L’ETRANGE FESTIVAL 2019 | Compte-rendu
Jour 12 : dimanche 15 septembre 2019
En cette ultime journée de festival, j’ai vu pour vous First Love, le dernier film de Takashi Miike, le thriller Furie d’Olivier Abbou, mais également la cérémonie de clôture avec la projection d’Extazus de Bertrand Mandico et de The True History of the Kelly Gang de Justin Kurzel.
First Love (Takashi Miike, 2019)
First Love raconte l’histoire d’un yakuza qui souhaite arnaquer un gang en détournant de la drogue. Pour cela, il s’associe avec un flic corrompu afin de faire accuser Monica, une callgirl toxicomane. Son plan va néanmoins tomber à l’eau, en raison de l’intervention de Leo, un jeune boxeur atteint d’une tumeur au cerveau, qui est tombé amoureux de Monica. Tous vont alors être poursuivis dans les rues de Tokyo par l’ennemi juré du yakuza, mais aussi par une tueuse engagée par les triades chinoises.
Furie est un thriller horrifique réalisé par le français Olivier Abbou, et raconte l’histoire d’un couple qui ne peut pas rentrer chez lui en raison d’un vice contractuelle autorisant les occupants à rester chez eux en tant que locataires.
Le principal problème du film réside selon moi dans la direction de ses acteurs et actrices, ainsi que dans ses dialogues sur-écrits et assez poussifs. Cela crée systématiquement une distance à l’égard du récit, à laquelle on s’habitue, mais qui dessert clairement le film. Son sujet, au-delà du simple home-invasion, possède aussi de nombreuses implications sociales, que ce soit en termes de classe, de « race » au sens social-culturel du terme, que de genre. Aussi nous décrit-il plusieurs mécanismes de violence symbolique subis par le personnage principal, mais dont l’anecdotisme ne donne par réellement de cohérence au film, ni de crédibilité aux personnages. Le réalisateur semble avoir voulu projeter dans les antagonistes toutes les formes de violence sociale (la masculinité toxique, le racisme, le choc entre les classes), si bien qu’ils apparaissent comme de purs archétypes, alourdissant encore plus le récit.
C’est dommage, car Furie connaît quelques fulgurances visuelles et iconographiques (notamment dans la séquence de home invasion), et se conclut sur une note grinçante assez drôle. Le tout reste malheureusement poussif et trop écrit selon moi.
ExtaZus (Bertrand Mandico, 2019)
On enchaîne avec la cérémonie de clôture, et notamment la projection de très attendu ExtaZus, un court-métrage composé de trois clips réalisés par Bertrand Mandico, sur une musique de M83. ExtaZus est un écrivain d’heroic-fantasy mégalomane, qui voit se révolter contre lui Nirvana Queen, « son » héroïne principale. L’une de ses lectrices vient ensuite prendre le pouvoir sur son oeuvre, avant de rencontrer Nirvana Queen « de l’autre côté du miroir de la chair ».
J’étais d’abord réticent à la structure en triptyque du film, qui me semblait délaisser l’émotion au profit de la pure contemplation. Néanmoins, ExtaZus est un film qui reste en tête, revisitant nos pensées ici ou là, et qui révèle progressivement son incroyable poésie. Au-delà du brio de la mise en scène, le film cache une réflexion assez profonde sur l’usage magique que l’on peut avoir d’une oeuvre, dépassant le simple être social de l’auteur ou de l’autrice au profit d’une grande communion, poétique et sexuelle, entre nous et les personnages à qui nous donnons vie par notre fascination. Un film à revivre et à revoir, comme toute l’oeuvre de Mandico d’ailleurs.
The True History of the Kelly Gang (Justin Kurzel, 2019)
> > > Lire la critique du film (spoiler : j’ai adoré)
Jour 11 : samedi 14 septembre
Seth Ickerman (ft. Carpenter Brut), Métal Hurlant et Come to Daddy : voilà le programme de cette avant-dernière journée de festival (la salle 100 était malheureusement complète pour Swallow).
Blood Machines (Seth Ickerman, 2019)
C’était sans doute l’une des séances les plus attendues du festival : la projection de l’ambitieux Blood Machines, nouveau film du collectif Seth Ickerman (composé de Raphaël Hernandez et de Savitri Joly-Gonfard).
Auteur de nombreux films de science-fiction, époustouflant vu leurs moyens financiers limités (d’où l’expression revendiquée de « films de garage »), le collectif a vu sa popularité augmenter avec la réalisation du clip de « Turbo Killer » (sorti en 2017), l’un des titres de l’album « Trilogy » (2017) de Carpenter Brut, figure incontournable de la scène électro et du sous-genre de la darksynth. L’univers décrit, clairement influencé par un amour authentique pour la contre-culture des années 80 (que ce soit dans les références iconographiques à la SF type Métal Hurlant, ou bien tout simplement dans le grain de l’image rappelant les films de l’époque), fascinait pour son symbolisme presque ésotérique, minimisant la narration au profit d’une suprématie accordée aux images, à la créativité débordante.
On peut considérer Blood Machines comme une extension de l’univers de « Turbo Killer », à ceci près que le format plus long (50 minutes) conduit le collectif à proposer une narration plus construite, sans pour autant délaisser la pure fascination iconographique qui leur est chère. Le film raconte l’histoire de deux chasseurs de l’espace, qui ont pour mission de traquer une machine qui a l’apparence d’une femme. Se lançant à sa poursuite, les deux chasseurs ne mesurent pas encore l’étendue de son pouvoir.
Fruit d’une production tumultueuse (évidente pour un projet aussi ambitieux) et d’une longue post-production (plusieurs centaines de plans possèdent des effets spéciaux numériques), le film confirme l’immense talent du duo, qui a su concrétiser ce projet, notamment dans son monumentalisme technique.
Même si le pitch de départ peut donner une impression de déjà-vu, le film délaisse presque naturellement la narration traditionnelle au profit de la pure fascination visuelle, notamment dans ses dix dernières minutes qui ne s’accordent aucune limite mythologique. Tous les plans ne sont pas totalement aboutis techniquement, mais il n’en demeure pas moins que le tout reste jouissif. Un collectif à suivre de très près.
