CANNES 2019 | Une sélection enthousiasmante
En route vers Cannes, partie 2
De nombreux retours prestigieux
Deux ans après Okja, qui avait agité le paysage cinématographique en étant le premier film produit par la firme Netflix sélectionné en compétition officielle à Cannes, le cinéaste coréen Bong Joonho revient avec un drame nommé Parasite. Ce retour au pays s’accompagne d’une nouvelle collaboration avec son acteur fétiche Song Kangho, déjà présent au casting de Snowpiercer, mais surtout de Memories of murder, le film qui a popularisé Bong en occident. Parasite est un film long, plus de deux heures, qui voit son cœur être symbolisé par une famille, revenant à la structure qui avait si bien fonctionné pour The Host, qui avait fait le bonheur de la Quinzaine des réalisateurs en 2006. Son titre évocateur et les obsessions du réalisateur pour le fantastique et les monstres, sont autant de promesses enthousiasmantes.
Autre retour, celui attendu des frères Dardenne, déjà deux fois palme d’or pour Rosetta en 1999, et l’Enfant en 2005. Leur précédente incursion en compétition à Cannes, en 2016 avec La fille inconnue, avait laissé un goût étrange, le film étant un retour vers une expression plus ténébreuse. Leur cinéma s’était tourné vers une teinte plus lumineuse dans les années 2010, consacré par le très beau et gorgé d’espoir Deux jours une nuit (2014), où il dépeignait une Marion Cotillard en lutte pour conserver son emploi. C’est bien de cette lumière dont nous aurons besoin pour éclairer les salles obscures cannoises, sur un thème aussi dur que la tentation du terrorisme pour un jeune homme donnant son nom au film, Le jeune Ahmed. Sur un sujet aussi difficile à traiter, il ne faudra pas moins que toute la science de la mise en scène de la fratrie belge, rodée aux thématiques les plus ardues.
Des gangsters, encore
C’est un véritable polar peuplé de gangsters que nous proposera Diao Yinan, réalisateur chinois. La promesse d’un film haletant mettant en scène une chasse à l’homme entre malfrats est à l’ordre du jour. Le titre français devrait être Le lac aux oies sauvages, le film étant d’ors et déjà acquis par la société de distribution Memento, connue pour ses choix sûrs et de qualité. Diao Yinan s’était fait remarquer en 2014 avec Black Coal, déjà un film policier très noir, qui avait reçu l’Ours d’or de la Berlinale. On y retrouve Liao Fan qui incarnait le rôle principal déjà dans ce film précédent. Diao Yinan avait fait preuve d’une grande qualité de conteur, portant un regard à la fois très propre à sa culture chinoise, mais utilisant également le rythme et les codes du film de genre à la perfection. Cinq ans après, ce nouveau film au titre poétique est l’occasion de démontrer que Diao est un réalisateur sur lequel on doit compter non seulement en festival, mais aussi dans le paysage cinématographique global.
Exposer d’autres cinéastes
Une des premières très belle surprise de cette liste annoncée par Thierry Frémaux fut l’annonce de la sélection en compétition du premier long-métrage de fiction de l’actrice réalisatrice Mati Diop, sous les couleurs du Sénégal (en co-production avec la France). Nous avions évoqué en prémisse à la sélection notre intérêt pour la nièce de Djibril Diop Mambety (Touki Bouki), et la grande attente de ce premier film après une flopée de court-métrages célébrés en festival, dont Mille soleils était l’un des plus vibrants exemples. Atlantique est un drame se déroulant à Dakar, dans un futur incertain, au moment du mariage d’Ada, dont la fête est ravagée par un incendie. L’histoire du film semble complexe et nouée autour d’une histoire d’amour impossible entre Ada et un homme nommé Suleiman, sur fond d’une épidémie décimant la population du quartier populaire de la capitale du Sénégal où se niche l’action du film. Atlantique et son intrigue étrange, son casting de visages neufs, et le talent de Mati Diop, pétrie d’ambition, nous font compter les jours pour le découvrir.
Malick et Mendoça Filho reviennent
Très loin du 93, il se fait hâte de découvrir Une vie cachée de Terrence Malick, palme d’or 2012 pour Tree of life. L’auteur étasunien de 75 ans jadis si rare, ne semble plus pouvoir arrêter son rythme effréné qui le voit signer pas moins de 6 films en 8 ans, lui qui n’en avait réalisé que 2 en près de trois décennies. Auparavant intitulé Radegund, le film raconte l’histoire d’un agriculteur autrichien, Franz Jagerstatter, qui aurait refusé de se battre dans l’armée nazie pendant la seconde Guerre mondiale, se retrouvant en conséquence condamné à mort par le troisième Reich. Cette histoire signe le retour du réalisateur de La ligne rouge à un cinéma plus narratif, après son cycle onirique entamé avec Tree of life et conclu avec Song to song. August Diehl, incandescent dans le Diamant noir d’Arthur Harari, incarne le personnage principal, rôle à la mesure de son physique particulier, gorgé d’intensité contenue. Rêvons d’un film qui rappellerait les errances champêtres de son premier film, Badlands.
