FESTIVAL LUMIÈRE 2017
Depuis trois ans, Le Bleu du Miroir pose ses bagages dans la capitale des gones, le temps du Festival Lumière se déroulant cette année du 14 au 22 Octobre 2017. Notre rédacteur local, Fabien Genestier (aka Squizzz), vous propose son carnet de bord du festival pour ne rien manquer des faits marquants de cette nouvelle édition…
Jour 9 – In the Mood for Lumière
C’est déjà le dernier jour du festival… Avant la clôture, je m’octroie une avant-dernière séance matinale, à la découverte d’une rareté du cinéma allemand, Jeunes filles en uniforme, sélectionné dans la rétrospective « Histoire permanente de femmes cinéastes ». Réalisé en 1931 par Léontine Sagan, le film est, pour Delphine Gleize venue présenter la séance, « une vraie œuvre féminine » dans le sens où elle a été mise en scène et écrite par des femmes et qu’absolument tous les personnages sont féminins. Par ailleurs, la réalisatrice française y voit « un film entre M le maudit et Zéro de conduite », d’une part par la façon dont il sous-entend la montée du totalitarisme dans une Allemagne pré-nazisme, et d’autre part par la confiance qu’il met en la jeunesse.
Jeunes filles en uniforme raconte l’arrivée dans un pensionnat très strict d’une jeune fille qui va tomber amoureuse d’une de ses professeures, et est de ce fait l’un des tout premiers films à traiter du sujet de l’homosexualité féminine, tabou à l’époque. Si le film répond aux codes chastes des années 30, avec une seule scène de délicat baiser sur la bouche, la façon dont Léontine Sagan filme les visages de ses actrices sous-entend tout le désir des passions amoureuses. Pour autant, même si le film sera un succès, ce thème majeur de Jeunes filles en uniforme sera souvent tu par la critique, et entrainera même une interdiction du film sous le régime nazi, interdiction également liée au message très clairement anti-militariste développé par Léontine Sagan et sa scénariste Christa Winsloe.
Présenté dans une vieille copie 35 mm, qui a sans conteste son charme, Jeunes filles en uniforme mériterait cependant incontestablement d’être restauré pour être mis à la portée de tous, tant le film traite admirablement et avec une résolue modernité de la jeunesse et de la lutte contre l’oppression.
C’est en fin d’après-midi que s’est clôturé le Festival Lumière. Si le soleil avait disparu au profit des nuages et du froid, la chaleur était bien de mise dans les cœurs à la Halle Tony Garnier, où des milliers de personnes étaient venues saluer Wong Kar-wai une dernière fois avant son retour à Hong Kong. Après la diffusion du remake de La sortie des usines Lumière tourné par le Prix Lumière la veille, le réalisateur chinois est monté sur scène ovationné par toute la salle. Il s’est exprimé en chinois devant une assemblée où ses compatriotes étaient nombreux, évoquant le fait que « le cinéma n’avait pas de nationalité et qu’il était fier d’appartenir à un cinéma chinois qui était une part de l’héritage des frères Lumière » et espérant qu’il y aurait « encore beaucoup de cinéastes chinois et hongkongais qui viendraient à Lyon ».
Cette cérémonie s’est terminée avec la projection du plus célèbre film de Wong Kar-wai, le magnifique In the Mood for Love.
>> Lire la critique du film
Revoir, redécouvrir, In the Mood for Love fut l’ultime instant de grâce d’une magnifique édition du Festival Lumière, et ne peut que nous donner envie de revenir l’année prochaine…
Jour 8 – Retour aux origines du cinéma libanais
Le Festival Lumière est toujours l’occasion de découvrir des films méconnus, notamment à travers la sélection « Trésors et curiosités ». Cette année, on pouvait ainsi, entre autres, découvrir Vers l’inconnu ?, considéré comme le premier film d’auteur libanais. Son réalisateur, Georges Nasser, après avoir étudié le cinéma aux Etats-Unis, est revenu dans son pays d’origine au cours des années 50 et, au milieu d’une production cinématographique très pauvre et tournée essentiellement vers le modèle égyptien, décida de réaliser un premier film avec une identité libanaise propre. La quasi inexistence de structures cinématographiques dans le pays le contraint à un tournage s’étalant sur dix mois, dans des conditions compliquées, proches du cinéma amateur. Ce premier film, s’il ne sera que très peu diffusé dans son pays d’origine, ouvrira cependant la porte à une visibilité internationale à travers notamment une sélection en compétition cannoise.