« Un voyage vers un univers inimaginable, au-delà de la science-fiction… Un film de mystère, un film de magie noire, un film de phantasmes sexuels, un film beau à en pleurer, un film terrifiant à en mourir. Metal Hurlant, la « machine » à rêver ». Voilà les mots inscrits sur l’incroyable affiche du film culte de Gerald Potterton, produit par Ivan Reitman (réalisateur de SOS fantômes). Adapté de l’esprit de la revue Heavy Metal (elle-même l’adaptation américaine de la revue française Métal Hurlant), ce film à sketches est un pur bijou de contre-culture : imagerie forte mêlant SF, ésotérisme et érotisme, une violence parfois exacerbée, un humour décalé et punk, du rock et du métaln le tout signé par les plus grandes figures du « mauvais genre » de l’époque (dont Dan O’Bannon, dont on a pu apprécier le travail vendredi avec Réincarnations).
Totalement en roue libre, le film témoigne d’une liberté créative assez folle, en dépit de ses quelques longueurs (tous les segments ne se valent pas), et des années qui ont passé. Hanté et fasciné à la fois par le Loc-nar, cette sphère verte provoquant le mal partout où elle passe, Métal Hurlant est un réel plaisir cinéphile, un concentré punk faisant fi des institutions dominantes et de leurs normes.
Come to Daddy (Ant Timpson, 2019)
Réalisé par Ant Simpson, cinéaste néo-zélandais connu pour avoir produit The ABCs of Death, Come to Daddy raconte l’histoire de Norval Greenwood (Elijah Wood), un trentenaire citadin « sophistiqué », qui rend visite à son père après que celui-ci lui ait envoyé une lettre stipulant qu’il avait quelque chose d’important à lui dire. Le connaissante à peine, Norval est effrayé par ce père alcoolique et violent, qui semble bien embêté par la présence de son fils.
La principale force du film, c’est son imprévisibilité. L’introduction globalement balisée (la rencontre malsaine entre le père et son fils) est rapidement balayée par un premier twist, laissant suggérer que le film se tournerait vers le fantastique. Or, encore une fois, le récit surprend tout le monde avec un nouveau rebondissement, qui renvoie le film vers une nouvelle direction, plus potache. Come to Daddy est tantôt anxiogène, tantôt farcesque, jouant in fine la carte d’une violence comique et vulgaire plutôt réussie. Néanmoins, ce mélange des tons peut parfois lui faire défaut, annihilant l’horreur et la noirceur au profit de la pure comédie. Finalement, son entreprise d’auto-déconstruction permanente, plutôt maligne pendant la première heure, joue parfois trop la carte du grotesque, relativisant ainsi la gravité de ses enjeux (notamment la relation père/fils). Come to Daddy est un donc un film plutôt habile, mais qui peine à maintenir cet équilibre fragile entre la noirceur de son récit et le décalage comique produit par sa propre déconstruction.
Jour 10 : Vendredi 13 septembre
Un thriller coréen (vraiment pas terrible) et les deux dernières cartes blanches de Jean-Pierre Dionnet : voilà le programme de ce tumultueux vendredi 13 !
Idol (Su-jin Lee, 2019)
Un politique craint pour sa carrière lorsqu’il découvre que son fils a commis un délit de fuite, ramenant au domicile de la famille le corps d’un homme qu’il a renversé.
Idol est pour moi l’un des moins bons films de la compétition : une intrigue parfois incompréhensible (en raison d’une narration brouillonne, notamment au niveau du montage), une mise en scène plate sans le moindre sursaut, des ruptures de ton ratées, et une pseudo critique sociale déjà vue en (beaucoup) mieux ailleurs dans le cinéma sud-coréen. Pas grand chose à dire d’autre : passez votre chemin.
Film de et avec Cornel Wilde, La proie nue est un « survival » racontant l’histoire d’un groupe de chasseurs qui, lors d’un safari en Afrique, refuse de faire un don à une tribu malgré l’insistance de leur guide (Cornel Wilde). Les chasseurs sont alors capturés, torturés, tués, voire même mangés. Les guerriers du village décident enfin de « jouer » avec le guide, en lui accordant plusieurs longueurs d’avances avant de se lancer à sa poursuite. Traqué, épié par une nature hostile, le guide va tout mettre en oeuvre pour survivre à cette chasse à l’homme.
La proie nue est un film très cruel, voire sadique avec son personnage principal, en le faisant évoluer dans une nature ne présentant aucune douceur. Les animaux s’affrontent, se tuent, se mangent, sortent d’un rocher pour attaquer, piquer et mordre, plaçant le film sous l’égide d’une « loi de la jungle » démesurément violente et hostile. La proie nue est relativement crédible par rapport à son sujet et dans son rapport au territoire filmé, n’omettant jamais des enjeux aussi simples que la soif, la faim, la digestion, la fatigue, la difficulté de chasser, bref, tout ce qui compose la survie d’un corps dans un milieu hostile (en revanche : aucun coup de soleil dans un désert sans ombre, et une improbable capacité à courir toute la journée par une chaleur accablante). On peut s’interroger philosophiquement sur la représentation de la nature dans le film (uniquement montrée sous le prisme de la violence), qui peut apparaître néanmoins comme une condition sine qua non pour un « survival » comme celui-ci.
Le film (sorti en 1965) reste encore efficace, haletant, et assoiffant, donc sujet légitime d’une belle carte blanche.
Dernière et émouvante proposition du maître Dionnet, Réincarnations est un film d’horreur américain réalisé par Gary Sherman, et scénarisé par Dan O’Bannon (Alien, le huitième passager, Métal Hurlant, Le Retour des morts-vivants, Total Recall, Planète Hurlante, Hémoglobine). Le film commence par le meurtre d’un photographe, mystérieusement brûlé vif. Après la découverte du corps, Dan Gillis, shérif de la ville de Potter’s Bluff, décide de mener une enquête, secondé par le médecin-légiste de la ville, William G. Dobbs.
