué. Et ils ne se contentent pas de faire couler le sang et de semer la terreur – ils donnent vie à une créature monstrueuse, pire encore que leurs sinistres méfaits, permettant aux âmes damnées de revenir sur Terre : Annabelle…
Poupée de (gros) sous.
Il y a tout juste un an, Conjuring : Les dossiers Warren affolait le box office mondial en engrangeant 316,7 millions de dollars de recettes pour un budget inférieur à 20 millions. Flairant le bon filon, New Line a mis en chantier une suite et pas moins trois spin off (!). Le premier d’entre eux, Annabelle, arrive pile-poil sur nos écrans pour Halloween. Mais, du film dérivé à la dérive filmique, il n’y a parfois qu’un pas, que John R. Leonetti a vite fait de franchir.
Le directeur de la photo de Conjuring se retrouve aux manettes de ce projet bâclé, au scénario en roue libre. Ne vous attendez pas à voir le couple Warren ici : l’histoire se concentre sur cette poupée de porcelaine « hantée » et les manifestations paranormales qu’elle engendre dans la vie d’un jeune couple qui attend son premier enfant. C’est d’ailleurs en vue de l’arrivée du bébé que les futurs parents font l’acquisition de cette poupée de collection. La première invraisemblance du film s’impose rapidement : quelle personne saine d’esprit choisirait d’exposer une poupée aussi flippante dans une chambre d’enfant ? Dans le fait réel qui sert de base à cette extrapolation horrifique, Annabelle est une poupée-chiffon, pas moins flippante, mais qui ressemble bien plus à un joujou. Le jeune couple s’extasie devant Annabelle comme s’il s’agissait d’une merveille de bon goût, alors qu’elle apparaît d’emblée au spectateur comme effrayante, avec son sourire sardonique, ses traits disgracieux et ses pommettes écarlates. Cela crée un décalage propice au comique involontaire dont le film ne se débarrassera jamais.
Des références lourdingues à Rosemary’s baby
On sent bien que Gary Dauberman a cherché à donner une certaine consistance au scénario en soulignant le contexte de l’époque à laquelle les faits se déroulent (le début des années 1970). Il invoque l’Amérique traumatisée par Charles Manson et sa « famille » meurtrière. La secte sataniste, comme le rappelle un reportage dans le film, est responsable de la mort violente de Sharon Tate. L’actrice, compagne de Roman Polanski, a été assassinée, ainsi que trois de ses amis, par quatre disciples de Manson, alors qu’elle était enceinte de huit mois. Le crime – la presse n’a pas manqué de se faire l’écho du moindre détail sordide – a horrifié le pays, effaré par ce versant sataniste et déviant de l’utopie hippie. Mais Dauberman, qui aurait pu nourrir cette fiction de ce climat de psychose et de ces réminiscences macabres, ne creuse pas plus avant ce sillon. En revanche, il multiplie les clins d’oeil appuyés à Roman Polanski et à son Rosemary’s Baby. La scène précédent le générique fait inévitablement penser au drame de Sharon Tate, même si cela ne relève que de l’allusion. Les personnages du jeune couple se prénomment Mia et John – comme Mia Farrow et John Cassavettes, les deux têtes d’affiche de Rosemary’s… On peut ainsi s’amuser à traquer les références pendant tout le film (au moins, ça occupe) : le summum étant atteint par l’apparition d’un landau dans un sous-sol sous-éclairé… Mais cet exercice de style, qui ne force jamais sur l’inventivité, sonne rapidement creux.
Interprétation désincarnée
Les manifestations démoniaques sont beaucoup plus proches d’une reconstitution cheap digne d’un reportage de « Mystères » (émission de TF1 consacrée au paranormal dans les années 1990) que de la tension d’un Exorciste. Leonetti ne disposait que d’un budget de 6,5 millions de dollars (largement amorti dès le premier week-end d’exploitation aux Etats-Unis) et n’est pas parvenu à compenser ces moyens (relativement) restreints par un sursaut de créativité.
La plupart du casting livre une interprétation aussi désincarnée que la poupée. Celle-ci parvenant même à paraître plus expressive que les humains qui l’entourent. Et ce n’est pas dans la conclusion grotesque – qui a fait se bidonner plus d’un spectateur lors de l’avant-première parisienne – qui leur permet de se rattraper. La déception est grande, James Wan avait livré avec Conjuring : les dossiers Warren un film d’une facture classique mais efficace. Annabelle, par son criant aspect mercantile, vient à rebours, nous gâcher plaisir. À l’instar de la poupée maléfique, il faudrait la mettre sous cloche et interdire à quiconque de s’en approcher.
La ficheANNABELLE
Réalisé par John R. Leonetti
Avec Annabelle Wallis, Ward Horton, Alfre Woodard
Etats-Unis – Epouvante, Horreur
Sortie en salles : 8 Octobre 2014
Durée : 98 min