STARSHIP TROOPERS
Au XXIVe siècle, une fédération musclée fait régner sur la Terre l’ordre et la vertu, exhortant sans relâche la jeunesse à la lutte, au devoir, à l’abnégation et au sacrifice de soi. Mais aux confins de la galaxie, une armée d’arachnides se dresse contre l’espèce humaine et ces insectes géants rasent en quelques secondes la ville de Buenos-Aires. Cinq jeunes gens, cinq volontaires à peine sortis du lycée, pleins d’ardeurs et de courage, partent en mission dans l’espace pour combattre les envahisseurs. Ils sont loin de se douter de ce qui les attend.
Do you want to know more ?
Un credo qui illustre Starship Troopers. Aller toujours plus loin, dans l’abêtissement comme dans la satire. À travers la guerre interstellaire entre la Fédération humaine du XXVe siècle et les Insectes extraterrestres, Paul Verhoeven ne se contente pas de tourner le genre en dérision ; c’est, au sortir de la Guerre froide, une acerbe parabole de l’Amérique militariste que dresse le cinéaste néerlandais.
L’humour de Starship Troopers est à double tranchant, à l’image des clips de propagande de la Fédération. Ces derniers cherchent à faire rire les téléspectateurs – comme en insérant un enfant dans une formation militaire, répétant le slogan « I’m doing my part ». Mais le caractère excessif de ces clips porte le spectateur à s’en moquer, car il n’y voit qu’une grossière caricature. On rit de ceux qui rient.
Mais ce rire-là est jaune. Car aussi exubérantes soient-elles, ces fictions en évoquent d’autres, réelles cette fois : l’art de la propagande militaire américaine. Certains de ces clips reprennent directement certains codes de la télévision US, à l’instar de la très bouffonne émission de talk-show qui oppose une intellectuelle expliquant la potentielle intelligence des Insectes à un animateur vedette, bouffon des temps futurs qui s’évertue à tourner son discours en dérision. Un manichéisme franchement agressif, qui rappelle l’image des Soviétiques sur les plateaux télés américains lors de la Guerre froide, ou, dès la sortie du film en 1997, celle des « terroristes » de tout poil.
Or ces fictions et autres productions télévisuelles n’ont rien d’inoffensif. Ouvrir Starship Troopers sur une séquence de propagande donne le ton du film : il s’agit de voir, à travers l’histoire de Rico et ses ami.e.s engagé.e.s dans l’armée, comment les productions audiovisuelles conditionnent les mentalités. En découle un humour ambivalent. À prendre au « 1,5e degré ».
D’un côté, on trouve risibles ces corps de pantins déchiquetés, torturés, démantibulés par les Insectes, à tel point qu’ils en deviennent grotesques et qu’ils perdent toute valeur intrinsèque, à l’image des pertes effarantes que subit la Fédération : 100 000 morts en une heure lors de l’assaut sur la planète-mère des Insectes, 12 000 000 lors du bombardement de Buenos Aires. Mais de l’autre, cette déshumanisation des corps invite à prendre en pitié des personnages qui se jettent aveuglément dans la bataille. Et pour quoi ? Obtenir le droit de vote ; d’avoir un enfant ; de faire des études. Des « droits » que nous considérons comme acquis, presque naturels, ne s’acquièrent que par l’engagement militaire.
Ce blockbuster hautement subversif fait de Paul Verhoeven un cinéaste étranger que les studios américains mettent rapidement à l’écart. Après ce film, qui essuie un déluge de critiques comme avant lui Total Recall, Basic Instinct et surtout Showgirls, le Néerlandais ne tournera plus qu’un film mineur, Hollow Man, avant de revenir en Europe. Preuve en est que s’il est possible de réaliser des grosses productions incendiaires à Hollywood, il est autrement plus ardu d’y faire carrière sur le long terme.