Pur produit de la galaxie Metal Hurlant et EC Comics, Réincarnations (Dead and Buried pour le titre original) est un vrai film d’horreur, dont le héros ne peut ressortir indemne. Meurtres violents, comportements irrationnels et glaçants, jeux de dupe, le film de Sherman est un plaisir de « mauvais genre », qui nous offre aussi une réflexion glaçante (c’est le cas de le dire) sur la mort et les « possibilités » qu’elle offre. Ça sent bon la magie noire, le vaudou, la « folk horror », le tout en gros plan, sous le regard avisé de Steven Poster (futur directeur de la photo de Donnie Darko), qui a su capter le charme des effets spéciaux de Stan Winston (qui travaillera sur Terminator, The Thing ou bien encore Predator). Une pépite qui n’a rien révolutionné, mais qui se savoure comme l’une des innombrables ruelles de notre cher « quartier interdit » dont L’Étrange Festival se fait le temple. Merci Jean-Pierre Dionnet !
Jour 9 : jeudi 12 septembre
Deux films en compétition, une carte blanche de Jean-Pierre Dionnet : une neuvième journée de festival fort sympathique !
The Wretched (Brett Pierce, Drew T. Pierce, 2019)
Première séance de la journée : The Wretched, un film fantastico-horrifique réalisé par les frères Pierce. L’histoire suit principalement le personnage de Ben, un jeune homme de 17 ans dont les parents sont en instance de divorce. Pendant l’été, il rejoint son père afin de l’aider dans la gestion d’un port de plaisance. Il remarque peu à peu que ses voisins ont un comportement étrange, notamment la mère de famille. Les soupçons de Ben se précisent alors que plusieurs enfants du quartier disparaissent…
Clairement influencé par l’oeuvre de Stephen King, The Wretched mêle l’horreur aux thèmes de la famille et de l’adolescence. Ben, comme les enfants de Ça, est plus clairvoyant que les adultes, plus sensible à la présence de l’entité maléfique, qui pénètre littéralement les corps de gens dont la présence était jusqu’alors rassurante (la mère, le flic, la grande soeur, etc.). Encore une fois, l’horreur consiste à montrer des choses que l’on a pas l’habitude de voir ailleurs, mais c’est également un cinéma qui montre d’une nouvelle manière des choses, révélant, parfois de façon excentrique et grotesque, la part d’ombre de nos institutions en apparence saines. C’est exactement le cas dans The Wretched, où une mère mange son bébé, où un flic essaie de noyer un ado, et où une grande soeur se prépare un festin en partant en mer avec quelques bambins…
Le film ne réinvente rien (on perçoit très rapidement la direction qu’il va prendre, dans la pure tradition du King), mais tente néanmoins quelques innovations, comme avec la créature elle-même, qui rappelle certaines figures du conte traditionnel (l’ogre, la sorcière). En termes de narration, on peut souligner la présence d’un « twist mémoriel » plutôt ambitieux, plus habile sur le papier que dans sa mise en oeuvre, la faute à un montage rétrospectif hasardeux et difficilement lisible. Pas une révolution, mais un bon moment à passer.
Barbarosa (Fred Schepisi, 1982) : Carte Blanche de Jean-Pierre Dionnet
Difficile de parler d’un film après Jean-Pierre Dionnet, que l’on pourrait écouter parler pendant des heures sans se lasser.
Barbarosa (en français La Vengeance mexicaine ou Vengeance mexicaine selon les affiches) est un film réalisé par l’australien Fred Schepisi, avec Willie Nelson, Gary Busey (méchant dans L’Arme fatale, Boddy Holly dans Buddy Holly Story), et la star du muet et du parlant naissant Gilbert Roland. Le film raconte l’histoire d’un jeune fermier du nom de Karl Westover (Gary Busey), qui est obligé de prendre la fuite après avoir tué un voisin par accident. Il fait alors la rencontre de Barbarosa (Willie Nelson), lui-même menacé de mort par son beau-père (Gilbert Roland), un riche éleveur mexicain, qui lui reproche notamment d’avoir épousé sa fille contre sa volonté. Tous deux traqués, Karl et Barbarosa vont s’allier pour survivre.
Bien après l’âge d’or du western classique, puis du western spaghetti ou violent à la Peckinpah, Barbarosa propose une histoire cruelle, où les êtres sont violemment consumés par la vengeance. Willie Nelson est débordant de charisme, imposant dans la chaleur moite du désert la légendaire violence de son personnage, mais également sa profonde humanité, au travers de sa relation avec Karl. Presque shakespearien, le film est à la fois une hécatombe et une ode aux éternelles légendes de l’Ouest et du Mexique, qui survivent symboliquement dans les corps qu’ils ont blessés et les esprits qu’ils ont marqués. La violence est inévitable, la mort est presque certaine, les esprits ne sont jamais apaisés, et le mythe du bandit à la barbe rousse demeure, au grand dam du personnage de Gilbert Roland. Une mise en scène admirable, une photographie moite et poussiéreuse (dans le bon sens du terme), et une magnifique prestation de Willie Nelson.
Premier long-métrage du britannique William McGregor (qui avait déjà réalisé quelques épisodes de Misfits et de One of Us), La terre des oubliés (Gwen pour le titre original) raconte l’histoire d’une famille vivant dans une région reculée du Pays de Galles, en pleine révolution industrielle. Les deux filles vivent seules avec leur mère, et doivent entretenir la ferme familiale, en attendant le possible retour de leur père disparu. Les habitants de la ville, et notamment les dirigeants de la mine locale, semblent hostiles à la présence de la famille. Il y a d’abord ce coeur planté sur la porte de leur maison, puis leurs moutons tous éventrés…
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J8 : mercredi 11 septembre
On repasse à un rythme sympathique pour cette huitième journée, avec cette fois-ci cinq films visionnés !
The Mute (Bartosz Konopka, 2019)
On commence la journée avec The Mute, réalisé par le polonais Bartosz Konopka. L’histoire du film se situe en pleine ère médiévale. Un évangéliste débarque sur une plage pour répandre la chrétienté auprès d’une tribu s’adonnant à des rites païens. Il va d’abord être secouru par un jeune homme sans nom (également chrétien), qui, face à la violence du prêtre, va très vite se séparer de lui, en faisant voeu de silence (il se cout littéralement la bouche). La tribu va peu à peu imploser, entre les adorateurs du « muet », et les suiveurs de l’évangéliste…
Esthétiquement, on pense très vite à Valhalla Rising de Nicolas Winding Refn et à son ambition métaphysique monumentale, mais également à la folie d’Aguirre de Werner Herzog (toute proportion gardée). The Mute ne leur arrive pas à la cheville, la faute notamment à une intrigue déjà traitée de multiples fois au cinéma (par exemple Mission de Roland Joffé, ou plus récemment Silence de Martin Scorsese, dont le titre fait étrangement écho au film de Konopka). Il n’en demeure pas moins que le film témoigne d’une croyance assez fantastique en l’image, contre le trop évident pouvoir de la parole. Cela se manifeste notamment par ces magnifiques séquences de rituels païens, où l’argile vient dessiner sur les visages d’impressionnants masques, grotesques et protéiformes, dont la puissance iconographique marque instantanément la rétine. Le parti pris de ne pas sous-titrer le dialecte de la tribu s’avère également payant : là encore, le film nous explique tout par l’image, faisant totalement confiance aux corps et aux visages de ses actrices/acteurs pour raconter son histoire.