Vers l’inconnu ? tire sa force des conditions particulières dans lesquelles il a été réalisé et de la volonté d’émancipation de son réalisateur. De là ressort une véritable passion, un véritable besoin de cinéma dans le film. Son sujet révèle ce même désir de témoigner de la réalité d’un pays. En effet, en racontant l’histoire d’une famille de paysans confrontée à l’envie d’ailleurs d’un père puis d’un fils, il décrit la pauvreté des campagnes libanaises et la croyance en un Eldorado, dont la recherche s’avèrera pourtant vaine. Un thème oh combien encore aujourd’hui d’actualité, que Nasser traite, au moins sur le papier, avec subtilité.
L’écriture est souvent trop démonstrative, la direction artistique figée et l’interprétation emprunte trop au sur-jeu de la tragédie grecque, mais le besoin viscéral de cinéma et la volonté de dire des choses qui comptent pallient aux imperfections de ce premier long métrage réalisé dans des conditions difficiles.
Jour 7 – Wong Kar-wai, Prix Lumière
En ce vendredi, trois mille personnes étaient rassemblées pour honorer Wong Kar-wai, à travers une cérémonie qui, comme les films du maître chinois, fut ponctuée de nombreux intermèdes musicaux. C’est Diane Dufresne qui a ouvert le bal, en reprenant La Bohème, en hommage à Charles Aznavour, présent ce soir et qui sera l’invité spécial du festival ce week-end. Puis ce sont des musiques des films de Wong Kar-wai qui rythmèrent la soirée, du thème d’In the Mood for Love, interprété par la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton, à Happy Together, en passant par Quizás, quizás, quizás, chanté a cappella par Camelia Jordana.
Même Christopher Doyle, chef opérateur attitré de Wong Kar-wai de Nos années sauvages à 2046, a choisi de saluer son ami en musique. Il avait en effet préparé un petit montage d’images inédites tirées d’In the Mood for Love sur Je veux qu’il revienne de Françoise Hardy, en entonnant lui-même les paroles de la chanson comme un cri du cœur envers celui avec qui il n’a pas travaillé depuis plus de dix ans.
C’est ensuite Olivier Assayas, qui a contribué à faire connaître le cinéma de Honk Kong et qui a côtoyé Wong Kar-way lorsqu’il était marié à Maggie Cheung, qui est venu évoquer le travail du réalisateur. Pour lui, Wong Kar-way est le premier à avoir vraiment filmé Hong Kong, à avoir montré la beauté et la poésie de la ville. « Le cinéma de Wong Kar-wai est construit sur l’éphémère, l’éphémère de l’exil, l’éphémère d’une ville installée au bort d’un précipice qui est celui de son identité constamment incertaine. » « Wong Kar-wai a réussi à capter cette énergie dans son cinéma, mais il y a aussi la nostalgie de l’exil, la nostalgie du Shanghai des années 30, capital de la modernité chinoise, à une époque où elle était rivale de l’Europe et de l’Amérique. » « Wong Kar-wai est le cinéaste du souvenir du souvenir. » Pour Olivier Assayas, il transgresse les règles pour saisir « le noyau vivant des choses », pour en saisir une poésie authentique. Revenant également sur la beauté formelle de ses films, le réalisateur a souhaité également rendre hommage à l’ensemble des collaborateurs de Wong Kar-wai, qui ont permis au réalisateur de concrétiser son art.
