NORA HAMZAWI et VINCENT MACAIGNE | Entretien
À quelques jours de la sortie de Doubles vies d’Olivier Assayas, Le Bleu du Miroir a rencontré les comédiens Nora Hamzawi et Vincent Macaigne. L’occasion pour eux d’évoquer leur collaboration avec Olivier Assayas, la confiance qui laisse à ses acteurs, de revenir sur l’alchimie miraculeuse de leur duo à l’écran (confirmée par leur belle entente autour de la table durant l’entretien), mais également d’extrapoler autour de thématiques explorées dans le film : le conflit entre le support physique et le numérique, l’évolution de notre consommation, le rapport de chacun à la culture, la dépendance aux smartphones et leur rapport aux réseaux sociaux et à la critique… Entretien décontracté et sans langue de bois avec Nora Hamzawi et Vincent Macaigne, entre deux tartines au beurre et une part de pizza parfaitement assaisonnée.
Comment êtes-vous arrivés, l’un et l’autre, sur ce projet ? Quelle était votre envie au moment de tourner avec Olivier Assayas ?
Nora : J’aimais beaucoup son travail… J’avais adoré L’heure d’été et Sils Maria. Quand j’ai su qu’il souhaitait me rencontrer, c’était miraculeux pour moi. Je venais du one-man show et lui du cinéma d’auteur, on n’était pas vraiment du même univers. J’admirais son parcours avant même d’avoir lu quoique ce soit et la rencontre a confirmé qu’humainement nous étions sur quelque chose de bienveillant, de joyeux et cela a renforcé mon envie de travailler avec lui. Quand il m’a fait lire le scénario, j’ai tout de suite beaucoup aimé, trouvé ça drôle et aimé le personnage de Valérie. Tout me faisait envie sur ce film.
Vincent : Je connais Olivier (Assayas – ndlr) et je connais son travail depuis le lycée. Pour l’anecdote, un mec de mon lycée jouait dans L’eau froide. Cela m’a amené à explorer davantage ses films que j’aime depuis longtemps. J’étais content de pouvoir enfin jouer dans un de ses films.
Il laisse habituellement une certaine liberté à ses comédiens, afin que ses comédiens soient à l’aise dans l’espace. Même si le texte paraît très écrit, aviez-vous une certaine liberté dans les dialogues et les situations ?
Nora : La liberté, il nous la laissait. Mais c’était tellement bon sur le papier que ce n’était pas nécessaire. À Venise, en conférence de presse, on nous a demandé s’il y avait de l’improvisation et j’ai répondu que non, mais Olivier m’a contredit donc il a sûrement raison. Nous n’avons pas la même perception de la chose mais parce que c’est certainement des petits détails et c’est la conséquence de la liberté induite par sa façon de mettre en scène et par la collaboration avec le chef-opérateur.
Vincent : Il n’y a pas tant d’improvisation que ça dans les dialogues, c’est vrai. Par contre, il laisse une grande liberté dans le jeu. Par exemple, dans une scène avec Juliette (Binoche – ndlr), il laissait Juliette proposer des choses, et elle a eu l’idée qu’on s’embrasse en sortant du bar alors que ce n’était pas prévu… Il nous laisse assez libres de nous approprier la scène en termes de gestuelle, d’univers et d’atmosphère des scènes.
Votre alchimie dans le film est assez miraculeuse. Comment avez-vous travaillé ensemble tous les deux ?
Vincent : On ne s’est pas forcément rencontrés en amont. Avant de tourner, on se voyait et on faisait des « italiennes« . On voulait se rassurer en loges, avant de tourner. Olivier Assayas est un réalisateur qui travaille vite alors on s’improvisait des répètes juste avant de tourner une scène.
Nora : C’était assez chouette car il y a quelque chose de très réel dans cette façon de fonctionner. On est dans l’immédiat, dans un rythme particulier. On se découvre, on ne sait pas du tout comment l’acteur va réagir. Parfois, je riais et je ne l’avais pas prévu.
Vincent : Olivier Assayas ne fait pas beaucoup de prises mais il cherche à améliorer de prise en prise et préfère que la rencontre entre les acteurs se fasse au moment de la scène quand on la tourne.
Qu’est-ce que ça vous apprend de la façon dont il travaille avec ses comédiens et les dirige ?
Vincent : Je n’aime pas ce genre de questions mais je vais dire pourquoi. Une fois, j’ai entendu un reportage où Louis De Funès parlait de la direction d’acteurs et je l’ai trouvé d’une idiotie folle ! Alors c’est un peu le piège d’y répondre. Au fond, quand on connait l’univers d’Assayas, on connait son univers et il existe déjà une forme de confiance. Un réalisateur tâtonne et répète pour trouver son chemin mais les acteurs sont là pour apporter leur pierre à l’édifice. C’est un sentiment agréable que ça soit comme un train en marche.