The Mute est selon moi une bataille entre le pouvoir de l’image (que l’on pourrait symboliser par le personnage du muet) et celui de la parole (l’évangéliste, qui martèle son ethnocentrisme méprisant aux membres de la tribu, essentiellement par le verbe). Le muet, en se privant de la parole, s’empêche de tomber dans la violence consubstantielle au discours, laissant l’évangéliste seul face à ses démons qu’il n’arrive pas à chasser, tourmenté par une brutalité orgueilleuse dont il n’a que trop conscience.
Même s’il paie le prix de ses écrasantes références esthétiques et narratives, The Mute reste un film plutôt fascinant à voir et à penser.
Le serpent blanc (Amp Wong, Zhao Ji)
C’est le coeur excité par la victoire historique de l’équipe de France de basket (allez les bleus !) que j’enchaîne avec Le serpent blanc, film chinois réalisé par Amp Wong et Zhao Ji.
Le film est une adaptation de la légende du serpent blanc, extrêmement connue en Chine (première trace écrite : 1627) et au Japon. Il raconte l’histoire de Blanca, démon du Serpent blanc, qui après s’être confrontée à un général avide de pouvoir (et de magie noire), devient amnésique. Elle est retrouvée par Xuan, un humain chasseur de serpent (contraint par le général), qui va l’aider à retrouver la mémoire. Censés entre ennemis, Blanca et Xuan vont pourtant tomber amoureux l’un de l’autre…
La légende du serpent blanc a déjà connu plusieurs adaptations au cinéma : Le Serpent blanc (1958), film d’animation réalisé par le japonais Taiji Yabushita, Green Snake (1993) de Tsui Hark, ou plus récemment Le Sorcier et le Serpent blanc (2011) du réalisateur hong-kongais Ching Siu-tung (avc Jet Li).
Un tel projet était donc presque assuré d’avoir un énorme succès à l’échelle nationale (ce qu’il eut), tout en choisissant une animation qui rappelle certains codes esthétiques du cinéma mondialisé (surtout américain). Cet équilibre fragile tient globalement ses promesses, grâce à une mythologie et un bestiaire fascinants, qui puisent intelligemment dans la violence, voire parfois dans la cruauté de certaines histoires légendaires ou mythiques (dont le conte est une forme moderne). D’ailleurs, le film aurait pu se passer de certains poncifs de l’animation mainstream (le personnage du chien, dont la pure fonction humoristique est souvent poussive), qu’il a d’ailleurs du mal à intégrer pleinement dans la tonalité du film ainsi que dans sa narration. Dernier bémol : l’animation fonctionne très bien du plan général (paysage) au plan moyen (personnages en pied), mais paraît quelque peu datée lorsqu’on passe en plan rapproché. Les textures de peau, les cheveux, les expressions du visage et les mouvements des personnages manquent parfois de fluidité et de précision. Il en va de même pour la synchronisation par certains moments (sans être un expert, on peut percevoir quelques légers décalages). Le tout reste néanmoins agréable à regarder.
The Doll’s Breath (2019) (suivi de Institut Benjamenta), des frères Quay
On passe d’une légende asiatique à deux légendes du cinéma d’animation : Stephen et Timothy Quay. Ils viennent nous présenter The Doll’s Breath, leur dernier court-métrage, produit par Christopher Nolan et projeté en 35mm.
Le film suit le parcours d’Horacio, qui, par peur de perdre sa femme, décide d’une créer une réplique, qu’il appelle Hortensia. Néanmoins, Horacio sombre peu à peu dans la folie, venant jusqu’à remplacer sa compagne…
Là encore, tout est dit avec les images. Chaque plan, chaque son, chaque répétition, est un concentré de sens et de visions, que l’on a du mal a saisir dans leur entièreté au premier visionnage. Aussi, il est également difficile de faire la « critique » (au départ : établir un discours de jugement en faisant la généalogie des faits, en l’occurrence ici, les composantes esthétiques et narratives du film) d’une telle oeuvre, tant il faudrait la revoir encore pour en saisir toute sa portée. On sent que l’on fait face à du grand cinéma, tellement grand qu’il nous dépasse, nous transportant dans un cauchemar imprévisible, déstabilisant, kafkaïen. Il en va de même pour Institut Benjamenta, qui raconte l’histoire de Jakob (Mark Rylance), qui rejoint l’institut en question pour devenir serveur. Petit à petit, le personnage sombre dans une folie mécanique, se métamorphosant en une semblant de ces poupées aux gestes heurtés chers au cinéma frères Quay. Là encore, la narration relève du rêve, se projettent vers un horizon de sens in fine inatteignable.
Les sources occultes (Laurent Courau, 2019)
« Deux enfants se réveillent et déambulent dans une ville-cauchemar, débutant une quête nocturne fascinante, peuplée d’étranges créatures, de nonnes et de bonimenteurs anxiogènes ». Voilà le « pitch » du film de Laurent Courau, sortilège expérimental, qu’il présente comme une réflexion sur la perception de nos sociétés contemporaines. Citations ésotériques, zombies, sound design assourdissant, dialectes finlandais creepy : beaucoup de poncifs pour un discours louable, mais déjà étudié et entendu (cf tous les gens cités au début du film). Le film a néanmoins le mérite d’inclure dans son discours théorique et ésotérique la liberté du spectateur à projeter ce qu’il veut sur lui et sur le monde. Une belle démarche (collaboration bénévole de plusieurs artistes, de la maison du Chaos près de Lyon, une pratique amateur au sens radical du terme, etc.), mais finalement assez convenu pour un amateur d’étrange.
