SÉJOUR DANS LES MONTS FUCHUN
Le destin d’une famille s’écoule au rythme de la nature, du cycle des saisons et de la vie d’un fleuve.
Critique du film
Avec Séjour dans les monts Fuchun, chronique familiale sur fond de mutation sociétale, Gu Xiaogang, 31 ans, livre un premier long métrage d’une élégance folle qui atteste une nouvelle fois la vitalité du jeune cinéma chinois.
Les parents du réalisateur possédaient un restaurant à l’endroit où l’artiste Huang Gongwang a peint au 14e siècle le célèbre tableau (un rouleau horizontal de près de 5 mètres) dont le film reprend le titre. Gu Xiaogang, tout en rendant hommage à sa famille, témoigne des bouleversements que sa ville natale connaît à l’heure d’une profonde mutation urbanistique. À l’image de la peinture traditionnelle chinoise, il s’emploie à capter le passage du temps tout en contemplant la permanence des paysages.
Frères et mœurs
L’anniversaire de la grand-mère est l’occasion de réunir la famille. La séquence inaugurale donne déjà son rythme au film, lents mouvements de caméra qui embrassent l’espace, et introduit rapidement l’ensemble des protagonistes. La grand-mère, ses quatre fils et les petits-enfants. À chaque génération ses tracas et aux tracas de chacun, les réactions familiales.
La perte d’autonomie d’une mère âgée, les dissensions entre frères ; qui a réussi, qui moins ; les affaires d’argent, les amours de jeunesse et les craintes des parents, tout cela forme un corpus traditionnel de la chronique familiale dans lequel Gu Xiaogang puise davantage en quête de justesse que d’originalité. L’écriture du film enrichit constamment les lignes dramatiques classiques par des éléments contextuels. Ainsi le thème du logement est central. La ville de Fuyang, devenue un district de Hangzhou, change en profondeur. Les démolitions massives donnent lieu à des indemnisations qui profitent aux propriétaires alors que les loyers flambent. Où vivre est une inquiétude.
Lequel des fils a les moyens de prendre en charge la mère frappée de sénilité ? L’aîné, restaurateur accepte de s’en charger mais en réalité c’est son épouse qui se dévoue. N°2, pêcheur, vit la plupart du temps sur son bateau. N°3, joueur invétéré, est pris entre ses dettes et son fils trisomique qu’il élève seul. Le logement et plus largement la situation sociale sont aussi au cœur des questions sur l’avenir des jeunes. Les parents rêvent des couples matériellement solides, reproduisant à leur corps défendant une situation dont ils ont eux-mêmes souffert. Les jeunes sont à l’écoute de leurs sentiments. La jeune Guxi est chassée de chez elle par sa mère dans une scène qui rappelle douloureusement le récent et très beau La vie invisible d’Euridice Gusmao, où, autre temps, autre lieu, Guida était répudiée par son père.
Grâce et profondeur
La grande réussite du film tient pour beaucoup dans la manière de traiter les chaos ordinaires en les contextualisant et en les enveloppant d’une pellicule intemporelle. En effet, Gu Xiaogang accorde une grande importance aux paysages qu’il filme à travers les saisons comme un décor à la fois changeant et immuable. Il impose par sa mise en scène un regard contemplatif qui donne au film grâce et profondeur. La caméra panote lentement pour laisser le regard s’approprier un déploiement qui fait écho au dépliement des rouleaux de la peinture ancienne. Mais ce sont surtout les plans séquences qui réjouissent.
Loin d’une performance technique qui chercherait l’épate, ils étreignent l’espace avec précision et élégance, laissent une place à chacun et expriment une fluidité en cohérence absolue avec le propos du film. Le plan vu du fleuve qui accompagne la nage de Jiang et la silhouette de Guxi à travers les trouées du bois (ils se sont lancés un défi) puis leur parcours sur la rive jusqu’au bateau, ce plan là est un morceau de cinéma anthologique, par sa discrète virtuosité mais surtout par ce qu’il réussit à montrer sans surligner : le rapprochement des deux jeunes gens, la vie paisible autour du fleuve, les petites audaces comme se donner la main pour courir. L’élan des amoureux et le mouvement de la caméra ne font qu’un, ils semblent, tous les deux, capables de tout vivre, de tout enregistrer. Le plan de césure qui suit, fixe et panoramique, est lui d’une beauté fragile. Le contrepoint bouleverse.
Séjour dans les Monts Fuchun est un premier film qui impose d’emblée son réalisateur parmi les figures à suivre dans la décennie à peine amorcée. Par ses thèmes classiques et son impressionnante maîtrise, par son ampleur et sa beauté, le film nous rappelle une plus ancienne irruption dans le paysage cinématographique mondiale, celle de James Gray en 1994 avec Little Odessa. Pas moins.
Á noter que Gu Xiaogang présente ce film comme le premier volume d’une trilogie. Le prochain volume fera apparaître une nouvelle ville le long du fleuve Yangtsé.
Bande-annonce
1er janvier 2020 – de Gu Xiaogang, avec Qian Youfa, Wang Fengjuan