Nora : Oui, c’est pour cela que je réponds qu’il n’y avait pas d’impro car son scénario est d’une telle précision qu’on y colle. Olivier Assayas parle peu et reste très précis dans ses conseils. Il m’a peu reprise mais une fois il m’a suggéré de respirer entre deux répliques car il savait ce que cela provoquerait sur la scène et ma façon de sortir le texte.
Vincent : Le cinéma, contrairement au théâtre, permet de capter des choses chez les acteurs qu’on ne peut contrôler. Au théâtre, on est plus directifs dans ce que l’on transmet. En tant que réalisateur, je vous avoue que j’ai conservé dans mon petit film (Pour le réconfort – ndlr) des prises qui étaient en fait des répétitions que j’avais filmées, parce que les acteurs dégageaient quelque chose de particulier sur le moment. Au final, si un acteur est à l’écoute, avec Olivier Assayas, il sait très bien si ce qu’il a proposé est bon ou pas. Il ne dit pas grand chose mais cela se ressent et se voit chez lui.
Doubles vies évoque très justement le conflit entre le support physique et numérique du livre. C’est aussi valable avec le cinéma. Quelle est votre position sur cette question ?
Nora : Pour moi, le film raconte surtout comment des générations qui n’ont pas grandi avec le numérique vivent avec celui-ci et les ses évolutions, à quel point cela les obsède et les déstabilise. Nous sommes presque des « générations test » qui n’arrivons pas encore totalement à nous adapter complètement à la façon dont fonctionne désormais le monde. Les jeunes ne se posent pas ces questions.
Vincent : Je n’ai pas l’impression que ce soit quelque chose de complètement dessiné pour les jeunes non plus… Hier, j’étais au théâtre et je me disais que « le moment de théâtre » conservera son importance. C’est un temps unique, même si la pièce n’est pas bonne. On sait que cela se joue que sur l’instant, cela ne restera pas et rien que pour ça cela reste à part.
Nora : C’est vrai que quand j’écris, que ce soit pour la télé ou la scène, c’est dans l’instant que l’on se sent le mieux. Cette temporalité, ce réel est rassurant. Et les gens ont probablement cette même impression, ont besoin de retrouver le réel au delà du numérique.
Vincent : Le cinéma va se réinventer continuellement et va muter. Mais je n’arrive pas à comprendre vers quoi on tend. Ce n’est pas fini… Hier, par exemple, j’ai été suivi par une équipe de journalistes de radio dans ma journée et je devais acheter des jouets. Pour faire un peu de promo, j’ai montré la bande-annonce sur mon téléphone au commerçant et lui ai demandé si le sujet du film lui parlait. Il m’a répondu que oui. Je lui ai demandé s’il lisait beaucoup, s’il allait au cinéma… Et il m’a dit que non. « Mais cela me parle car avant d’ouvrir ma boutique, on m’a vivement déconseillé de me lancer et de privilégier une e-boutique, un magasin sur internet« . J’étais étonné mais de ce fait Doubles vies peut parler à plein de gens car il est question de numérisation des lieux. Cette boutique était formidable, elle était toute petite mais il y avait plein de super jouets. C’est dommage que même les lieux soient désormais numérisés…
Cela questionne plus généralement notre façon de consommer.
Vincent : Oui, au final, ce n’est pas seulement la question du e-book. On n’a pas les tenants et aboutissants de cette question mais c’est très étrange de se compliquer sa vie alors qu’on essaie de nous la faciliter. Sincèrement, j’ai un peu galéré à trouver la boutique. On m’a demandé pourquoi je n’étais pas allé sur internet mais en ligne il faut plusieurs jours avant de recevoir ta commande.
Ce qui est beau dans Doubles vies justement, c’est que la vie gagne. L’instinct, le réel, l’amour l’emportent.
C’est assez paradoxal, dans cette culture de l’instantané. Le physique, c’est un peu l’idéal pour l’instantané. Le numérique créé alors du décalage, de l’attente, de la frustration, alors que le réel procure une satisfaction immédiate…
Vincent : C’est ce que je voulais dire.
Nora : On me dit toujours qu’internet c’est trop pratique et que c’est un gain de temps. Mais, en fait, quand je suis au magasin je me décide beaucoup plus vite, alors que devant mon écran je peux passer de longues minutes voire des heures à me décider. Le numérique offre une multiplicité de choix mais étire aussi sacrément le temps.
Dans Personal Shopper, le précédent film d’Olivier Assayas, les écrans étaient très présents. On pouvait aisément imaginer qu’il en serait de même dans celui-ci étant donné le sujet et qu’il serait question de l’enfermement créé par l’écran… Au contraire, même si cette question est cristallisée autour du personnage de Christa Théret, ce n’est pas le cas.