J6 – J7 : Lundi 9 et mardi 10 septembre
Rythme un peu moins soutenu ces deux derniers jours, avec trois films en compétition et l’avant-première d’une oeuvre magnifique.
A Winter’s Tale (Jan Bonny, 2018)
On commence avec le drame (très glauque) A Winter’s Tale, réalisé par l’allemand Jan Bonny. Le film raconte l’histoire de trois paumés déterminés à former une cellule terroriste d’extrême droite. Ensemble, ils commettent plusieurs attentats, tout en sombrant dans une névrose dévastatrice et autodestructrice.
Sur le papier, le film présente un sujet intéressant, notamment par rapport à la récente recrudescence des mouvements d’extrême droite en Allemagne. Malheureusement, le propos est desservi par un scénario en roue libre, répétitif, brouillon, se complaisant presque dans sa représentation de la violence, qu’elle soit sociale, sexuelle, ou « raciale » au sens social-culturel du terme. L’effet choc (fondamental pour une oeuvre présentée, un peu superficiellement, comme un « film choc ») s’estompe progressivement au profit de l’ennui, voire à l’incompréhension. Trop long et pas assez travaillé. Dommage.
Adoration (Fabrice du Welz, 2020)
Fabrice du Welz présentait en avant-première son nouveau film avec Thomas Gioria et Benoit Poelvoorde.
> > > Lire notre critique du film (spoiler : c’est génial)
Cut off (Christian Alvart, 2018)
Cut off est un thriller réalisé par l’allemand Christian Alvart. Le pitch : lors d’une autopsie, un médecin légiste découvre une capsule contenant le numéro de téléphone de sa propre fille. Tentant de la joindre, il découvre que celle-ci est séquestrée (et violée) par un psychopathe. Il n’a alors pas d’autre choix que d’accepter le jeu de piste qu’on lui propose, afin de retrouver son enfant.
Le film présente plusieurs bonnes idées de cinéma (notamment l’autopsie réalisée par téléphone), mais présente une trop grande ambition scénaristique. Dès lors, les nombreux flashbacks et autres sous-intrigues brouillent la narration en même temps qu’elles rallongent considérablement la durée du film. C’est pas déplaisant (on retrouve la tension et le glauque des Enquêtes du département V par exemple), mais interminable et parfois répétitif. Un bon coup de ciseau n’aurait pas fait de mal.
J’attendais avec impatience ce premier long-métrage de l’américaine Jennifer Reeder, réalisatrice de plusieurs courts traitant de l’adolescence et du « Women’s empowerment ». Knives and Skin raconte l’histoire de la disparition d’une jeune adolescente, Carolyn Harper, dévastant les membres d’une petite ville de l’Illinois. Face à des adultes névrosés et à des garçons égoïstes et violents, les adolescentes du lycée se serrent les coudes.
Je ne m’attarderai pas trop sur ce film, car je suis resté complètement en dehors, en dépit de ses intentions, parfaitement louables. Je trouve que Knives and Skin n’apporte pas grand chose en plus à l’oeuvre de Reeder, voire même qu’il fait office de redite (plusieurs idées de son court-métrage Blood Below the Skin sont reprises plan par plan). L’intrigue principale (la disparition de Carolyn) donne également une impression de déjà-vu (Twin Peaks de David Lynch : la disparition d’une adolescente révélant les névroses d’une petite communauté américaine). Il en va de même des effets de mise en scène (lumières magenta, fondus enchaînés, surimpressions, musique abondante), qui rappellent eux aussi le cinéma de Lynch. Je pense enfin que le film n’arrive pas vraiment à trouver son ton, entre le drame, l’horreur et la pure comédie, rendant le tout hétérogène et poussif. Le film a d’indéniables qualités iconographiques, mais peine, selon moi, a réellement raconter quelque chose, au-delà de ses intentions (que ce soit en termes de discours que de mise en scène).
Mais ne vous attardez pas sur mon avis, et lisez plutôt la critique d’Amandine, plus réceptive à la proposition de Reeder, prochainement disponible sur Le Bleu du Miroir.
Jour 5 : Dimanche 8 septembre
Paradise Hills (Alice Waddington, 2019)
On commence cette cinquième journée avec la projection de Paradise Hills (section Nouveaux Talents), premier long-métrage de la cinéaste espagnole Alice Waddington. Le film raconte l’histoire d’Uma (Emma Roberts), une jeune femme « de bonne famille », qui doit, contre son gré, se marier avec un grand favori. Hostile à ce destin tout tracé, elle est alors envoyée sur une île étrange, en apparence idyllique, où on la « prépare », en compagnie d’autres jeunes femmes, à la vie qui lui est destinée.
Le film reprend les archétypes du conte traditionnel (la princesse, le prince, la sorcière) pour les incorporer dans un discours féministe contemporain, ainsi que dans une esthétique post-moderne presque surréaliste. C’est plutôt jolie, mais le tout reste malheureusement prévisible et déjà-vu. La caractérisation des personnages est poussive, car il ne sont au service que du discours émancipateur (et louable) du film. Plus précisément, Paradise Hills ne fait passer ses personnages que d’une fonction à une autre, sans vraiment y incorporer une réelle authenticité. Dès lors, le risque est de rester presque systématiquement en dehors du film (ce qui fut mon cas). Dommage.
Shadow (Zhang Yimou, 2018)
On continue avec le film chinois Shadow (compétition), réalisé par Zhang Yimou. Le film est l’adaptation d’un récit de la saga des Trois Royaumes (déjà adaptée par John Woo et Daniel Lee), l’un des plus grands romans de la littérature chinoise, écrit par Lui Guanzhong au XIVe siècle.
L’histoire du film est assez complexe : en Chine, au IIIe siècle après J-C, le souverain du royaume de Pei souhaite récupérer la ville de Jinghzou, alors possédée par le royaume de Yang. Critiqué par plusieurs de ses conseillers, le roi de Pei voit également son commandant de guerre, Ziyu, se détacher de son autorité, afin de provoquer en duel le commandant ennemi.
Sauf que Ziyu n’est pas le vrai commandant. Son vrai nom est Jinghzou (comme la ville), et est utilisé par le vrai Ziyu (malade) pour comploter contre le roi, profitant du combat pour reprendre secrètement le contrôle de la ville de Jinghzou, et ainsi prétendre légitimement au trône de Pei.
