JUSTICE LEAGUE | Explosion et, déjà, lassitude des « Universe » au cinéma
Au détour d’une énième bande-annonce de suite de franchise, difficile d’en croire ses yeux. Incroyable mais vrai, les premières images promotionnelles du film Annabelle 2 dévoilent la création d’un « Conjuring Universe ». Retour sur cette nouvelle mode qui a tendance à gangrener Hollywood depuis plusieurs années.
Marvel enfile le costume en premier
Si vous pensiez avoir tout vu avec Hollywood, vous allez être surpris en découvrant le principe des « Universe ». L’idée remonte à la sortie des films Marvel sous la houlette de Kevin Feige. En tant que grand fan de comics, mais surtout en bon businessman, le grand manitou du collant de couleur au cinéma tente de créer un lien entre tous les films de la franchise. Iron Man rencontre Captain America ou encore Thor pour offrir The Avengers, super-production héroïque à plusieurs millions de dollars qui trouve immédiatement son public.
Fort de ce succès, plusieurs autres super-héros débarquent par la suite sur grand écran pour compléter le tableau, mais surtout enrichir la fresque de Marvel et réaliser des réunions toujours plus colossales. Ont déjà pris leurs repères chez le grand public, Les Gardiens de la Galaxie, Ant-Man ou Doctor Strange, tandis que d’autres devraient arriver dans les années à venir (Black Panther, Spider-Man, Captain Marvel). Cette énorme entreprise est appelée par Kevin Feige le Marvel Cinematic Universe. Son concurrent de toujours, DC Comics, détenu par la Warner, a également développé le DC Comics Cinematic Universe avec en ligne de mire sa Justice League. Sauf que de son côté, la Warner rame un peu plus pour convaincre les spectateurs, partie avec un retard non négligeable et subissant une vague de critiques négatives sur leurs propres tentatives gargantuesques – les flops Batman v Superman et Suicide Squad en têtes de gondole et bonnets d’âne.
Tout est une copie, d’une copie, d’une copie
Depuis bientôt plusieurs années, les spectateurs se retrouvent assénés de productions bien souvent vides dont le seul intérêt réside dans une espèce de fidélisation du spectateur. Le meilleur exemple ? Les scènes post-génériques devenues teasant une suite sans doute aussi plate, ou l’intervention fantasmée d’un autre héros de l’Universe en question. Les blockbusters de l’écurie Marvel Studios sont devenus des copies de copies sans intérêt. Les réalisateurs ne servent qu’à remplir un cahier des charges, Kevin Feige veillant au grain. A part Les Gardiens de la Galaxie (merci James Gunn), la plupart des films ne ne distinguent pas par la patte de leur réalisateur et les frères Russo sont devenus l’exemple typique de cinéastes de commande « soulless » : ce n’est pas pour rien qu’ils seront à la tête d’une multitude de films à venir.
Mais le vrai problème ne réside pas là. Le vrai problème tient dans ce que de nombreux studios et producteurs commencent à prendre exemple sur ce modèle. Les talentueux Tom Hiddleston et Brie Larson (en plus de prêter respectivement leur image à Marvel dans les rôles de Loki et Captain Marvel) ont décidé de rejoindre le « Monster Universe » à travers Kong : Skull Island. Un univers censé faire s’affronter plusieurs monstres mythiques du cinéma comme King Kong et Godzilla. Universel réplique alors avec son « Dark Universe » dont fera partie… La Momie. Les studios l’ont bien compris : face à la concurrence des séries télévisées et leur pouvoir de fidélisation, il faut obliger le spectateur à venir plusieurs fois au cinéma découvrir des films liés entre eux. Des films qui reprennent le modèle de Marvel Studios avec cette fameuse scène post-générique pour teaser une suite encore plus grande, impressionnante et incroyable !
