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TODD SOLONDZ | Entretien

À l’occasion de la sortie de son nouveau film, le très réussi Le Teckel doublement primé au festival de Deauville 2016, nous avons pu nous entretenir avec l’un des cinéastes américains les plus grinçants des 20 dernières années : Todd Solondz. Il ne faut pourtant pas se fier à la cruauté de ses films, car c’est avec chaleur et enthousiasme qu’il nous a accueilli au téléphone. Entretien avec un original.

Pourquoi avez-vous décidé de faire un film à propos de la vie à travers le regard d’un chien ?

Todd Solondz : Je voulais faire un film sur un chien et je pensais au film de Robert Bresson avec l’âne, Au Hasard Balthazar. Je l’ai vu et revu, et je pense que cela m’a donné l’impulsion pour me lancer dans ce projet. Alors, bien sûr, il s’agit d’un film avec un chien, mais ce n’est pas un film sur un chien à proprement parler. C’est davantage un concept, Le teckel traite avant tout de la mortalité. Il est construit autour de la trajectoire de vie d’un chien, qui passe de propriétaire en propriétaire, et qui apporte un sens différent à chacune de ces histoires sur lesquelles plane toujours la notion de mortalité.

Chacun des segments du film représente un âge spécifique de la vie.

T. S. : Exactement, plus on avance et plus les protagonistes vieillissent. Et ce chien, qui est évidemment adorable et très mignon, m’a semblé être l’élément idéal pour atteindre mon but. Et puis je me suis souvenu que j’avais créé un personnage pour Bienvenue dans l’âge ingrat, dont le nom était « Wiener » (qui signifie « saucisse » en anglais, « Wiener-dog » étant le nom du teckel en anglais – ndlr).

C’est la raison pour laquelle vous avez choisi un teckel, en particulier… 

T. S. : Oui car c’est un chien qui est aimé pour son aspect mignon et noble. Et mon personnage s’appelant « Dawn Wiener », cela m’est apparu comme un choix évident.

C’est la première fois que vous travaillez avec Greta Gerwig, qui semble être une addition évidente à votre univers. Et justement, vous la choisissez pour incarner Dawn Wiener, personnage déjà apparu dans Bienvenue dans l’âge ingrat puis Palindromes. Comment s’est passée votre collaboration ?

T. S. : Elle avait passé une audition pour l’un de mes films précédents, c’est une actrice qui possède cette grande qualité qui est d’avoir l’air vulnérable, et c’est justement ce que je voulais apporter à cette version adulte du personnage de Dawn Wiener. Donc Greta est la première personne que j’ai choisie pour mon film. Je l’adore, elle est délicieuse, c’était vraiment génial de travailler avec elle.

Avez-vous l’intention d’inclure quelques-uns de vos personnages du passé dans vos films à venir ?

T. S. : Ça n’a jamais été mon intention, mais c’est en tout cas comme ça que ça s’est fait. Par exemple, le prochain film sur lequel je travaille se déroulera au Texas et il y aura plusieurs personnages issus de quelques-uns de mes films précédents. Cela dépend vraiment des besoins que j’ai.

Dans vos films, on retrouve souvent une figure pouvant représenter votre alter-ego à l’écran, tel que le personnage de Paul Giamatti dans Storytelling. Dans Le Teckel, de quel personnage vous sentez-vous le plus proche ?

T. S. : Je ne sais pas si je décrirais spécifiquement Paul Giamatti comme un alter-ego. Ma présence dans chacun de mes films est davantage insufflée par l’ensemble du casting. Dans Le Teckel, il y a plusieurs personnages qui me ressemblent, mais il n’y en a pas un en particulier dont je me sente le plus proche.

Au sujet de Storytelling, il y a une légende disant qu’il existe un sketch du film, resté inédit à ce jour, mettant en scène James Van Der Beek (le comédien rendu célèbre via la série Dawson). Est-ce vrai ?

T. S. : Beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet mais elles sont très erronées. Ce que j’ai décidé de retirer du film est un épilogue, d’une durée d’environ 2 minutes, mais il n’inclut pas James Van Der Beek. J’aimais beaucoup cet épilogue, mais je n’ai pas pu le garder. Parfois vous devez couper des éléments que vous aimez car c’est bénéfique pour le film. Mais un jour peut-être, cet épilogue refera surface quelque part.

Quant à James Van Der Beek, il avait été casté pour l’un des sketchs, mais j’ai dû le couper du montage non pas à cause de sa performance, mais plutôt à cause de la structure globale que prenait le film.

C’est le mélange de comédie et de pathos qui m’intéresse le plus.

Aujourd’hui, nous avons l’habitude de voir, notamment sur internet, une multitude de petites vidéos “mignonnes” sur des chats et des chiens. Est-ce quelque chose que vous vouliez éviter d’inclure dans votre film ?