On comprend alors que les thèmes de la dualité, du double, du vrai et du faux, du bien et du mal, du yin et du yang, sont au coeur de la dramaturgie du film. Shadow est une grande fresque shakespearienne, assumant son monumentalisme (narratif et visuel), aussi bien dans sa première partie, classique et politique, que dans sa seconde, aussi virtuose que violente.
Ce jeu des oppositions se traduit à l’écran par un sublime noir et blanc, rompu néanmoins par la couleurs des peaux, mais aussi et surtout par le rouge du sang. Les séquences d’affrontements, au-delà de leur plastique admirable, décuple par l’épique le tragique savamment installé jusqu’alors. Le dénouement ne ménage pas le destin de ces personnages, condamnés à être ce qu’ils ne sont pas (Jinghzou, mais aussi la vrai femme de Ziyu), ou bien à une vie que ne leur appartiendra plus (la soeur du roi de Pei).
Shadow nous dépeint alors un monde qui ne s’exprime qu’en tant que théâtre cruel, injuste et violent. La mort ne semble alors être que le seul moyen de s’affranchir de ces destinées pesantes, charges de héros et d’héroïnes qui ne souhaitaient peut-être pas assumer cette fonction. C’est magnifique, épique, et tragique. Un nouveau coup de coeur.
Très bon anniversaire Alejandro
Lire notre article consacré au réalisateur qui fêtait hier son anniversaire au Forum des images.
Jour 4 : Samedi 7 septembre
Un film en compétition, deux cartes blanches : c’est parti pour l’Etrange Festival J4 !
The Art of Self-Defense (Riley Stearns, 2019)
On commence avec la comédie noire (voire horrifique) The Art of Self-Defense (compétition), réalisée par l’américain Riley Stearns. Le film raconte l’histoire de Casey, un jeune homme introverti et anxieux, qui après s’être fait agressé dans la rue, décide de combattre ses frustrations en rejoignant une école de karaté. Au contact de son professeur « Sensei », défenseur d’une masculinité virile, violente et misogyne, Casey devient obsédé par sa « puissance » naissante.
Traiter le sujet des masculinités toxiques sous le double prisme de la comédie et de l’horreur s’avère payant, aussi bien d’un point de vue artistique que politique. En effet, l’idée de tourner en ridicule les immondes aphorismes masculinistes (provoquant le rire), tout en représentant leur violence, physique et psychique (provoquant l’effroi), rappelle la réflexion de Judith Butler sur la parodie dans Trouble dans le genre : au lieu d’évacuer de notre esprit les conceptions antisociales des genres et des sexes, tâchons plutôt de les subvertir, afin d’en exacerber le non-sens, le ridicule, et finalement, d’en rire (sans évacuer leur gravité). C’est ce que fait, selon moi, le film de Riley Stearns, qui profite du jeu décalé de Jesse Eisenberg pour créer un contraste entre ce qu’il est et ce qu’il pense être. Un peu à l’image du cinéma des Coen, The Art of Self-Defense, au travers de sa mise en scène épurée, ses jeux de focales (« ingénieux » effets d’exclusion), de ses très longs zooms, et aussi et surtout du jeu de ses acteurs, crée une atmosphère de stupidité généralisée, qui révèle encore plus son ridicule lorsqu’elle bombe le torse, au nom d’une soi-disant confiance en soi. Aussi dérangeant que brillant, malgré quelques petits problèmes de rythmes.
It Happened Here (Andrew Mollo, Kevin Brownlow, 1964)
Suit dans la salle 300 la carte blanche de l’immense écrivain de fantasy et de science-fiction, Mr. Michael Moorcock. Le regard doux, l’accent irrésistible, il nous présente un film rare, qu’il n’a lui-même jamais vu en entier, et dans lequel il a tenu un petit rôle. It Happened Here est un film dystopique montrant une Angleterre occupée par l’Allemagne nazie en 1940, et avec qui elle collabore. Le film suit le parcours de Pauline, enrôlée dans une organisation « médicale » qui collabore avec l’ennemi.
L’effet de réalité, lié au choix d’une mise en scène type « images d’archives », est saisissant. Montrant d’authentiques fascistes anglais, déversant leur haine d’un ton ferme et triomphant, le film exprime l’idée que l’Angleterre n’était alors pas antinomique du fascisme de l’époque, voire même qu’il pouvait constituer un risque dépassant la simple éventualité. Aussi, le triomphalisme de rigueur après la guerre est-il ici critiqué, réveillant de vieux fantômes qui auraient pu posséder les esprits en cas de détresse.
Fruit d’une production chaotique (plus de 10 ans), un temps enterré par United Artists, It Happened Here resurgit aujourd’hui d’entre les morts, et fait d’autant plus sens au regard du regain de popularité de l’extrême droite dans le monde. On passe outre les longueurs et le découpage parfois hasardeux : le visionnage de ce film est une chance d’ouvrir les yeux.
Enfin, je me devais de mentionner ce moment touchant lors de la projection, lorsque Michael Moorcock, assis deux rangs en face de moi, s’est reconnu à l’écran en tant que jeune figurant, posant tendrement sa tête sur l’épaule de sa compagne…
La petite fille au bout du chemin (Nicolas Gessner, 1976)
Dernière séance de la journée, et personnellement mon grand coup de cœur, la carte blanche de Pacôme Thiellement !
La petite fille au bout du chemin est un film sorti en 1976, réalisé par le cinéaste suisse Nicolas Gessner, mettant notamment en scène Jodie Foster, Martin Sheen et Mort Shuman. Comme l’explique bien Thiellement, il est difficile d’appréhender le film en termes de genre. Mêlant horreur, thriller, loves story et leçon de vie (que cela est beau que ce terme prenne sens au travers d’un film dont le personnage principal est une enfant de 13 ans), La petite fille au bout du chemin se prête à l’interprétation, et permet au spectateur d’y projeter une lecture presque universelle de l’humanité, de l’immonde noirceur des adultes à l’authenticité pure des enfants. Cette opposition prend la forme, dans le film, d’un véritable combat entre les forces du bien et du mal. Havre de paix, de culture et de liberté, la maison de Rynn (Jodi Foster) est pourtant hantée par le boogeyman Frank Hallet (Martin Sheen), rejeton pervers d’une marâtre tout aussi intrusive, dont le regard ne reflète aucune bienveillance, aucune gentillesse.
