AFFLICTION
Critique du film
Douzième long-métrage réalisé par Paul Schrader, Affliction (dont il est également scénariste) est l’adaptation d’un roman de l’écrivain américain Russel Banks, publié en 1989. Il raconte l’histoire de Wade Whitehouse (Nick Nolte), un officier municipal d’une petite ville du New Hampshire, obsédé à l’idée de résoudre le mystère d’un « accident » mortel de chasse, tandis que sa famille et sa petite amie (Sissy Spacek) s’éloignent progressivement de lui.
Au début des années 90, Schrader se promène dans une librairie et tombe sur le roman de Banks. De son propre aveu, il a été immédiatement emporté par la première phrase du livre, si bien qu’après l’avoir fini, il en rachète immédiatement les droits à l’écrivain afin l’adapter en scénario. L’écriture lui est facile, dans la mesure où il s’identifie assez fortement au personnage de Wade, ayant eu lui aussi un père extrêmement dur. Familier du New Hampshire et de la violence (symbolique et physique) de ses hommes, Schrader va réaliser l’un de ses films les plus tragiques, n’accordant cette fois-ci aucune once de rédemption à son personnage principal.
Pour le rôle de Wade, Nick Nolte était le premier choix du réalisateur, qui lui a donné le script cinq ans avant le tournage. Entre temps, l’acteur devient une véritable star, et prend soin de digérer le rôle que lui a confié Schrader. Il accepte même de baisser son salaire pour tourner dans le film, et suggère au réalisateur d’engager Sissy Spacek pour jouer le rôle de Margie, la petite amie de Wade. Profondément investi dans le film, il en sera également le producteur exécutif.
Nolte livre une prestation absolument remarquable, dans la mesure où il arrive à alterner violence et douceur avec une justesse assez subtile. « Bigger than life », Wade émeut autant qu’il effraie, démuni de la possibilité d’aimer et d’être aimé par un père abject et violent, magnifiquement joué par James Coburn. Comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, Wade détruit tout ce qu’il touche, s’enfermant petit à petit dans une névrose mortifère. Le plus tragique reste la conscience de soi du personnage, au fait de l’image qu’il renvoie auprès d’autrui et de la maladresse dont il peut fait preuve. « Je suis moins stupide que j’en ai l’air » dit-il à son avocat, conscient du mal qu’il peut causer à son entourage, et notamment à sa famille.
Traumatisme incurable
Privé du moindre signe d’affection pendant son enfance, Wade n’arrive pas à en donner à son tour, toujours victime d’une inadéquation sociale l’amenant soit à en faire trop, soit à fuir purement et simplement ses responsabilités. L’intrigue policière n’est qu’un prétexte, un détournement pascalien inconsciemment créé par le personnage, afin de fuir le vrai drame de sa vie. Au travers d’une séquence finale impitoyable, le réalisateur nous explique que Wade était condamné depuis le début. Une nouvelle fois entièrement dévouée à son sujet, la mise en scène de Schrader capte avec sobriété et élégance la chute du personnage principal, pour qui la mort n’offre aucun répit, sans tant est que le film daigne lui assurer cette issue.
Affliction est l’un des films les plus sombres de Schrader, dans la mesure où il troque la perdition existentielle de ses précédents héros (Travis Bickle, Mishima, John Le Tour, etc.) contre un traumatisme incurable, menant un homme à sa perte alors qu’il ne méritait pas ce destin si tragique. Nick Nolte y livre une de ses plus belles performances, pauvre diable d’un drame bouleversant, et une nouvelle fois impitoyable.