INCENDIES
À la lecture du testament de leur mère, Jeanne et Simon Marwan se voient remettre deux enveloppes : l’une destinée à un père qu’ils croyaient mort et l‘autre à un frère dont ils ignoraient l’existence. Jeanne voit dans cet énigmatique legs la clé du silence de sa mère, enfermée dans un mutisme inexpliqué les dernières semaines précédant sa mort. Elle décide immédiatement de partir au Moyen Orient exhumer le passé de cette famille dont elle ne sait presque rien… Simon, lui, n’a que faire des caprices posthumes de cette mère qui s’est toujours montrée distante. Mais son amour pour sa sœur jumelle le poussera bientôt à rejoindre Jeanne et à sillonner avec elle le pays de leurs ancêtres sur la piste d’une mère bien loin de celle qu’ils ont connue.
Dédale familial.
Avant de devenir un des réalisateurs les plus courus de la planète (Sicario, Premier Contact et bientôt Blade Runner 2049 et Dune) et bénéficiant d’une hype sans précédent (dans la short list pour mettre en scène le prochain James Bond), Denis Villeneuve est apparu sur l’échiquier du cinéma québécois avec deux films au style très marqués : Polytechnique et Incendies.
Si le premier joue avec les codes du documentaire pour raconter une tuerie s’étant réellement déroulée à l’école Polytechnique de Montréal, Incendies rabat les cartes du drame familial au sein d’un conflit au Moyen-Orient. Jouant habilement avec les lieux, les époques, les genres et les personnages, on a du mal à imaginer que ce film soit d’abord une pièce de théâtre (de Wajdi Mouawad). Si la pièce laisse imaginer une mise en scène singulière, son adaptation se révèle plus que logique et Denis Villeneuve a su raconter avec génie ce récit brutal et bouleversant. Celui où la mort d’une mère va permettre à des jumeaux d’apprendre à travers le testament de cette dernière, l’existence d’un père et d’un frère méconnu. Cette révélation lance une quête identitaire qui va faire éclater le lourd passé de leur mère au milieu d’une longue guerre de religions qui ne dit pas son nom (on pense clairement au conflit libanais).
Entre un jeu de piste qui s’annonce compliqué et des flash-backs qui vont permettre de retracer une histoire vertigineuse, Incendies se mue en véritable tragédie grecque sur fond de guerre et de crise politique. Le film a une portée géopolitique importante et revient sur un épisode trop peu connu des pays occidentaux. Sans jamais prendre parti, l’histoire montre au contraire les pires travers de l’âme humaine du côté des deux camps (chrétiens et musulmans) et réserve son lot de scènes parfois insoutenables.
L’actrice belge Lubna Azabal, dans le rôle éprouvant de la mère, tient à elle toute seule ce puit émotionnel qu’est Incendies. Villeneuve captive, avec sa caméra qui fait des allers-retours entre lyrisme et réalisme cru et peut compter sur un scénario d’emblée puissant pour raconter l’impensable et imposer cette véritable claque narrative.
Grande histoire à la portée universelle, Incendies n’a pas fait d’étincelles à sa sortie (malgré 350 000 entrées en France et un joli succès au Québec) mais appartient à cette race de films qui se partagent, se prêtent, se conseillent et dont le destinataire est toujours bouleversé lorsqu’il évoque son visionnage.