C’est ensuite Bertrand Tavernier qui a, comme à son habitude, offert un très beau texte à Wong Kar-wai, évoquant « le cœur qui bat dans tous ses films. Mis à nu, écorché, il s’arrête, repart, s’emballe, palpite comme un oiseau blessé à même l’écran qu’il irrigue de bouffées de vie, de bouffées de sang. On sent ses pulsations, ses emballements, les moments où il se fige. » Le réalisateur français a aussi évoqué la temporalité chez celui qui bouscule les codes de la narration. « Le temps qui ronge, qui corrode, qui exacerbe les passions ou les anesthésie, qui transforme un couple d’amoureux en étrangers, ou vice-versa. Ce temps qu’on n’arrive pas à retenir, à canaliser et que l’on tente de dompter, d’endiguer. »
Après ces vibrants hommages, c’est au tour de Wong Kar-wai de monter sur scène, et d’évoquer l’histoire d’un magicien chinois qui, à l’époque des frères Lumière, fut tellement subjugué par cette nouvelle forme de magie qu’il abandonna son art pour celui du cinéma. « Merci aux frères Lumière. C’est grâce à eux que beaucoup d’entre nous réunis ce soir avons la chance de pouvoir faire des tours de magie. » Le réalisateur a ensuite demandé à son épouse de le rejoindre sur scène pour recevoir avec lui son prix, qu’il lui a dédié, à elle sa muse. Et c’est Isabelle Adjani qui a clôt cette cérémonie en venant leur remettre le Prix Lumière 2017.
La soirée s’est ensuite poursuivie avec la projection des Anges déchus, film kaléidoscopique sur des êtres perdus dans la nuit de Hong Kong éclairée aux néons. Sans réel fil narratif, les personnages et les trajectoires se croisent et s’entrechoquent dans une poésie sublime. Une poésie graphique, qui se joue de tous les codes, l’objectif grand angle déformant l’image, les couleurs saturées côtoyant le noir et blanc, la composition de certains plans défiant la logique. Mais également poésie de l’insolite, de l’émotion, des sensations. Les Anges déchus est un film unique à l’atmosphère vaporeuse et enivrante, parfaite pour conclure cet hommage à l’un des réalisateurs majeurs du cinéma contemporain.
Jour 6 – Deux grands maîtres de la mise en scène : Clouzot et Friedkin
Comme chaque année, le Festival Lumière rend hommage à un grand réalisateur français. Pour cette neuvième édition, il s’agit d’Henri-Georges Clouzot, dont la rétrospective propose notamment de redécouvrir le classique Les Diaboliques. Considéré comme une sorte de film charnière dans la carrière du metteur en scène par Anne Le Ny, venue présenter la séance, Les Diaboliques est un film « plus mécanique que ses précédents. L’amour n’y est plus que domination, sadisme, masochisme et manipulation. Il y a un durcissement, une crispation de Clouzot sur ses propres obsessions, l’entrainant vers un cinéma moins aimable, moins humain. » Par ailleurs, dix ans avant L’Enfer, « le réalisateur commence à flirter avec la folie et la paranoïa ».
La réalisatrice est également revenue sur les différents liens qui ramènent le film à Hitchcock. Le metteur en scène britannique lorgnait en effet également sur les droits du roman Celle qui n’était plus, dont s’inspire le film. Frustrés de ne pas avoir été adaptés par Hitchcock, les auteurs Boileau-Narcejac écriront d’ailleurs un autre roman dans la même veine, D’entre les morts, dans l’espoir qu’il devienne un film d’Hitchcock, et qui donnera effectivement naissance au célèbre Vertigo. Par ailleurs, Clouzot bouscula les codes de la distribution pour préserver le suspens de son film, puisqu’il demanda aux exploitants de fermer les portes des salles dès le début de la séance et qu’un carton à la fin du film invite les spectateurs à taire le dénouement final. Cette technique sera reprise quelques années plus tard par Hitchcock pour la sortie de Psychose.
