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CARTE BLANCHE | Divorce à l’italienne

Carte blanche est notre rendez-vous bi-mensuel pour tous les cinéphiles du web. Deux fois par mois, Le Bleu du Miroir accueille un invité qui se penche sur un grand classique du cinéma, reconnu ou méconnu. Pour cette quatorzième occurence, nous avons choisi de tendre la plume à Claire Micallef, jeune plume de talent officiant sur Le Plus de l’Obs et pour La septième Obsession. Elle choisit de nous faire part de son amour pour… Divorce à l’italienne.  

Carte blanche à… Claire M.

Passant le portrait au vitriol d’une Sicile étouffée dans ses archaïsmes, ses simulacres et ses codes d’honneur à la moulinette d’une intrigue rocambolesque et farcesque, Divorce à l’italienne de Pietro Germi (1961) est un bijou de la comédie italienne en même temps que la quintessence du genre.

Entre charge acérée et propos distancié, lourdeur intrinsèque du milieu dépeint et vivacité des rebondissements, misère des affects et des comportements et transfiguration comique, Divorce à l’italienne subvertit le modèle sociétal sicilien avec tout le panache de la satire.  « Subversion » : le mot clé est là, puisque le film, plaidoyer en creux pour le droit au divorce, n’est peut-être pas pour rien dans la légalisation de celui-ci, qui n’interviendra, certes, qu’en 1970. « Divorce » peut aussi être vu comme une réplique comique au magnifique « Bel Antonio » de Mauro Bolognini, portrait à charge là aussi d’une société sicilienne délétère uniquement attachée à exalter la virilité dans laquelle le jeune homme impuissant que jouait Mastroianni devenait persona non grata.

A la tragédie, Pietro Germi préfère la comédie qui, selon l’adage latin, permet de châtier les mœurs par le rire. Le réalisateur de Séduite et abandonnée s’amuse du même coup à porter l’estocade au latin-lover de La dolce vita, dont l’image avait été érodée successivement, sur un mode tragique, par Antonioni dans La notte et dans Le bel Antonio. « Divorce » est ainsi l’acte de naissance flamboyant du Marcello comique (dont on avait aperçu les prémices dans deux comédies de mœurs pré-Dolce vita, Dommage que tu sois une canaille et Le bigame). Cheveux gominés, paupières lourdes, moustache de vieux beau et fume-cigarette au bec, Marcello, tout en dandysme comique, est le baron Ferdinand Cefalu, un nobliau marié à une sangsue tout en minauderies dont on pourrait dire que le seul point commun avec son mari réside dans… sa moustache.

Dans une petite bourgade de Sicile où le son lancinant des cloches de l’église s’ajoute à la chaleur écrasante, Ferdinand et Rosalia vivent dans la promiscuité avec la famille du marié : le père, la mère, la sœur et le couple occupent une aile de la maison tandis que l’oncle, la tante et la cousine se partagent le vis-à-vis. Ce qui n’est pas pour déplaire à « Fefe » qui a jeté son dévolu sur sa cousine Angela (Stefania Sandrelli), éduquée dans le plus pur rigorisme et bientôt envoyée chez les sœurs. Angela et Ferdinand, qui sont liés par une sorte de pacte amoureux tacite, s’étreignent en loucedé quand la famille a le dos tourné dans des scènes savoureuses où Germi parodie une forme ancestrale de romantisme bucolique (la ritournelle langoureuse qui scande le film participe aussi de cette délicieuse ironie). Le divorce n’ayant pas droit de cité en Italie, Ferdinand cherche un subterfuge pour se débarrasser de sa femme, seul obstacle à son union avec Angela. Chaque situation du quotidien se révèle être un terreau fertile pour son imagination. Rosalia a-t-elle le corps enfoui dans le sable, telle la Winnie de Oh les beaux jours de Beckett ? Il l’imagine avec jubilation aussitôt engloutie par les sables mouvants. Croise-t-il les parrains de la mafia à l’église qu’il s’imagine embaucher un tueur à gages pour ne pas se salir les mains. Quand soudain, dans un « eurêka » drôlissime, il prend acte de la loi et de la jurisprudence sicilienne qui couvre, voire légitime les crimes passionnels. Ni une ni deux, dans le cloaque enfumé qui lui sert de lieu de conspiration, Fefe se met en tête de jeter sa femme dans les bras d’un amant. Carmelo, soupirant transi de Rosalia et godiche à souhait, est l’homme tout trouvé.Une fois le minutieux traquenard mis en place (dispositif d’écoute et lettres anonymes à l’appui), le baronnet guette le flagrant délit…

Avec sa mise en scène enlevée et sa structure narrative ambitieuse, Divorce à l’italienne sonde l’intériorité à la fois bouillonnante et dérisoire d’un homme se rêvant en cocu. Mais Cefalu a beau être ridicule, il n’en est pas moins touchant dans sa tentative de s’émanciper du carcan sicilien, du triple enfermement dans lequel le tiennent l’église, le village et sa famille. C’est finalement la société qui poussera en dernier recours cet homme veule à se faire justice lui-même, honneur oblige, et à tuer l’amante en cavale. Vraie horlogerie comique vivifiée par des dialogues ciselés et une voix off toute en indolence et distanciation cocasse, Divorce à l’italienne ne le cède pourtant en rien à son côté brûlot, unissant dans un cocktail détonnant vigueur du pamphlet sociétal et verdeur désopilante, sans jamais basculer dans la grossièreté. Le dernier plan, d’une ironie mordante, est un ultime pied-de-nez au patriarcat et à la masculinité sicilienne, dont Divorce à l’italienne signe l’acte de décès facétieux. Marcello, entre apathie béate et pâmoison contrariée, est génial, sublimement grotesque, irrésistiblement drôle et même irrésistible tout court malgré ses tics faciaux et son pyjama à rayures. Fatalement, cette carte blanche devait se transformer en lettre d’amour au beau Marcello.

Claire M. 

La fiche

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DIVORCE À L’ITALIENNE
Réalisé par Pietro Germi
Avec Marcello Mastroianni, Stefania Sandrelli, Daniela Rocca…
Italie – Comédie
Sortie en salle : 22 Mai 1962
Durée : 119 min




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