UN PEUPLE ET SON ROI
En 1789, un peuple est entré en révolution. Écoutons-le. Il a des choses à nous dire. Un peuple et son roi croise les destins d’hommes et de femmes du peuple, et de figures historiques. Leur lieu de rencontre est la toute jeune Assemblée nationale. Au coeur de l’histoire, il y a le sort du Roi et le surgissement de la République…
Éclipse solaire.
Alanguie sur le rebord d’une fenêtre, Françoise contemple l’homme qu’elle vient de rencontrer, ce citoyen adoubé héros de Varenne, ce Basile qui n’a ni nom de famille ni clocher à défendre. La lumière d’un soleil qui jamais ne perçait sa fenêtre, inonde désormais son modeste logis, débarrassé de la présence mortifère et lugubre de la prison de la Bastille. Cette simple scène résume à elle seule le projet immensément ambitieux de Pierre Schoeller, réalisateur adoubé auteur depuis son Exercice de l’État sorti en salle en 2011, film politique et fin dans sa description des rouages de la République française. C’est bien de cette dernière et de sa genèse dont il s’empare, avec le projet de marier la grande Histoire, ses figures révolutionnaires, Robespierre, Marat, Danton ou St Just, mais aussi les sans-culottes, sans grades, lavandières et journaliers crevant de faim en 1789 à cause du tumulte frappant Paris, privée de pain.
Tout le problème est dès lors compris dans la dichotomie exprimée dans le titre de ce film : « Un peuple et son roi ». Deux propositions, deux réalités, et leur rencontre au beau milieu de la capitale. Pour aider à cela, Schoeller réunit un casting presque improbable : Adèle Haenel en femme du peuple, Louis Garrel en Robespierre, Olivier Gourmet (fidèle du réalisateur et de ses producteurs les frères Dardenne) en souffleur de verre au verbe haut, un inoubliable Denis Lavant en Marat, Laurent Lafitte en Louis XVI, ou encore Gaspard Ulliel dans ce rôle si délicat de Basile, qui ne possède rien pas même un patronyme. L’équipe est bien belle sur le papier, mais peut être était ce un navire trop grand et trop lourd pour être mené à bon port. Le souci majeur de cette aventure était de trouver le liant, la mise en scène adéquate pour que tous ces éléments puissent exister de concert sans dépareiller, sans se départir de leur force émotionnelle. Las, cela ne fonctionne jamais vraiment.
La plus belle réussite du film réside en creux dans chaque scène qui s’éloigne du théâtre des grands événements révolutionnaires. On pense tout de suite à ce moment magnifique où la citoyenne Françoise (Adèle Haenel) interpelle le policier qui la questionne, en lui demandant pourquoi ils maltraitent les siens de la sorte. Ne sont-ils pas tous égaux ? N’ont ils pas tous voulu cette révolution ? La force de son discours, de ses larmes et de ses mots frappent et bouleversent tant cet échange sonne juste et provoque un écho admirable. Dans le moment suivant, l’action réinvestie l’assemblée réunie dans l’ancienne écurie royale où a lieu la Convention, et toute l’intensité retombe. Nous ne sommes plus que dans une banale reconstitution historique d’un moment déjà tant rebattu et filmé par le passé et par d’autres. Les discours qui se succèdent de ces grands orateurs révolutionnaires peinent à se mesurer aux élans de ces gens de la rue, à leurs espoirs, et on se prend à les regretter.
Marat, incarné par Denis Lavant, tire lui son épingle du jeu, en grand acteur lyrique et tempétueux qu’il a toujours été. Mais il ne fait que souligner l’écart entre sa personne et les autres acteurs. En témoigne ce moment qui aurait du être un sommet d’émotion, le vote de la mort du roi, fondement même de la politique contemporaine en France. Philippe Égalité, cousin du roi, prince du sang de la couronne, vote la mort de son parent. Ce qui devrait être magistral est à peine notable, et encore une fois, c’est un témoin du grand déséquilibre qui anime ce film qui veut pourtant si bien faire. Il est en effet aidé d’illustres conseillers historiens, tel Arlette Farge, sommité dans le domaine de l’histoire moderne et du XVIIIème siècle, ou Timothy Tackett, grand spécialiste anglophone de la Révolution française. Le nom de Saint Just est bien prononcé pour la première fois dans un film, Louis XVI est bien décrit en 1793 comme roi des Français (et non de France comme sous la période de la monarchie absolue), mais l’émotion a fui, pour se réfugier chez le souffleur de verre qui ne voit plus. C’est dans ces scènes qu’on retrouve la grâce, la beauté entrevue avec Françoise assise à demi nue au bord de sa fenêtre.
Un peuple et son roi est donc une immense déception, pour ses grands acteurs, dont on sent l’envie de bien faire, de jouer et parler juste, investis dans leurs partitions si bien travaillées. Mais aussi dans la qualité de la photo, de la musique, et donc dans le travail de reconstitution historique très fin et rarement aussi précis. Et bien sûr, déçu pour Pierre Schoeller et son producteur Denis Freyd, qui ont cru en ce projet depuis de nombreuses années, sans réussir là où avaient triomphé Andrezj Wajda, avec son Danton sublime, ou Patrice Chéreau avec La Reine Margot, qui réussissait à atteindre ses objectifs à la fois dramatiques, historiques, mais aussi de mise en scène.
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