Intrinsèquement, Les Diaboliques partage aussi avec le cinéma d’Hitchcock une indéniable habileté à mener son intrigue. Cette histoire de meurtre d’un directeur de pensionnat tyrannique par sa femme et sa maîtresse réunies, explore autant la bassesse des êtres humains qu’elle est un thriller à la tension permanente où tout peut changer à chaque instant. Clouzot maîtrise de bout en bout sa narration, son sens du rythme et du retournement de situation jusqu’à créer une confusion vertigineuse chez le spectateur, qui serait même prêt à admettre une intervention du surnaturel comme explication à l’intrigue. Mais la réussite des Diaboliques ne réside pas uniquement dans sa narration, comme toujours chez Clouzot, la précision de la mise en scène y est admirable, notamment par son sens aiguisé de l’utilisation de la lumière et des ombres.
Nombre des films de la rétrospective Clouzot, dont Les Diaboliques, ressortiront en salles le 8 novembre prochain en copies restaurées. L’occasion d’approfondir un peu plus la filmographie de ce réalisateur exigeant et intransigeant.
Un des autres metteurs en scène honorés par le Festival Lumière n’est autre que celui qui a réalisé un remake du Salaire de la peur de Clouzot, William Friedkin. Si Le Convoi de la peur est bien au programme du festival, c’est French Connection qu’il est venu présenter ce soir. Et quand Friedkin vient parler d’un de ses bébés, c’est avec passion et générosité. Il a ainsi révélé, pendant plus d’une demi-heure, les dessous de la transposition à l’écran du démantèlement de la célèbre filière d’héroïne qui partait de Marseille pour rejoindre New-York dans les années 60.
Friedkin a ainsi expliqué que ce qui l’intéressait n’était pas le trafic en lui-même mais bien les deux policiers qui ont mené l’enquête, pas vraiment bons enquêteurs mais dont la brutalité leur a permis de sauver leur peau et d’arriver ainsi au démantèlement du réseau. Pour ce film, Friedkin a avant tout été dicté par une volonté d’authenticité, indiquant que 95 % de ce qui figure dans le film est vrai. Et c’est en voyant Z de Costa-Gavras qu’il a compris qu’il était possible de raconter cette histoire dans un style proche du documentaire. Friedkin se lance alors dans une entreprise pour le moins périlleuse. Il n’écrit pas vraiment de scénario, juste le fil de l’histoire, les dialogues étant nés d’eux-mêmes grâce au temps passé par lui-même et les deux acteurs principaux, Gene Hackman et Roy Scheider, avec les deux policiers dont le film s’inspire. Ensuite, il fait appel pour tenir la caméra à Enrique Bravo, caméraman qui a fait ses armes en filmant la révolution cubaine. Ce dernier n’a pas accès aux répétitions, il n’intervient qu’au moment de la prise avec pour seule consigne de ne jamais arrêter la caméra. Sur ce film la composition du cadre n’intéresse nullement Friedkin, le mot d’ordre est la spontanéité. De même, la plupart des scènes se sont tournées en une seule prise, pour conserver la fraîcheur et le naturel des interprétations des acteurs. Le film s’est par ailleurs tourné en lumière naturelle pour les extérieurs et avec très peu d’éclairages supplémentaires pour les intérieurs. Les scènes de rue sont tournées au milieu de la foule, retranscrivant ainsi l’authenticité du quartier de Brooklyn. Même la célèbre séquence de course-poursuite entre une voiture et un métro aérien fut tournée sans trucage. Une folie dangereuse à laquelle le réalisateur n’oserait plus se frotter aujourd’hui.
