SORRY TO BOTHER YOU
La ficheRéalisé par Boots Riley – Avec Lakeith Stanfield, Tessa Thompson…
Etats-Unis – Comédie, Fantastique – Sortie : 30 janvier 2019 – Durée : 111 mn
Synopsis : Beaucoup d’artistes collectionneurs payent beaucoup d’argent lorsque l’art entre en collision avec le commerce. Mais lorsqu’une série de tableaux peints par un artiste inconnu est découverte, une force surnaturelle parvient à s’échapper et cherche à se venger de tous ceux ayant laissé leur cupidité faire obstacle à l’art.
Un impertinent de plus faisant face aux conséquences.
On se sentait coupables, en France. Coupables d’avoir attendu si longtemps avant d’officialiser la sortie au cinéma de Sorry To Bother You. Un film qui a fait son petit bruit au festival de Sundance, mais surtout, époque oblige, via les réseaux sociaux, où le réalisateur Boots Riley s’est empressé de condamner la frilosité de nos distributeurs bien de chez nous à grands coups de pompes et d’injonctions.
C’est de ce dernier sujet dont il est finalement le plus question. Sorry To Bother You, pour qui n’entretient pas avec Twitter une relation fusionnelle, a tout d’un haussement de sourcil égaré. Quel est donc ce film frappé science-fiction / fantastique, mettant en scène tous les chouchous du moment (Lakeith Stanfield, Armie Hammer, Tessa Thompson, Steven Yeun), réalisé et écrit par un jeune cinéaste, mais vétéran d’un Hip Hop versant politique au poing ? Surtout un objet de fantasme, qui ne semble pas vraiment se poser de limites.
Avec un peu de tout, on n’a finalement pas grand-chose, et avec pas grand-chose, on a virtuellement tout ce qu’on veut. Voilà l’état d’esprit du spectateur moyen, du quidam curieux au convaincu par connivence, aux premières lumières de Sorry To Bother You. Pour encore mieux identifier sa cible de prédilection, Cassius Green (Stanfield) est un loser magnifique, un Lebowski en retard (petit miracle) qui troque son tapis contre un squat dans le garage de son oncle, une caisse pourrie et un taf de télémarketeur impersonnel – si vous voulez cibler les cinéphiles et les étudiants, vous ne pouvez pas mieux vous y prendre.
Du confort de la révolution
La situation initiale du perdant paumé prend son temps, mais on sourit encore. Le casting fait son taf, les situations sont cocasses dans toute la dimension du mot – rigolotes, prévisibles et un peu tièdes. L’anti-héros de Boots Riley avance en crachotant dans sa poubelle-mobile pendant que le spectateur peine à regarder le rythme du film caler dès qu’il essaie de démarrer. Et voilà que le cœur du propos, l’épiphanie de se rendre compte que prendre un accent blanc permet de se mettre la vie dans la poche, d’accéder au pouvoir comme dans les hauts sphères d’une secte secrète, idée hilarante sur le papier, est ici tristement cousue de fil – excusez nous l’incongruité mal placée, blanc.
Sorry To Bother You devient alors un formidable exercice impossible à l’heure de l’auteurisation des œuvres et de l’indissociabilité créateur-créature. Le spectateur se voit contraint, dans une posture pas spécialement confortable, de passer son temps à excuser une forme creuse, datée et teintée d’évidences sur l’autel d’un propos pertinent. Boots Riley a créé un film avec 15 ans de retard, ou 15 ans d’avance, difficile à savoir ; il devient, s’il fallait forcer une comparaison qui n’a pas lieu d’être pour mieux se faire comprendre, l’antithèse au même travers d’un Harmony Korine dont les œuvres sont aussi cristallisantes de leur époque le jour de leur sortie qu’obsolètes dès le lendemain.
Défini par l’étrange, Sorry To Bother You en transforme la sémantique une fois ingérée son expérience : impossible de savoir si l’on a aimé ou non (cette critique et son contenu en faisant foi) ce déroulé d’un grand-n’importe-quoi finalement aussi attendu qu’un habitus pour un bourdieusien. Passée l’attente de tout, on ne retrouve plus que quelques bribes de nos certitudes fondamentales. Conforter le spectateur dans ses certitudes, pour un film révolutionnaire, c’est un peu le contresens qu’il ne fallait surtout pas faire.