T. S. : Selon moi, si vous voulez voir des vidéos Youtube, c’est inutile d’aller au cinéma. Le film représente l’occasion d’aller plus loin dans la compréhension de ce que représente le fait d’avoir un animal, d’analyser cette relation étrange entre l’animal et son propriétaire. Car il faut voir ces propriétaires comme des réceptacles, que l’on peut remplir de rêves, d’illusions, et sur lesquels on peut projeter de l’innocence et de la pureté. Alors que du côté de l’animal, il est très difficile de voir un chien tel qu’il est réellement, tant nous avons tendance à les anthropomorphiser.

Et, visiblement, vous n’étiez pas spécialement “fan” des teckels car vous ne les trouvez pas très intelligents.

T. S. : Non ! C’est évidemment un chien très mignon mais je ne savais pas à quel point ils sont stupides jusqu’à ce que l’on commence le tournage ! 

J’ai eu pendant longtemps un teckel et je peux vous assurer qu’ils sont plus intelligents que vous ne le pensez !

L. S. : Et bien nous en avons eu 4 ou 5 à notre disposition, et ils étaient tous aussi bêtes les uns que les autres ! J’ai appris que l’un de leurs problèmes est lié au fait qu’ils sont élevés principalement pour leur apparence et cela a développé une déficience mentale dans la race. C’est à cause de la demande croissante du marché que la constitution du chien s’est retrouvé affectée. Et cela touche d’autres races de chiens, comme le bulldog qui est lui aussi élevé pour aspect.

Vos films mêlent toujours humour et malaise avec une grande maestria, quel est votre secret pour que cela fonctionne aussi bien ?

T. S. : Ce n’est pas véritablement un secret ou une recette spéciale, mais plutôt une réflexion qui mélange la comédie et le pathos. C’est une façon de voir le monde de manière à ce qui est drôle peut aussi être vu comme étant triste, et vice versa. Et c’est le mélange de ces deux éléments qui m’intéresse le plus en tant que cinéaste.

Dans Le Teckel il y a une scène très drôle, et même temps assez malaisante, d’un entretien entre un jeune étudiant en cinéma et ses professeurs. Que pensez-vous de la façon dont on étudie le cinéma, aujourd’hui ? Voyez-vous ça d’un œil optimiste ?

T. S. : L’époque que nous vivons est absolument idéale si l’on souhaite devenir soi-même un cinéaste, la technologie est tellement avancée et l’accès aux films est aujourd’hui totalement simplifié. Mais d’un autre côté, de moins en moins de spectateurs vont au cinéma. Les jeunes d’aujourd’hui ne vont plus autant au cinéma que par le passé. Par conséquent, il est de plus en plus difficile de réunir un budget pour un film fait en dehors du système des studios. Mais chaque année, il y a certains films semblant venir de nulle part qui me surprennent et me rendent optimiste quant à l’avenir du cinéma.

Vous donnez vous-même des cours à l’université. Qu’essayez-vous de transmettre à vos élèves ?

T. S. : Effectivement, j’enseigne à l’université de New York. On ne peut pas réellement apprendre aux étudiants comment écrire, comment réaliser ou comment devenir un cinéaste. Mais je peux les guider du mieux que je peux, afin qu’ils aient une meilleure idée de qui ils sont en tant que personnes, et donc en tant que futurs cinéastes.

La société actuelle est de plus en plus sensible sur certains sujets, comme le sexe par exemple. Vous qui avez une voix particulière dans le cinéma américain actuel, est-ce que cette sensibilité influe sur votre manière d’écrire ?

T. S. : Je me dois d’être conscient de ça. Si vous êtes un artiste, un cinéaste, vous devez avoir une certaine conduite et être conscient du « zeitgeist » (l’air du temps). Mais ça ne m’inhibe en aucun cas dans mon écriture, et ce peu importe le sujet que je souhaite traiter. 

Propos recueillis et édités par Florent Dufour et Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir
Entretien réalisé par téléphone le 29 Septembre 2016.

L’avis de notre rédacteur : Un film à sketchs au postulat simple : dresser le portrait d’un teckel et surtout de ses différents propriétaires auxquels il apportera un bref instant de bonheur. Un teckel sous le prisme duquel nous assistons aux petits bouts de vie de quatre personnages, chacun d’entre eux représentant un moment de l’existence. Un dispositif d’apparence limpide, qui pourrait laisser croire que Todd Solondz s’est assagi et qu’il s’agit ici de sa première comédie légère, mais ne soyez pas dupes : une nouvelle fois, le cinéaste ne se sépare pas de ce cynisme teinté de mélancolie qui lui est cher.




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