Il ressort de ce parti pris sans concession une œuvre unique, où l’on suit ces deux flics de filatures en filatures dans le Brooklyn sombre et violent des années 70. French Connection s’impose ainsi comme un digne représentant du Nouvel Hollywood, lorsque les réalisateurs avaient pris le pouvoir au cœur du cinéma américain. Le film sera nommé huit fois aux Oscar, et en recevra cinq. Pour autant, William Friedkin avoue que la récompense d’une salle pleine pour voir un film vieux de 43 ans est bien plus probante que n’importe quel Oscar. L’artiste a par ailleurs salué l’existence du Festival Lumière, notant qu’il n’existait pas aux Etats-Unis de festival qui honorait le cinéma du passé, alors que « c’est ce qui garde le cinéma vivant ».
Jour 5 – Quand Harold Lloyd rencontre Carl Davis
Nous sommes mercredi, et c’est le donc le jour du traditionnel ciné-concert de l’Orchestre national de Lyon. Cette année, il sera dirigé par le compositeur américain Carl Davis, célèbre pour avoir livré de nombreuses partitions de films muets. Il reprend ainsi ce soir la musique qu’il a écrite en 1990 pour The Kid Brother, avec Harold Lloyd.
Sorti en 1927, ce film, qui fut longtemps invisible, est considéré par beaucoup comme le plus abouti d’Harold Lloyd. Pure comédie burlesque, en comparaison de Ça t’la coupe ! découvert dimanche dernier, The Kid Brother n’en reste pas moins effectivement un film à l’intrigue très écrite, dont la trame dramatique prend encore plus d’ampleur à travers la partition de Carl Davis. Elle donne un relief romanesque aux (més)aventures du benjamin mal aimé de la famille d’un shérif, qui va tout faire pour gagner le respect de ses proches. Le personnage incarné par Harold Lloyd, qui joue sans cesse de malchance pour se mettre dans le pétrin, mais qui use aussi de chance, et de beaucoup de malice, pour s’en sortir, a un charme indéniable et un capital sympathie incomparable. C’est avec un infini bonheur et un sourire constant aux lèvres qu’on le voit se démener face à ses frères un peu rustres ou combattre de vilains malfrats.
Le rythme du film est parfaitement tenu, les gags s’enchaînant remarquablement ou surgissant là où on ne les attend pas. Ils sont par ailleurs d’une grande efficacité (que de rires sonores ce soir à l’Auditorium de Lyon !), d’une inventivité incroyable (cette séquence où Harold Lloyd conçoit un lave vaisselle avant l’heure !), mais aussi pleins de poésie (comment ne pas fondre devant cette scène où le héros monte toujours plus haut dans un arbre pour continuer à apercevoir l’élue de son cœur qui s’en va). Le comique muet possède une magie si particulière qu’elle nous émerveille encore près de cent ans après, et sûrement encore pour bien longtemps.
Magnifique ciné-concert « The Kid Brother » ! #Lumière2017 pic.twitter.com/1TCGQKHxh9
— Squizzz (@MondeSquizzz) 18 octobre 2017
Jour 4 – Le Free cinema, la Nouvelle vague britannique
En ce quatrième jour de festival, direction l’un des plus anciens cinémas de Lyon, sauvé il y a quelques années par l’Institut Lumière, « La Fourmi », pour y découvrir Un goût de miel, de Tony Richardson. Sorti en 1961, ce film fait partie du mouvement du Free cinema, né au milieu des années 50 en Grande-Bretagne et souvent qualifié de « Nouvelle vague britannique ». Mouvement contestataire emmené par des réalisateurs comme Karel Reisz ou Lindsay Anderson, il porte également déjà en lui toute la dimension sociale si propre au cinéma britannique.
Adapté d’une pièce de Shelagh Delaney, Un goût de miel prend ainsi pour cadre les quartiers pauvres de Manchester et brasse nombre de sujets de société tabous pour l’époque. Le film dresse le portrait de Jo, une adolescente abandonnée par sa mère sur le point de se remarier, et qui trouve refuge dans les bras d’un marin noir. L’idylle durera juste assez de temps pour que Jo tombe enceinte. Seule, l’adolescence trouve dans l’amitié avec un jeune homosexuel une once d’espoir de s’en sortir…
> > > Lire aussi : la critique de Un goût de miel.