Dans ce monde assombri par ces spectres malfaisants, Rynn entretient une lumière, ce feu qui marche avec elle, et dont Mario, jeune magicien boiteux, est aussi familier. Ensemble, ils résistent aux ténèbres, liés par un amour et une douceur inconditionnels. Rynn est une guerrière de la lumière, plus forte que n’importe quel adulte, porte-étendard d’une rébellion contre la malfaisance. Sublime, La petite fille au bout du chemin est un chef d’oeuvre inépuisable et vertigineux.
Jour 3 : Vendredi 6 septembre 2019
Encore une journée chargée, avec pas moins de quatre films visionnés (mais ça en valait la peine) !
Hail Satan? (Penny Lane, 2019)
Présenté hors compétition, Hail Satan? est un documentaire réalisé par l’américaine Penny Lane, qui nous plonge dans l’univers complexe (et drôle) du Temple Satanique, fondé en 2013 aux Etats-Unis. D’abord considérés comme de simples provocateurs, ou bien (plus généralement), comme de dangereux monstres mettant à mal la société américaine, ses fidèles se chiffrent aujourd’hui à plus de 100 000 membres. Officiellement reconnu en tant qu’église, le Temple n’hésite pas à manifester et exprimer ses opinions publiquement, afin de lutter contre l’idée selon laquelle les Etats-Unis seraient consubstantiels d’un christianisme conservateur, puritain et culpabilisant. Aussi, le Temple se déclare ouvertement athée, utilisant la figure de Satan comme un symbole de rébellion à l’égard du pouvoir tyrannique. Anti-essentialiste, positiviste, libéral au sens anglo-saxon du terme, le mouvement prône un message de tolérance, en utilisant la provocation (la construction d’une statue de Baphomet devant le capitole, photos de baisers homosexuels au-dessus de la tombe de la mère d’un pasteur raciste et homophobe, etc.) comme une arme non-violente (l’un des représentants du Temple prend d’ailleurs Gandhi en exemple).
Le film est donc entièrement acquis à la cause du Temple, prenant beaucoup de temps pour expliquer son discours et parfois trop peu pour problématiser sa structure. Hail Satan ? reste néanmoins un film remarquable, drôle et pédagogique.
Irréversible (Inversion Intégrale) (Gaspar Noé, 2019)
C’est dans une salle 500 bondée (notamment par l’équipe du film) que nous est présentée la version remontée d’Irréversible, film choc de Gaspar Noé, sorti en 2002 dans sa première mouture. Le public de l’Étrange Festival a eu la chance d’avoir devant lui quelques grands noms du film : le réalisateur Gaspar Noé bien sûr, mais aussi Monica Bellucci (déjà présente jeudi pour présenter Nekrotonic), Albert Dupontel, et Philippe Nahon ! Aujourd’hui âgé, l’acteur a reçu une magnifique standing-ovation de la part du public, sous les yeux émus de Noé.
C’est donc avec une certaine émotion que débute la projection du film, cette fois-ci présenté dans un montage chronologique. Ce choix se révèle astucieux, permettant de « révéler » de nouvelles dimensions des personnages, ainsi que d’appuyer sur certains thèmes qui étaient déjà présents (mais moins explicites à l’écran) dans la première version : les rapports hommes-femmes (la passion amoureuse et impulsive de Marcus, la lourdeur anodine de Pierre, l’inhumanité immonde et monstrueuse du « ténia » à l’égard d’Alex), l’escalade de la violence, qu’elle soit physique ou verbale, l’injustice chaotique du réel (qu’il soit ordonné chronologiquement ou antéchronologiquement), etc. Ni meilleure ni moins bonne, cette version pourrait être visionné, comme le suggérait Noé juste avant la projection, en diptyque avec le film original, atteignant ainsi ce vertigineux point d’équilibre entre un temps qui « détruit tout » et un temps qui « révèle tout ». Magnifique.
The Room (Christian Volckman, 2019)
Il est difficile d’enchaîner une séance après Irréversible, mais The Room (séance Mondovision), film fantastique réalisé par le français Christian Volckman, attise la curiosité par son concept fort : Kate et Mat, un couple de trentenaires, emménagent dans une grande maison à la campagne, où ils découvrent une étrange pièce capable d’exaucer leurs voeux. Une idée géniale, mais également monumentale en termes de possibilités narratives. Or The Room, qui dure 1h30, peine un peu à embrasser complètement le potentiel philosophique de cette chambre mystérieuse. Dès lors, la caractérisation des personnages devient expéditive, parfois déjà-vue. Une pirouette psychanalytique (tuer le père ou la mère pour être « libre ») est alors utilisée pour « réduire », par la règle, le champ des possibles, mais là encore, cette solution paraît un peu poussive. Il n’en demeure pas moins que le film reste divertissant. Son ambition, louable, est à la fois sa force et sa faiblesse.
1BR (David Marmor, 2019)
Dernière séance de la journée : 1BR (compétition), réalisé par David Marmor. Le film raconte l’histoire de Sarah, une jeune femme qui vient tout juste d’arriver à Los Angeles, afin d’accomplir son rêve et devenir costumière. Cherchant un logement, elle arrive à s’installer dans un appartement du complexe Asilo Del Mar. Elle fait la connaissance de son voisinage, aussi soudé qu’hétéroclite, et très « assidus » sur les règles de copropriété. Sarah découvre alors que ces gens font partie d’une terrible communauté, torturant les nouveaux locataires afin qu’ils/elles les rejoignent.
Très sympathique, 1BR est un film d’horreur cruel et gore, efficace dans sa mise en scène et dans sa narration, offrant une représentation intéressante de cette communauté qui, au nom de l’idée que l’homme serait naturellement égoïste (ce qui ne va pas de soi), justifie une conception crypto-fasciste de l’entraide et du vivre ensemble. Une « bonne vie » est alors antinomique du bonheur, qu’il soit individuel ou collectif. Parfois prévisible, mais assez glaçant dans l’ensemble.
Jour 2 : Jeudi 5 septembre 2019
Après une belle soirée d’ouverture, place à la compétition, avec une deuxième journée chargée !