Autre grand espoir, et témoin d’un nouveau cinéma brésilien qui ne cesse de s’imposer depuis dix ans, le nouveau film co réalisé par Kleber Mendoça Filho et Juliano Dornelles. La barre a été placée très haute pour ce Bacurau après le triomphe réservé, à juste titre, au sublime Aquarius, avec la grande Sonia Braga, qui est de nouveau au casting de ce nouveau film du réalisateur des Bruits de recife. Le film semble hybride dans sa thématique, entre western, évoqué par une très belle affiche aux tons rouges, épouvante et science-fiction. On y retrouve un thème classique, celui du metteur en scène parti en tournage dans un village, et qui découvre petit à petit que ses habitants ne sont pas ce qu’ils paraissaient être. Ce synopsis nous donne presque l’impression d’être coincé dans une série B du « midwest » étatsunien, à une encablée du Crystal Lake de Vendredi 13, et de la famille de Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper.
De la Roumanie à la Palestine
Dans la catégorie « nouveau cinéma » il est difficile d’envisager une compétition sans un représentant de la Roumanie et sa légion de réalisateurs talentueux. Après l’excellent Baccalauréat de Cristian Mungiu, ou le remarqué Sieranavada de Cristi Puiu, c’est au tour de Corneliu Porumboiu d’être honoré d’une sélection en compétition officielle à Cannes cette année. Son film s’appelle La gomera, dont le titre français semble être Les siffleurs, en référence à la langue sifflée que doit apprendre le personnage principal du film en voyage dans les îles des Canaries. Sur fond d’intrigue policière et de trafic de drogue, il faut s’attendre à tout de la part de l’auteur du Trésor. En effet, ce petit film avait fait souffler un vent de fraicheur des plus bénéfiques lors de sa sélection à Un certain regard en 2015, à rebours de films plus sombres où il se démarquait par son humour noir et sa qualité de mise en scène. Ce nouveau film a tout du profil d’un outsider de poids au sein de la vingtaine de films qui composent ce cru 2019.
Dix sept ans se sont écoulés depuis la présentation à Cannes d’Intervention divine, film étrange imprégné du cinéma de Jacques Tati, où le réalisateur palestinien avait marqué les esprits par son ton léger pour traiter des sujets les plus âpres. It must be heaven sonne comme une mise en abyme très autobiographique pour Elia Suleiman qui y joue son propre rôle, celui d’un réalisateur palestinien qui fuit son pays dans un comédie burlesque et absurde qui le voit attérir à New-York en quête d’ailleurs. Dans son questionnement de l’identité et de la nationalité, Suleiman nous fait penser au récent Synonymes de Nadav Lapid, dont le héros partageait les mêmes angoisses, choisissant quant à lui Paris et la France comme nouvelle terre d’adoption. L’israélien et le palestinien semble uni avec leurs deux films autour d’une même thématique, terriblement actuelle et brûlante, pour ces deux peuples qui ont tant de mal à partager un même territoire.
Française(s)
Dernier nom évoqué avant les traditionnels rajouts de la fin du mois d’avril, celui de la française Justine Triet, passée par la Semaine de la critique pour Victoria il y a deux ans. Sybil est l’occasion de réunir un très beau casting autour de Virginie Efira, pour leur deuxième film consécutif ensemble, avec également Adèle Exarchopoulos et Gaspard Ulliel. La relation entre Efira et Adèle E., celle d’une psychanalyste et d’une jeune actrice empreinte à des troubles émotionnels, peut être un grand moment de cinéma. La progression de Triet dans la construction de son univers depuis La bataille de Solferino, permet d’être enthousiaste quant au résultat final. Son travail avec Virginie Efira et Laetitia Dosch par le passé ont montré ses talents de directrice d’acteurs, faisant jaillir de l’inattendu de scènes pourtant banales. Notons les choix ambitieux de l’équipe de programmation avec ces jeunes réalisatrices, en début de carrière, dont les films pourraient faire date et motiver à briser un plafond de verre qui les limite à 4 cette année, ce qui est pourtant un record.
Le mot enthousiasme revient souvent ici, c’est ce qui transparaît de cette liste de films et de créateurs témoins d’une ambition rarement vue ces dernières années dans ce qu’il est commun d’appeler le plus grand festival de cinéma au monde. Une sélection plus féminine, avec des premiers films, appelant un regard plus complet sur la diversité de nos populations, elle est plus que jamais le pouls et le dynamisme de cet art qui nous passionne tant. Tous les éléments sont réunis pour que cette édition 2019 soit une des plus belles de ces vingt dernières années, entre expérience et nouveauté.