Vincent : Et ce qui est beau dans Doubles vies justement, c’est que la vie gagne. Le personnage de Nora le raconte bien. L’instinct, le réel, l’amour l’emportent sur tout ça. C’est un des messages du film.
Nora : Moi, j’aime beaucoup la scène très réelle où Valérie (son personnage) branche ses quatre portables. Il dit beaucoup dans le film avec ces petites choses du quotidien…
(Elle s’interrompt, fascinée par Vincent Macaigne qui assaisonne sa pizza avec minutie…)
DOUBLES VIES place aussi le personnage de Vincent en directe confrontation avec les réactions du public et de la presse, et il ne le vit pas forcément bien. Avec l’évolution des différents supports et la possibilité « démocratique » d’exprimer un ressenti instantané mais pas forcément très théorisé, cela modifie-t-il le processus de création de l’artiste et/ou le rapport avec le public ?
Nora : Quand on fait de la télé, on peut recevoir des tonneaux de merde par Twitter. Le pire piège serait de changer quoique ce soit à son travail, à sa sincérité. Si on commence à considérer ce qui plait ou pas… Mais c’est compliqué de ne pas regarder ce qui se dit de nous, de notre travail. Souvent, les tweets les plus violents sont des avis à chaud, sans réflexion. On ne peut pas être sensible à ça. Ce serait comme aller récolter les avis des gens dans un bar telle une petite mouche. On entendrait de tout.
Vincent : Le plus violent, c’est quand c’est faux. Pour un de mes spectacles, des journalistes ont relayé une information qui était complètement erronée par rapport à l’argent et cela m’a vraiment agacé. J’avais beau leur dire que c’était faux, on continuait à m’interroger là-dessus. Quand on est un visage public, les gens s’imaginent qu’on est forcément aisé mais ils se trompent. Certains gagnent très bien leur vie mais la majorité non, surtout au théâtre et dans le cinéma d’auteur. Bon, il y a des films qui remplissent bien les poches mais je ne suis pas dedans… (il rit) Ce que je voulais dire c’est que je déteste surtout est quand la presse reprend des informations fausses et cautionne des clichés, alors ça peut devenir violent à vivre.
Internet n’a rien révolutionné ni dans le cinéma, ni dans la musique, ni dans la littérature.
Et Olivier Assayas aime justement jouer sur cette dichotomie entre l’image public et l’image fantasmée. Il l’a fait dans Sils Maria notamment, il le refait un peu ici…
Vincent : Et c’est là que s’impose naturellement le titre du film, « Doubles vies ». L’autre titre était aussi « Non-fiction », c’était aussi très révélateur… Pour revenir aux réseaux sociaux, Twitter est bien plus violent qu’Instagram. On est obligés de se blinder vis à vis des réseaux. Et en même temps, cela a l’avantage de communiquer très vite, de faire parler de sujets qui nous tiennent à coeur.
Quand j’étais plus jeune, j’ai sincèrement cru qu’internet allait changer la donne. Je me disais qu’internet allait révéler des films géniaux, de nouvelles façons de travailler que personne n’aurait vu venir. Je réalise finalement que non et les gens continuent d’aller voir les gros films, ceux qu’on leur matraque qu’il « faut aller les voir ». Internet n’a rien révolutionné ni dans le cinéma, ni dans la musique, ni dans la littérature.
Cela permet à quelques artistes de développer des projets grâce aux cagnottes participatives, à des films de bénéficier d’une sortie en salle ou en vidéo du fait de la demande, de révéler des musiciens et des chanteurs qui ont plu au public…
Nora : Cela n’a pas changé le fond de la création, le savoir-faire. Cela a changé le faire-savoir, cela a développé les moyens de faire connaitre.
Mais cela peut inspirer quelques réalisateurs qui ont envie de découvrir de nouvelles technologies, de faire autrement du cinéma comme tourner entièrement à l’iPhone…
Pour finir, quels sont vos projets pour 2019 ?
Nora : Je viens de débuter mon nouveau spectacle au République et je partirai ensuite en tournée. J’espère qu’il plaira au public. Et peut-être que d’autres rôles de cinéma se présenteront.
Et vous Vincent, qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter ?
Vincent : De tourner dans des beaux films… Mais je pense que 2019 sera une année blanche. Concernant mes projets personnels en tout cas.
Vous planchez sur un nouveau film ?
Vincent : Oui. J’en écris trois actuellement. Je ne sais pas encore lequel jaillira en premier.
Propos recueillis et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir
Remerciements : Nora Hamzawi, Vincent Macaigne, Monica D., Fabien G. et Céline B.
Lire aussi : le QDPC de Nora Hamzawi et le QDPC de Olivier Assayas
