PSYCHOMAGIE, UN ART POUR GUÉRIR
La ficheRéalisé par Alejandro Jodorowsky – Documentaire – France – 2 octobre 2019 – 1h44
Si chacun d’entre nous a un héritage génétique, il possède aussi un héritage psychologique qui se transmet de génération en génération. Alejandro Jodorowsky, cinéaste et artiste multidisciplinaire convaincu que l’art n’a de sens profond que s’il guérit et libère les consciences, a créé la Psychomagie. Au moyen d’actes théâtraux et poétiques s’adressant directement à l’inconscient, cette thérapie permet de libérer des blocages. Psychomagie, un art pour guérir est l’expérience artistique la plus complète sur l’évolution de l’oeuvre créative et thérapeutique d’Alejandro Jodorowsky.
La critique du film
La psychomagie, c’est donner à la réalité le langage de l’inconscient. Ce langage n’investit pas forcément des mots, mais plutôt des corps et des actes. Plutôt que d’être rongée par un traumatisme, la personne va le sublimer, le mettre en scène, afin de s’en libérer, et pouvoir ainsi s’épanouir. « Chacun doit être guérisseur de soi-même », et cette guérison, selon Jodo, passe par l’art. Voilà pourquoi elle est sacrée.
Avec ses deux derniers longs-métrages (La danza de la realidad et Poesía sin fin), Alejandro Jodorowsky s’était lui-même livré à un double acte de psychomagie, exorcisant les fantômes de sa jeunesse au travers d’une fresque familiale poétique et bouleversante. Un magnifique geste de libération transgénérationnel (le rôle de son père était tenu par Brontis Jodorowsky, son fils aîné, tandis que le sien était tenu par Adan, son fils cadet), dont l’apothéose était la naissance artistique du réalisateur.
S’affranchir de la représentation
Trois ans plus tard, sort Psychomagie, un art pour guérir. Là encore, plus de producteur (le film a été majoritairement financé par crowdfunding), mais aussi plus de « récit ». Dépassant la frontière de la narration traditionnelle, le film fait se succéder différentes personnes, toutes victimes d’un passé qui ne passe pas, source d’une inadéquation fondamentale avec le monde présent. La grande force du film, c’est de s’affranchir de la représentation, afin de montrer des sentiments vrais, bouleversants, puissants. D’où le choix judicieux de la part de Jodo d’avoir choisi sa compagne, Pascale Montandon-Jodorowsky, pour tenir la caméra, privilégiant ainsi un oeil humain (celui d’une peintre) à celui d’un(e) expert(e). Leur confiance mutuelle (Pascale parle même de « connexion ») constitue sans doute la grande marque d’humanité du film, tant la caméra, dans sa captation brute de la souffrance, semble adopter l’altruisme enchanté du réalisateur chilien.
Jamais on aura vu une telle croyance en la mise en scène : par la reconstitution de moments de naissance, d’enfances, d’exorcisation de colères profondes, par la captation d’un câlin, d’un massage, ou d’une caresse, le film nous touche, conférant à l’art un véritable pouvoir de guérison. Mais encore une fois, la psychomagie n’est là que pour vous montrer le chemin. C’est un geste de compassion gratuit, sincère, mais aussi éphémère, dans la mesure où il n’est pas là pour palier la souffrance. Non, la souffrance, on s’en libère. D’où le vertige que l’on peut avoir par exemple lorsqu’on ne sait pas ce qu’il advient d’une femme âgée atteinte d’une grave dépression, trop dévastée pour entendre pleinement les mots du réalisateur.
Éclairer le présent
On pourrait représenter le film par la figure squelettique que l’on retrouve sur la carte de la mort dans le jeu du tarot. Pour Jodo, le tarot ne sert pas à lire l’avenir, mais bien à éclairer le présent. Cette carte n’est donc pas forcément synonyme de fatalité. Au contraire, elle peut indiquer une forme de renaissance. Psychomagie montre très bien cette dualité, en faisant se succéder des scènes de « naissance » (la jeune femme souffrant du manque d’affection de sa mère) et des scènes de « mort » (le jeune homme ayant fait une tentative de suicide, traumatisé par les abus de son père quand il était jeune). Dans les deux cas, il y a acte de renaissance. L’une comme l’autre iront mieux, leur sourire éblouissant notre oeil comme celui de la caméra, après une rupture elliptique saisissante. Certains résultats sont sensationnels, d’une personne bègue retrouvant la fluidité de la parole à la magnifique rupture d’un couple en crise, salvatrice pour les deux, se quittant après l’échange d’un ultime regard plein de compassion. Dans un cas, il y a le deuil de l’enfance, dans l’autre, le deuil de l’amour. Mais pour l’un comme pour l’autre, la finalité est bel et bien la plénitude d’êtres désormais libérés.
On voit souvent Jodorowsky à l’écran, et pourtant ce n’est pas un film sur lui. Il n’est qu’un guide pour les personnes qui viennent le consulter. Le metteur en scène amoureux de leur libération. C’est magnifique.