Blockbuster et qualité n’ont jamais été incompatibles mais face à la pression financière, les producteurs préfèrent offrir des films facilement accessibles, pas mauvais en soi mais immédiatement oubliables. Impossible de ne pas ressentir face à ces super-productions la sensation qu’il manque un petit quelque chose, une scène ou une mise en scène forte capable de marquer les esprits… The Dark Knight y arrivait pourtant parfaitement en alliant la patte de Christopher Nolan, une réappropriation du mythe de Batman et un univers travaillé. Bien sûr, ce film de super-héros aux allures de thriller est arrivé bien avant les fadasses Marvel Cinematic Universe et DC Comics Cinematic Universe.
The Philosophy of Time Travel
C’est toujours lorsqu’on croit avoir tout vu que l’improbable se produit. Préparez-vous donc à voir débarquer le Conjuring Universe. Ceci n’est pas une blague : le trailer de Annabelle 2 l’annonce clairement tout comme l’officialisation d’un spinoff centré sur la Nonne maléfique de Conjuring. Blumhouse n’a désormais plus de limites et les fans de cinéma horrifique craignent de voir se croiser le fantôme de Paranormal Activity avec l’une des créatures d’un énième film du producteur. Cerise sur le gâteau : l’actrice jouant la gamine possédée (du plutôt correct) Ouija 2 aura également une place dans Annabelle 2. Une nouvelle qui laisse penser que la comédienne reprendra le même rôle pour un lien direct entre les deux films et ainsi mettre en place ce Conjuring Universe. Le seul moyen d’arrêter cette dégénérescence ? Que le public se détourne progressivement de ces univers connectés qui occupent un marché déjà engorgé d’une multitudes de sorties dont certaines sont beaucoup plus intéressantes. Le meilleur exemple reste peut être l’année 2015 pendant lequel Disney, propriétaire de Marvel Studios, fît le choix de ne pas promouvoir l’excellent et original A la poursuite de demain, acceptant de laisser ce dernier se vautrer lamentablement au box-office au profit de ses productions super-héroïques. Un gâchis.
Conjuring Universe, DC Comics Universe, Marvel Cinematic Universe… Une désagréable sensation s’installe : celle que les blockbusters ne peuvent plus se considérer par eux-mêmes. Qu’on en sacrifie leur portée intrinsèque sur l’autel d’un grand arc scénaristique qu’on dit complet. Sauf qu’en repoussant, un film après l’autre, le grand pay-off moral ou la portée intellectuelle de leur saga via de nouveaux croisements, de nouvelles suites et de nouveaux « affrontements finaux », les producteurs cachent de plus en plus mal le vide qui souffle derrière le rideau des milliards fanfaronnés au box-office. On a sauvé la fille, puis la famille, puis New York, puis les Etats-Unis, puis le monde, puis l’univers. On nous prépare un affrontement dans les multivers et les temporalités parallèles. Et après ? Une fois qu’il n’y aura plus d’échelle supérieure de destruction, collera-t-on au cycle de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, à sauver de nouveau la fille, puis la famille, etc. ? À confondre nouveauté et oubli ? Au passage, pas étonnant que Edge Of Tomorrow, même s’il est hors carcan d’Universe, soit le blockbuster le plus réussi de ces dernières années, ayant intégré au sein même de son scénario et de son propos ces questions là.
Tels qu’ils sont partis, voilà ce à quoi sont destinés les Universe. À être pris au piège d’une boucle temporelle, façon Doctor Strange, où le spectateur est condamné à l’ennui perpétuel. Comment s’en sort le vilain, dans le film de Scott Derrickson ? En acceptant d’abandonner sa soif de pouvoir, qu’on peut retransposer ici, côté geeks et cinéphiles, par l’abandon de notre soif de blockbusters. En attendant que les producteurs ne proposent un nouvel « Universe » tiré par les cheveux (pourquoi pas le Dupuis Universe franco-belge avec la future sortie du Petit Spirou et de Spirou tant que nous y sommes ?), la meilleure solution reste d’ignorer ces films qui ne feront pas date dans l’histoire du cinéma.