NOCTURAMA
Paris, un matin. Une poignée de jeunes, de milieux différents. Chacun de leur côté, ils entament un ballet étrange dans les dédales du métro et les rues de la capitale. Ils semblent suivre un plan. Leurs gestes sont précis, presque dangereux. Ils convergent vers un même point, un Grand Magasin, au moment où il ferme ses portes. La nuit commence.
Paris n’est plus une fête.
POUR – Nocturama est une déflagration. Et l’effet de souffle provoqué est d’autant plus vif que le film aspire l’air du temps. Envisagé dès 2010, tourné à l’été 2015, ses résonances prophétiques font écho aussi bien à la plus grande psychose contemporaine, le terrorisme, qu’au rejet toujours plus viscéral de la classe politique par une partie de la population. Et en même temps, il convoque le spectre de la guerre civile prochaine que les Cassandre prédisent à la France. Bonello met en scène de jeunes terroristes sans expliquer clairement leurs motivations. On peut les envisager comme des réminiscences contemporaines de la bande à Baader et voir les années de plombs italiennes se rejouer dans les rues de Paris enflammées. « Je ne fais pas des films politiques, je filme politiquement », affirme le réalisateur, paraphrasant Godard. Aussi, ses personnages insurrectionnels sont aussi bien des jeunes de cités que des fils à papa sortis de Science-po. Entre eux, nulle lutte des classes mais une volonté commune de renverser l’ordre établi.
La première partie, toute en silence et en tensions, rappelle le meilleur du cinéma de Jean-Pierre Melville. Elle explore la géographie parisienne entre rues touristiques, stations de métros et immeubles de bureaux, dans un mouvement millimétré. Le deuxième acte répond à cette froideur brute par un huis-clos où la logique et la raison cèdent la place aux fantasmes et à la poésie. Le symbolisme s’invite dans le grand magasin où se sont réunis, le temps d’une nuit, les jeunes poseurs de bombes. Bonello dissémine les accessoires signifiants. Ici, une lampe au pied en forme de kalachnikov, là un terroriste face à un mannequin vêtu à l’identique, là encore, un reportage télé sur les attentats qui viennent d’être commis et noyé sous la musique qui résonne dans le magasin. Ou comment la société de consommation et la culture pop se réapproprient la violence, ses images et ses marqueurs, en la déshabillant de sa dimension traumatique pour n’en garder qu’une esthétique a priori inoffensive (alors que le problème vient peut-être du fait de cette banalisation de la violence). De même, lorsque Bonello travestit l’un des jeunes personnages s’illustrant lors d’une séquence musicale, il prend le risque de le glamoriser, en faisant de cette figure androgyne l’une des images fortes de Nocturama (susceptible de rejoindre l’imagerie pop).
Malgré son sujet, le film ne redoute pas d’être séduisant. Cette beauté, à défaut de rendre le chaos plus compréhensible, participe à la sidération éprouvée. En jouant des bégaiements de plans, des répétitions de séquences sous des angles différents et des allers-retours temporels, Bonello opte pour un montage cubiste. De même que les peintres de ce mouvement cherchaient à représenter sur un même plan les multiples dimensions d’un objet et ne pouvaient qu’aboutir à une œuvre abstraite, le réalisateur montre différentes facettes de ce groupe de terroristes, de leurs actes, de leurs destins. Chaque segment est compréhensible, mais leur agencement contribue également à les rendre insaisissables. Bonello en appelle à notre compréhension intime tout en nous faisant ressentir le vertige de ce qui dépasse l’entendement. – 8/10
CONTRE – Le talent de Bonello en termes de mise en scène est indéniable. Il en fait à nouveau étalage dans ce Nocturama écrit avant les tristes événements de 2015. Malheureusement, comme souvent, celui-ci se contente d’être un habile formaliste. On le sent, celui-ci se régale de filmer sa bande de jeunes dans un centre commercial, la nuit. Les suivre, déambulant les rayons et les étages de cette Samaritaine relookée, ça lui plait. Et ça a, visuellement, de l’allure. Reconnaissons-le. On le devine, Bonello porte en haute estime l’Elephant de Gus Van Sant. La construction de son drame de jeunesse ressemble à s’y méprendre au film palmé du cinéaste récemment mis à l’honneur à la Cinémathèque : (très) longue exposition, nombreuses scènes mutiques, jeunes errant dans les couloirs, séquence sur musique classique et épilogue dramatique. Malheureusement, celui-ci fait la même erreur de son illustre aîné : il oublie de creuser davantage ses personnages, d’étoffer son récit. Son élan poétique, louable, ne suffit pas à masquer les incohérences et faiblesses narratives.
Peut-être troublé par les terribles échos de la réalité, Nocturama semble également manquer d’ardeur. Alors que l’on pense, à mi-parcours, que le film va enfin prendre son envol, il retombe paisiblement dans son triste rythme de croisière, mollement intriguant, passablement ennuyeux. Puis, les personnages de Bonello ne déclenchent aucune compassion, ne réveillent aucune émotion. On devine vaguement leurs origines, leurs motivations, leurs parcours. Mais le spectateur, comme un voyeur devant son écran de télévision, reste à distance et observe. La révolte ne consume jamais véritablement l’écran. Bonello filme l’ennui. Quoi de plus périlleux au cinéma ?
Se contentant de singer la réalité (citant les actuels dirigeants français, reproduisant les flashs d’info de BFM…), Nocturama n’apporte pas grand chose de neuf, insuffisamment travaillé dans la fiction et trop artificiel pour s’approcher du documentaire. Son propos politique a quelque chose d’adolescent et presque démagogique. Il y a aussi une part de facilité dans son évitement – quelques explications seront suggérées par une paire de flashbacks hasardeux et bien « arrangeants ». Besoin de ménager tout le monde ? Trop proche de la réalité mais pas assez incisif, Nocturama n’a, en tout cas, absolument rien de « punk ». 4/10
La fiche
NOCTURAMA
Réalisé par Bertrand Bonello
Avec Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani, Manal Issa…
France – Drame, Thriller
Sortie : 31 Août 2016
Durée : 130 min
Rédaction – POUR : FabR ; CONTRE : ТНОМ РЯИ