TU NE TUERAS POINT
Quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté, Desmond, un jeune américain, s’est retrouvé confronté à un dilemme : comme n’importe lequel de ses compatriotes, il voulait servir son pays, mais la violence était incompatible avec ses croyances et ses principes moraux. Il s’opposait ne serait-ce qu’à tenir une arme et refusait d’autant plus de tuer. Il s’engagea tout de même dans l’infanterie comme médecin. Son refus d’infléchir ses convictions lui valut d’être rudement mené par ses camarades et sa hiérarchie, mais c’est armé de sa seule foi qu’il est entré dans l’enfer de la guerre pour en devenir l’un des plus grands héros. Lors de la bataille d’Okinawa sur l’imprenable falaise de Maeda, il a réussi à sauver des dizaines de vies seul sous le feu de l’ennemi, ramenant en sûreté, du champ de bataille, un à un les soldats blessés.
Messie au front.
Voir Mel Gibson s’atteler au film de guerre, lui qui avait déjà tâté le sujet avec le monstre épique qu’était Braveheart en 1995, forcément cela excite l’amateur du genre. Entre Braveheart et ce Tu ne tueras point, le cinéaste australien a réalisé l’un des films les plus douloureusement sanglants de l’histoire du cinéma, avec La Passion du Christ avant de mettre en scène l’étourdissant (mais non moins généreux en hémoglobine) Apocalypto. On pouvait donc s’attendre à ce qu’il nous offre là encore une joyeuseté gore dont il a le secret. Car une chose est sûre : ce bon vieux Mel ne s’est pas assagi.
Le film démarre pourtant sur un schéma plutôt classique, suivant le cheminement auquel on peut s’attendre d’un film de guerre : le héros (un Andrew Garfield un peu pâlot) tombe amoureux d’une jolie infirmière (Teresa Palmer), s’enrôle dans l’armée et subit la dureté des camps d’entraînement avant d’être envoyé sur le front. Mais là où le film se démarque, c’est que le héros en question est en fait un pacifiste : ce n’est pas pour enlever des vies qu’il part faire la guerre, mais pour en sauver.
En partant de la véritable histoire de Desmond Doss, objecteur de conscience américain au destin hors normes, Gibson confronte ce jeune homme idéaliste à la dure réalité des combats. Il est parfois difficile de ne pas tourner de l’œil face à certaines scènes : imaginez la fureur dégagée par les scènes de Braveheart, rajoutez-y le sanglant de La Passion du Christ et la tension d’Apocalypto, vous aurez une idée de ce que représentent les scènes de batailles de Tu ne tueras point. C’est une véritable boucherie, à base de membres arrachés, de grandes gerbes de sang et de tas de cadavres abandonnés à chaque coin de l’écran. Sans mauvais jeu de mots, Gibson n’y va pas de main morte au niveau graphique. On regrettera en revanche l’utilisation quelque peu abusive du sang numérique, qui a tendance à minimiser son impact sur le spectateur, même si le visionnage n’en reste pas moins éprouvant.
Au milieu du chaos subsiste un îlot d’espoir incarné par Desmond Doss, en mission quasi-christique (Mel Gibson oblige) de sauver le plus de soldats possible au péril de sa propre vie. Passage obligé, Tu ne tueras point donne lieu à des séquences à l’héroïsme un peu trop ronflant et grandiloquent sur fond de musique larmoyante. Il n’est cependant pas interdit de sentir quelques poils se dresser malgré la grande naïveté de cette oeuvre sans concession mais indéniablement sincère. On retrouve ainsi ce qui fait l’essence même de l’œuvre de Mel Gibson : c’est parfois lourd, souvent maladroit (le piège du pathos n’est pas toujours évité) mais souvent cela reflète pleinement la personnalité de son auteur. Gibson a foi en ce qu’il fait, comme il a foi dans ce medium transcendant qu’est le Cinéma. En n’usant que très rarement du second degré – pourtant très normé aujourd’hui à Hollywood – le cinéaste australien poursuit son dessein : montrer l’homme dans ce qu’il a de pire (la cruauté aveugle) comme dans ce qu’il a de meilleur (l’amitié, la bravoure, le courage). Certains condamneront son manque de subtilité. Mais rejeter en bloc son travail serait faire preuve d’un cynisme mal placé car il a cette capacité inouïe à donner une ampleur épique à tout ce qu’il touche et le transformer en grand moment de spectacle total. Et ce côté résistant a quelque chose d’héroïque.
C’est parfois lourd et indigeste mais il mérite d’être vu, ne serait-ce que pour ce destin exceptionnel.