Jour 3 – A la découverte d’une rareté venue d’Italie
Pour ma séance de ce troisième jour, j’ai rendez-vous dans la petite salle de la Villa Lumière. Ambiance intimiste parfaite pour découvrir, dans une copie 35 mm, L’arcano incantatore, un film fantastique italien des années 90, resté inédit en France. Il faut dire que son réalisateur, Pupi Avati, cinéaste qui s’est essayé à tous les genres, reste assez peu connu en France, et ce malgré une sélection au Festival de Cannes en 1991, avec le film Bix. Ainsi, même si L’arcano incantatore fut récompensé au Festival du film fantastique de Bruxelles et présenté à Gérardmer, il ne trouva pas de distributeur dans nos contrées. Une rareté donc, choisie par Guillermo Del Toro dans sa carte blanche.
Film gothique racontant comment un jeune séminariste, condamné après avoir mis enceinte une jeune fille, se retrouve au service d’un ancien prêtre adepte de la magie noire, L’arcano incantatore est un étonnant mélange qui conjugue le mythe de Dracula aux invocations sataniques et aux histoires de fantômes, le tout dans un cadre religieux perdu en pleine campagne qui n’est pas sans rappeler Le Nom de la rose. Etrangement, l’ensemble fonctionne plutôt bien et tient parfaitement la route, s’il n’était une intrigue un peu faible, trop linéaire et attendue, qui aurait au moins gagné à être soutenue par des personnages plus forts.
Pour autant, ce film ne fait pas pour rien partie de la carte blanche de Guillermo Del Toro, et on reconnaît au premier coup d’œil ce qui a fasciné le réalisateur mexicain. La mise en scène de L’arcano incantatore est en effet remarquable. Tourné en plein cœur de l’Ombrie touristique, le film a réussi à réinventer les vestiges moyenâgeux de la région. Pupi Avati a par ailleurs su tirer profit de décors relativement minimalistes, en faisant de la lumière le vrai décor du film. La majorité des scènes se déroulent dans l’obscurité, avec pour seules lumières des halos provenant de bougies. La couleur orangée qui s’en dégage domine le film, à l’exception de séquences de nuit baignées dans un bleu envoûtant. On n’est alors pas vraiment surpris de découvrir que L’arcano incantatore fut une des sources d’inspiration de Guillermo Del Toro pour L’Echine du diable, qui reprend exactement la même dualité de couleurs…
Jour 2 – L’humour d’Harold Lloyd et la féérie de Guillermo Del Toro
Ce deuxième jour de festival s’ouvre sous un soleil radieux, qui n’empêchera cependant pas des milliers de cinéphiles de rejoindre les salles obscures. Ainsi, je me dirige vers la salle du hangar de l’Institut Lumière et prend place sur le siège estampillé du nom d’Harold Lloyd. Coïncidence heureuse puisque c’est justement un film de cette immense star du muet que je m’apprête à voir. Le Festival Lumière lui consacre en effet une rétrospective cette année. La projection de Ça t’la coupe ! sera accompagnée au piano par le jeune et talentueux pianiste Romain Camiolo, habitué des cinés-concerts de l’Institut Lumière et qui nous avait déjà ravi l’an passé avec sa prestation sur Les lois de l’hospitalité de Buster Keaton.
