LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE
Dans les années 30, Célestine, une jeune femme de chambre de 32 ans, arrive de Paris pour entrer au service d’une famille de notables résidant au Prieuré, leur vaste domaine provincial. La maîtresse de maison, hautaine et dédaigneuse avec sa domesticité, est une puritaine frigide, maniaque et obsédée par la propreté. Célestine doit alors affronter les avances du mari sexuellement frustré, ainsi que le fétichisme du patriarche, un ancien cordonnier qui lui demande de porter des bottines qu’il tient jalousement enfermées dans un placard…
Une société divisée.
Premier film français de Luis Buñuel, Le Journal d’une femme de chambre dresse un portrait sombre d’une société plus que jamais divisée. Plaçant son action dans les années 30, le cinéaste derrière Belle de Jour prouve qu’il aime plus que jamais filmer les femmes. Sublime Jeanne Moreau en Célestine, froide parisienne débarquée en province pour jouer les domestiques dans une immense demeure. Une drôle de profession, sorte d’esclavage moderne destiné aux bourgeois trop gauches pour bouger le moindre petit doigt. C’est en tout cas le portrait qu’en fait Buñuel à travers une galerie de personnages tous plus absurdes les uns que les autres.
Dans Le Journal d’une femme de chambre, personne n’est épargné. Lorsque Célestine n’encaisse pas les remontrances d’une femme jalouse, elle doit répondre au fétichisme étrange du père de cette dernière. Son petit plaisir ? Que la domestique lui lise des œuvres littéraires, paire de bottines sexy aux pieds. Buñuel prend le soin de caractériser ses personnages par un trait de personnalité les rendant tous détestables. Du voisin antisémite n’hésitant pas à traiter l’un de sale juif alors que le domestique exprime son ras-le-bol des métèques. L’impression d’assister à une énorme bouffonnerie tandis que Célestine reste impassible. Dans cette petite bourgade, les femmes y sont frustrées, médisantes, les hommes violeurs, menteurs…
Buñuel opère une transformation radicale chez Célestine lors de la mise en scène du viol puis du meurtre d’une petite fille, comme « dévorée » par des escargots. La femme passe de spectatrice quasi muette à justicière usant de ses charmes pour retrouver le meurtrier. La femme se faufile, guettant la moindre preuve permettant de faire tomber celui qu’elle soupçonne de cet acte odieux. S’offrir à lui pour obtenir la vérité ne dérange nullement celle qui reste de marbre qu’importe les événements.
Toujours maître de la mise en scène, Buñuel opte pour le noir et blanc et souligne la terrible sombreur de ce récit aux airs de comédie glauque. Une vision pessimiste du monde qui trouve son écho ultime dans cette scène finale d’un défilé fasciste pendant lequel les manifestants scandent « Vive Chiappe » sous des bannières « La France aux français ».
Un film intemporel qui brille par la présence de Jeanne Moreau, son drôle de bestiaire et ses allures de comédie noire dérangeante.
La fiche
LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE
Réalisé par Luis Buñuel
Avec Jeanne Moreau, Georges Géret, Michel Piccoli…
France, Italie – Comédie dramatique, Policier, Drame
Sortie : 4 mars 1964
Durée : 92 min