ANNECY 2020 | Courts-métrages en compétition l’Officielle
Après avoir décerné nos Cristals à nos courts-métrages préférés, retour sur le reste de la sélection l’Officielle du Festival international du film d’animation d’Annecy, entre cauchemar et espoir.
10 000 Ugly Inkblots – Dmitry GELLER – Chine, Russie – 08 mn 10 s
Deux artistes, qui ne se sont pas rencontrés depuis longtemps, avancent l’un vers l’autre.
L’œuvre démarre par deux traits à l’encre de Chine. Deux artistes séparés en quête de retrouvailles. Visuellement intéressant, c’est surtout la musique qui fait ici office de protagoniste. Les sons sont ici le mouvement. Ils le créent et sans eux la vie et ses enjeux sont à l’arrêt. Si nous devions résumer le travail de Dmitry Geller sur 10 000 Ugly Inkblots, c’est que le mouvement est musique. Ce qui fait de ce court un projet curieux et visuellement pertinent.
Altötting – Andreas HYKADE – Allemagne, Canada, Portugal – 11 mn 41 s
Vous savez, quand j’étais enfant, je suis tombé amoureux de la Vierge Marie. C’est arrivé dans une petite ville bavaroise nommée Altötting.
Il est toujours difficile d’aborder la foi tant elle est propre à chaque individu. C’est pourtant le chemin choisi par Hykade qui nous emmène avec délicatesse sur les sentiers de l’amour inconditionnel. D’une découverte à l’extinction d’une croyance, Altötting nous berce avec lui le long de ce voyage au cœur du cœur et de l’âme. Visuellement abouti, c’est encore un court qui vaut le détour.
Empty Places – Geoffroy DE CRÉCY – France – 08 mn 30 s
Réalisé avant le confinement mondial, Empty Places est une ode à la mélancolie des machines.
Et si l’humanité disparaissait sans laisser de trace en un claquement de doigts ? Une évaporation soudaine qui laisserait alors place à l’existence fugace, mais certaines des machines du monde entier. C’est cet instant qui a été imaginé par Geoffroy De Crecy dans une ode aux espaces mécaniques du quotidien. Du tapis de caisse, aux escalators, il nous convie à un voyage fascinant sous forme de boucle temporelle. Tout ceci sur le magnifique Clair de Lune de Debussy. Hypnose garantie.
Freeze Frame – Soetkin VERSTEGEN – Belgique – 05 mn
L’arrêt sur image, ou la technique la plus absurde depuis l’invention de l’image en mouvement. C’est un procédé complexe de duplication d’une même image dans le but de créer l’illusion de l’immobilité.
Invitation au sensoriel qu’il est difficile de raconter ici en quelques lignes, Freeze Frame se vit et s’écoute. Le travail sur le son est formidable et le court se meut rapidement en expédition contemplative. Une expérience on vous dit. On aime…ou pas. Le jury du festival lui offre en tous les cas sa mention.
Friend of a Friend – Zachary ZEZIMA – France – 14 mn 05 s
Un jeune homme est agressé sexuellement. Il séquestre, punit, puis se lie d’amitié avec son propre agresseur. Il se confronte alors à son passé et à ses pulsions sexuelles ambiguës.
Zachary Zezima nous livre un récit tourmenté où l’homophobie se vit dans les tripes d’un désir refoulé. Glauque par l’aspect malsain de son histoire, Friend of a friend contraste avec ses couleurs vives qui peinent néanmoins à atténuer le malaise qui s’empare du spectateur. Pour le meilleur et pour le pire ?
Ghosts – Jee-Youn PARK – Corée du Sud – 09 mn 55 s
Dans la morosité de l’existence, ils sont devenus des fantômes. Les corbeaux les guettent.
Ghosts fait parti de ces courts sur lesquels on peine à écrire. Aussi perturbant qu’il est dérangeant, il nous plonge dans un univers cauchemardesque où chaque seconde de l’existence nous rapproche de la mort physique ou psychique. Aidé par un esthétisme absurde et une narration découpée, le court pourrait se résumer ainsi : un corbeau pour les avaler tous, un corbeau pour les gouverner tous et dans les ténèbres les lier.
Homeless Home – Alberto VAZQUEZ RICO – France, Espagne – 15 mn 22 s
Personne n’échappe à ses racines, même si elles sont complètement pourries.
Le retour d’un habitué du festival qui nous avait déjà offert le surprenant et magnifique Psiconautas. Il nous revient avec son univers bien à lui, toujours aussi cauchemardesque et déprimant avec un objectif en tête : dénoncer la lutte de classe. Il s’aide pour se faire d’un monochrome d’une noirceur abyssale et décline la misère sociale au travers de figures directement empruntées à l’héroïque fantaisie (démons, sorcières, chimères, etc.). On adhère ou non à la démarche, mais cela ne peut laisser insensible. Ce que confirme le jury du festival avec son prix du Jury.