Sorti en 1924, un an après le classique Monte là-dessus !, Ça t’la coupe ! fait partie des films des grandes années de gloire d’Harold Lloyd. C’est d’ailleurs le premier film qu’il produira lui-même via sa société Harold Lloyd Film Corporation. Le film étonne par sa première partie qui tend plus vers la comédie romantique que vers la comédie pure. Cette histoire d’un jeune homme timide qui s’éprend d’une femme promise à un autre reprend d’ailleurs tous les codes du genre, de la rencontre impromptue à la séparation inévitable, avant bien évidemment un dénouement heureux. Dans la dernière partie du film, le comique burlesque du cinéma muet reprend ses droits, à travers une course-poursuite époustouflante et d’un maîtrise parfaite, où Harold Lloyd enchaîne les cascades pour passer d’un moyen de locomotion à un autre dans le but d’arriver à temps pour sauver sa belle. Les rires, au départ assez retenus, se font alors sonores et ininterrompus.
Cette séance de Ça t’la coupe ! fait office de jolie mise en bouche au ciné-concert de mercredi qui verra cette fois-ci l’Orchestre national de Lyon accompagner The Kid Brother, avec le même Harold Lloyd.
Changement radical de style pour la seconde séance de la journée, puisqu’il s’agit du nouveau film de Guillermo Del Toro, The Shape of Water, présenté en avant-première au Festival Lumière, après Toronto et Venise. Cette séance a d’ailleurs attiré du beau monde puisqu’on compte notamment Bertrand Tavernier, Alfonso Cuarón, Jerry Schatzberg, Tilda Swinton et Vincent Lindon parmi les spectateurs. Cette présentation intervient comme un cadeau au Festival qui a souhaité rendre hommage au réalisateur mexicain à travers une rétrospective. Metteur en scène hors normes, biberonné au cinéma de genre, mais pas que, Guillermo Del Toro s’est illustré aussi bien dans des blockbusters, qu’il a souvent tourné à sa sauce, que dans des films fantastiques d’auteur. Thierry Frémaux, venu présenter la séance en compagnie du réalisateur et du compositeur du film Alexandre Desplat, considère d’ailleurs que Guillermo Del Toro « est, à sa façon, en train de révolutionner le cinéma » et confie que c’est grâce au Labyrinthe de Pan qu’il a réussi à faire entrer le cinéma de genre au Festival de Cannes. Véritable passionné, Guillermo Del Toro se donne corps et âme à chaque film, qu’il réalise à chaque fois « comme si c’était le dernier ».
Avec The Shape of Water, il ne voulait pas refaire ce qu’il avait déjà fait, et confie livrer pour la première fois un film où « il parle de choses d’adultes avec un regard d’adulte ». Il est vrai que jusqu’alors, dès qu’il s’était agi de traiter de sujets plus graves ou sérieux, il l’avait fait à travers le regard d’enfants, que ce soit dans L’Echine du Diable ou Le Labyrinthe de Pan. The Shape of Water tourne de ce fait une page dans la filmographie du réalisateur qui, par ailleurs, livre également un film qui, bien que situé à une époque antérieure, résonne étrangement avec notre monde actuel. En introduisant son film, Guillermo Del Toro a d’ailleurs tenu à rappeler que les contes de fée (et son film en est un) ont toujours eu pour origine des périodes de troubles, et d’ajouter que « nous vivons des temps difficiles ».
Pour autant, que les amateurs du cinéma de Del Toro se rassurent, The Shape of Water reste clairement dans la lignée de la filmographie du réalisateur, et se révèle presque être une synthèse de son œuvre. Sans trop en dévoiler, on peut souligner qu’on y retrouve son sens inné de la féérie et de la poésie mais aussi de la noirceur, et sa capacité à créer des grands méchants et des héros romanesques. Techniquement irréprochable, The Shape of Water est une beauté de chaque plan, avec comme toujours chez Del Toro une sublime utilisation de la couleur.
C’est à toutes ces qualités du réalisateur que le Festival Lumière a voulu rendre hommage, en inscrivant par ailleurs son nom sur le glorieux mur des cinéastes de l’Institut au cours d’une petite cérémonie qui a suivi la projection.
Nous retrouverons indirectement Guillermo Del Toro demain à travers un film de sa carte blanche, L’arcano incantatore, un film d’horreur italien inédit dans les salles françaises.
