AMIN
Amin est venu du Sénégal pour travailler en France, il y a neuf ans. Il a laissé au pays sa femme Aïcha et leurs trois enfants. En France, Amin n’a d’autre vie que son travail, d’autres amis que les hommes qui résident au foyer. Aïcha ne voit son mari qu’une à deux fois par an, pour une ou deux semaines, parfois un mois. Elle accepte cette situation comme une nécessité de fait : l’argent qu’Amin envoie au Sénégal fait vivre plusieurs personnes. Un jour, en France, Amin rencontre Gabrielle et une liaison se noue. Au début, Amin est très retenu. Il y a le problème de la langue, de la pudeur. Jusque-là, séparé de sa femme, il menait une vie consacrée au devoir et savait qu’il fallait rester vigilant.
Mai 1965, à Paris, Chris Marker filme un jeune homme d’origine algérienne qui raconte ses espoirs, ses rêves de France, ainsi que son rapport à l’Afrique. Plus d’un demi-siècle plus tard Philippe Faucon passe à la fiction pour nous raconter Amin, sénégalais, père de famille, travailleur exilé loin de chez lui. Ces transhumances sont au cœur de l’histoire des populations qui composent la France, exprimant loin des débats haineux du repli sur soi, à quel point la société française est une mosaïque en perpétuel mouvement, porteuse d’un espoir économique qui ne se désavoue toujours pas.
Si l’argent est au centre des préoccupations du film, on le cache, on le convoite, il passe de mains en mains, ce sont plutôt les corps, les chairs, que scrutent au plus près Philippe Faucon. Dès l’affiche les continents africain et européen sont représentés par les corps nus d’Amin et de Gabrielle (Emmanuelle Devos), infirmière tout juste séparée du père de sa fille. Pourtant jamais le film n’est véritablement une histoire d’amour au sens strict. La rencontre des deux personnages est plus un hasard neutralisant deux solitudes, une passerelle entre deux moments de leurs vies chaotiques. Dès lors le miroir des pressions que subissent les amants est éloquent : la famille d’Amin le pousse à continuer ce sacrifice qui l’empêche de voir grandir ses enfants, celle de Gabrielle la confine à l’opprobre de celle qui fréquente un africain noir.
Une vie vouée aux autres
Les aller-retours nombreux entre le Sénégal et la France renforce cette idée de l’absence de marge de manœuvre de ces travailleurs expatriés. A peine sorti de l’aéroport, Amin est escorté par ses frères, restés eux au pays, ne lui laissant pas un pouce de liberté. Irradiant l’image de son charisme, Moustapha Mbengue transmet son calme mais aussi la fatalité d’une vie vouée aux autres, et à ce qu’il doit leur apporter. Autre point commun troublant entre les deux sociétés présentées, l’encadrement étroit et suffocant des femmes. Aïcha, femme d’Amin et mère de ses trois enfants, subit les violences du clan familial auquel elle appartient. De la même façon que Gabrielle est jugée et harcelée pour ses choix, ses amours, jusque dans le regard de sa fille.
Amin présente néanmoins quelques limites, notamment dans ces choix de mise en scène déjà évoqués. Certains plans peinent à convaincre, comme ceux de ces femmes qu’on dévoilent de façon un peu trop surlignée pour appesantir le propos du marchandage des corps. Le rythme pâtit aussi d’un enchaînement parfois maladroit entre les scènes parisiennes et africaines. De plus les personnages secondaires, comme celui d’Abdelaziz, sont trop peu exploités pour agrémenter et ajouter de la complexité à une histoire qui avait pourtant choisi son centre avec Amin et Gabrielle.
Au delà de ces quelques réserves formelles et d’écriture, Amin demeure une œuvre qui représente des visages et des personnes invisibles sur les écrans, prolongeant l’histoire multiple de l’immigration africaine en France. Dans Le Joli mai de Marker, le foisonnement des années 1960 ouvrait le champs des possibles comme rarement dans l’histoire contemporaine. Faucon dresse un constat éminemment triste qui sonne comme une défaite des projets émancipateurs des Trente glorieuses. Bien conscients de la crise économique, ces travailleurs africains nourrissent un prolétariat plus que jamais dévalorisé, qui fait écho à une population française qui se paupérise dans le même temps. Les comparaisons fines et subtiles que croque Philippe Faucon dans son film démontre une fois de plus que le réalisateur de Fatima est un auteur important au regard unique.
La ficheAMIN
Réalisé par Philippe Faucon
Avec Moustapha Mbengue, Emmanuelle Devos…
France – Drame
Sortie : 3 octobre 2018
Durée : 91 min