Murder in the Cathedral – Matija PISACIC, Tvrtko RASPOLIC – Croatie, Serbie – 15 mn 39 s
Londres, au début du 20e siècle. La détective Gloria Scott et son assistante Mary Lambert passent une soirée tranquille dans leur bureau, lorsqu’un mystérieux criminel assassine le professeur Jansen devant leur porte.
Relecture déjantée et féminine du mythe de Sherlock Holmes, Murder in the Cathedral place son accent british en pleine époque victorienne avec un soupçon de folie psychotique qu’on croirait puisée des années 70. Déjanté, absurde et fun.
Purpleboy – Alexandre SIQUEIRA – Belgique, France, Portugal – 13 mn 55 s
Oscar est un enfant qui germe dans le jardin de ses parents. Personne ne connaît son sexe biologique, mais il revendique le genre masculin. Un jour, Oscar vit une extraordinaire, mais douloureuse aventure dans un monde autoritaire et oppressif.
Encore un court qu’il est difficile de décrire à l’univers loufoque et mystérieux. Il serait presque indéfini comme le sexe d’Oscar notre protagoniste. Avec un soupçon de Petit Prince dans l’univers, Purple Boy se regarde avec curiosité. Même si parfois, on ne comprend pas tout.
Rivages – Sophie RACINE – France – 08 mn 21 s
Un film qui fait appel aux sens, une évocation de la mer, du vent, de la lumière, pour prendre le temps de découvrir un petit bout de terre bordé par la mer. Une invitation à regarder ce qui nous entoure.
Si par (heureux) hasard, un Breton sommeille en vous, ce court de Sophie Racine devrait vous ravir. Il convoque un voyage paisible sur des rivages indéterminés qui respire pourtant les côtes bretonnes ou gaéliques. Sensoriel et d’une beauté calme et chromatique, Rivages ne se raconte pas, mais se vit. 8 min de délicatesse qu’on aurait tort de bouder.
Schast’e – Andrey ZHIDKOV – Russie – 05 mn
Dans un monde chaotique, froid et répugnant, un homme est en quête du vrai bonheur, dans l’espoir que les choses simples puissent procurer la félicité. Mais ses tentatives le laissent dans un abîme de solitude et de pauvreté.
Décidément, les russes n’ont pas le sourire sur cette édition 2020 et en voici encore un exemple. Schast’e c’est une plongée dans un esprit malade. Comme si nos dimensions s’effritaient et nos sens se brouillaient dans un cauchemar sans fin sur fond de violons stridents. Un inéluctable effroi qui s’empare des hommes jusqu’à leur dernier souffle.
The Town – Yifan BAO – Chine – 27 mn 11 s
Choisir de résister contre les gens qui gagnent la reconnaissance sociale en échangeant leur visage contre un masque.
The Town renoue avec l’esthétisme des animes japonais et des ambiances cyberpunks pour en reprendre les enjeux avec un postulat simple : un monde où chacun s’achète un nouveau visage figé pour atteindre la reconnaissance sociale. Le sourire s’y fige alors à jamais comme pour souligner le point d’orgue d’une aliénation de masse. Est-ce pour nous l’ultime marche de l’absurdité d’un monde d’apparence ? Forcément effrayant dans sa peinture d’une société où l’éthique a volé en éclat, The Town est néanmoins quelque peu classique et ne profite pas assez de son format court pour être davantage percutant. Il s’égare dans des enjeux de filiation et des intrigues adulescentes déjà vues. A trop vouloir s’approcher des grands maîtres du genre (Ghost in the Shell, Perfect Blue), The Town se perd en impact. Ce qui n’a pas empêché le Jury du festival de lui offrir le prix « Jean-Luc Xiberras » de la première œuvre.
Time o´ the Signs – Reinhold BIDNER – Autriche – 08 mn 36 s
Les voleurs de temps numériques de notre époque et la routine qu’ils créent. Comment voulons-nous (ne pas) vivre dans la société du futur ?
L’œuvre de Reinhold Bidner est une critique évidente du tout connecté et de la course contre le temps engagé par notre époque. Cadencée comme une horloge, elle souligne la violence des injonctions quotidiennes comme si notre cœur – et donc notre vie – ne tenait qu’à ce rythme. La forme est ici intéressante avec un travail sur le ton des couleurs. De quoi questionner efficacement notre rapport au monde. Jusqu’à l’aliénation et la mort ?
Yo – Begoña AROSTEGUI – Espagne – 13 mn 17 s
Pour notre héros, tous les jours se ressemblent. Ou peut-être sont-ils tous les mêmes : la même routine répétée à l’infini. Un jour, un simple panneau de bois indiquant « Parc » va tout bouleverser.
Ce que l’on peut noter de prime abord, c’est le mélange curieux dans l’animation entre dessin et objet réel. Le récit commence par une ode à la simplicité et la routine, puis dérive vers l’absurde. Un homme normal et rangé, qui suivait jusqu’alors le chemin tout tracé de son existence, est pris d’une obsession existentielle : celle de nommer les objets qui jonchent son quotidien. Jusqu’à s’étiqueter soi-même au bord de la folie. Une œuvre tendre et absurde qui questionne notre sens de la perception.