Dreamland (Bruce McDonald, 2019)
Première séance du jour : Dreamland, un thriller comique et surréaliste réalisé par le canadien Bruce McDonald. Le pitch : un tueur à gage est recruté par Hercules, un proxénète violent et impulsif, afin qu’il coupe le doigt d’un trompettiste qui l’a vexé. Ce-dernier doit donner un concert dans la région pour une comtesse tyrannique, qui organise le mariage de son frère, sorte de vampire pédophile obnubilé par une petite fille détenue par… Hercules.
Dreamland a globalement la même intrigue que le film de Lynne Ramsay, A Beautiful Day (et donc, par extension, du dernier tiers de Taxi Driver), si bien qu’il offre immédiatement une impression de déjà-vu. Les partis-pris visuels (lumières tranchées, blanc surexposé filmé en ultra HD) lui confèrent une ambiance toc surréaliste, qui vire à la farce dans la dernière partie. Ce choix permet au film d’exploiter au mieux le jeu burlesque des actrices/acteurs, qui jusqu’alors n’offrait pas vraiment de cohérence par rapport à l’horreur décrite (mise en place d’un réseau de proxénétisme pédophile). Finalement, au nom de l’extravagance, Dreamland peine à se détacher d’une impression d’hétérogénéité entre toutes ses composantes, qu’elles soient visuelles ou narratives. Plein d’idées, mais brouillon.
Retenons néanmoins la belle double prestation de l’acteur principal du film : Stephen McHattie.
The Boat (Winston Azzopardi, 2018)
On enchaîne avec le survival horrifique The Boat, réalisé par Winston Azzopardi. Le film raconte l’histoire d’un jeune pêcheur parti en mer, croisant la route d’un voilier apparemment abandonné. Après être monté sur le navire pour savoir ce qu’il en est, il se retrouve piégé, son embarcation ayant mystérieusement disparu…
Le film n’a aucune autre prétention que son concept : un homme face à un bateau. C’est justement cette modestie qui lui permet d’être efficace dans son exécution. Hormis les quinze premières minutes, The Boat est savamment rythmé par toute une série d’événements étranges, que l’on n’arrive finalement plus à mettre sur le compte de la malchance. Ce bateau, c’est le Mal, cruel, sadique, gratuit, qui torture le héros en passant outre la trop simple mise à mort. Un découpage efficace, un sujet traité jusqu’au bout, une représentation de l’horreur à l’état pur (qui n’est plus conditionnée par telle ou telle donnée sociale) : que demander de plus ?
Monos (Alejandro Landes, 2019)
Réalisé par le brésilien Alejandro Landes, Monos raconte l’histoire de huit enfants soldats, qui, quelque part en Amérique latine, s’entraînent pour le compte de « l’Organisation ». Sous les ordres du Messager, ils sont chargés de surveiller la Doctora, une otage américaine, ainsi qu’une vache laitière.
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Vivarium (Lorcan Finnegan, 2019)
On termine avec une quatrième et ultime séance : Vivarium, de l’irlandais Lorcan Finnegan.
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Soirée d’ouverture : Reruns (Rosto, 2018) + Nekrotonic (Kiah Roache-Turner, 2018)
La vingt-cinquième édition de L’Étrange Festival est lancée ! Après les quelques mots de Claude Farge (Directeur général du Forum des Images), de Frédéric Temps (Président et délégué général de L’Étrange festival) et de l’immense Jean-Pierre Dionnet (qui nous fera l’honneur de présenter cinq cartes blanches !), nous sont présentés les deux films d’ouverture du festival : tout d’abord Reruns, ultime court-métrage du réalisateur, écrivain et musicien néerlandais Rosto, décédé en mars dernier. C’est donc avec une émotion toute particulière que Pascale Faure et Nicolas Schmerkin, producteurs du film, nous présentent l’originalité de ce court-métrage, sorte de rêve surréaliste, où souvenirs et visions morbides s’entremêlent dans une grande fantasmagorie aquatique. Experimental, poétique, macabre, Reruns fascine, nous perdant dans un ultime labyrinthe, visuel et sonore, à la croisée de la veille et de l’éveille, de la vie et de la mort.
Changement radical d’ambiance avec le film suivant : Nekrotonic, film d’action horrifico-comico-science-fictionnel, réalisé par l’australien Kiah Roache-Turner. Le pitch : Attaqué par des démons qui envahissent le monde en se servant d’une application populaire pour smartphone, un jeune homme est sauvé par des chasseurs d’esprits maléfiques, appelés les Nekromancers. Rapidement, il découvre qu’il est peut-être l’Élu capable de combattre et détruire les démons, dirigés par Finnegan (Monica Bellucci), marâtre cruelle et violente…
Clairement en roue libre, le film brasse d’innombrables influences (la saga Alien, John Woo, Evil Dead, Terry Gilliam, la culture Metal, etc.), au travers d’une intrigue surmenée, pétrie de second degré. Même si sa post-production (visuelle et sonore) offre un rendu parfois (voire souvent) écoeurant, Nekrotonic témoigne d’un amour certain de la culture bis et Z (notamment dans ses innombrables jeux de lumières), poussant donc à une certaine bienveillance. Cette amour pour le genre est d’ailleurs partagé par Monica Bellucci, comme elle l’explique au public juste avant la projection.
Bliss (Joe Begos, 2019)
On enchaîne dans la salle 500 du Forum des Images avec Bliss, thriller horrifique réalisé par l’américain Joe Begos. Le film raconte l’histoire de Dezzy, une artiste peintre frappée par un blocage créatif. En plein doute existentiel, elle décide de tester une nouvelle drogue avec son ami Courtney, afin de retrouver l’inspiration. Néanmoins, ce regain de créativité s’accompagne de violentes pulsions sanguinaires…
Présenté, visuellement parlant, comme un mélange des néons de Winding-Refn et des effets stroboscopiques de Gaspar Noé, le film se place plus directement dans l’héritage du cinéma psychédélique des années 70. On pense au cinéma porno, à certains auteurs la Blaxploitation (Melvin Van Peebles), ou bien encore au cinéma Grindhouse. Le film ne réinvente pas son sujet (la création comme source d’autodestruction de l’artiste), ce qui le rend malheureusement prévisible. Néanmoins, ses expérimentations formelles valent le détour, d’autant plus qu’elles se voient généreusement sublimées par quelques fulgurations gores.