Jour 1 : C’était la première séance…
Ça y est, on y est ! En ce samedi 14 octobre, débute la neuvième édition du Festival Lumière, qui célébrera une fois de plus le septième art de toutes les époques, de tous les genres et du monde entier. Peut-être même plus que jamais avec le choix audacieux d’un prix Lumière moins connu du grand public que ceux des éditions précédentes, en la personne de Wong Kar-wai. L’occasion d’honorer le travail d’un réalisateur majeur des ces trente dernières années, mais également de mettre en lumière le cinéma asiatique de manière générale. Autour de lui graviteront des invités de choix tels que Tilda Swinton, Michael Mann, Guillermo Del Toro, William Friedkin, Diane Kurys, Anna Karina ou encore Jean-François Stévenin. Des rétrospectives du travail d’Henri-Georges Clouzot et de classiques du western sélectionnés par Bertrand Tavernier côtoieront les sections habituelles célébrant les femmes cinéastes, le cinéma muet, les nouvelles restaurations, les grands classiques et les raretés.
Qui de mieux alors pour ouvrir cette neuvième édition qu’Eddy Mitchell, grand cinéphile qui, pendant 17 ans, a partagé sa passion et fait découvrir de nombreux classiques du cinéma américain sur le petit écran, à travers son émission La Dernière séance. Il était ainsi l’invité d’honneur de la séance d’ouverture qui ce tenait ce samedi à la Halle Tony Garnier. Accueilli par un public chantant et dansant au rythme de « Pas de Boogie Woogie », Monsieur Eddy a échangé quelques souvenirs de tournage avec Bertrand Tavernier, qui l’a révélé en tant qu’acteur dans Coup de torchon, et avec Christophe Lambert, qui fut son partenaire dans I Love You de Marco Ferreri. L’acteur-chanteur est également revenu sur son amour du cinéma qui est né dans sa jeunesse quand son père l’emmenait dans les salles à peine l’école terminée, avant d’entonner sa célèbre chanson « La Dernière séance », suivi par tout le public lors d’un karaoké géant.
Cette cérémonie d’ouverture, animée par le directeur du festival Thierry Frémaux, a également souhaité la bienvenue à quelques uns des invités d’honneur de cette neuvième édition, rendant un hommage en images à Tilda Swinton et en musique aux mexicains Guillermo Del Toro et Alfonso Cuarón. Enfin, ce fut également l’occasion de souvenirs émus pour deux artistes récemment disparus, Jerry Lewis et Jean Rochefort. Bertrand Tavernier a eu quelques mots pour celui qu’il considérait de sa famille et qui avait sauvé par son nom son tout premier projet, l’inoubliable L’Horloger de Saint Paul.
Cette « première séance » s’est clôturée par la présentation en copie restaurée d’un classique d’Alfred Hitchcock, La Mort aux trousses. Un film toujours plaisant à revoir tant il est mené avec une habileté irréprochable par le maître du suspense. Ça commence comme un faux film d’espionnage, où le héros n’en est pas un, où l’intrigue n’est qu’une méprise, où Cary Grant est accompagné de sa mère plutôt que d’une belle demoiselle, et où la course-poursuite en voiture est remplacée par un combat du héros contre sa conduite en état d’ivresse. Et puis le film bascule progressivement, notamment par l’arrivée de l’indispensable partenaire féminine, la sublime Eva Marie Saint, qui redonne au anti-héros Cary Grant son charisme et son charme légendaires. Pour autant, La Mort aux trousses continue à bousculer les codes du genre. La mort a beau roder, c’est l’humour qui domine le film, avec notamment des dialogues succulents. Et lorsque le héros est pris en chasse, c’est par un avion au milieu de champs inondés de soleil. Cette scène incontournable, où le suspense se fait sans musique, prend toute son ampleur projetée dans une Halle Tony Garnier qui retient son souffle, silencieuse. Redécouvrir des classiques dans des conditions inédites, la magie du Festival Lumière commence…