ALICE WINOCOUR | Interview
Pour la sortie de Proxima en vidéo, la cinéaste Alice Winocour a eu la gentillesse de nous accorder un nouvel entretien. L’occasion de revenir sur les nombreux défis liés au tournage du film, sur sa collaboration avec Eva Green mais aussi avec d’autres réalisatrices francophones, sur l’actualité de l’exploration spatiale et l’impact du confinement sur les auteurs…
Quel a été le plus gros défi pour monter Proxima ?
Sans doute d’obtenir les autorisations de tournage dans les centres d’entrainement : De l’agence spatiale russe, à Star City, une base militaire à une heure et demi de Moscou, dans la forêt, au Cosmodrome de Baikonour, mais aussi à Cologne, en Allemagne.
C’était la première fois qu’on tournait un film de fiction dans ces lieux ultra sécurisés où des astronautes du monde entier continuaient de s’entraîner pendant le tournage. C’était à la fois de grosses contraintes logistiques, avec le passage des check point tous les jours, les contrôles, les places de caméra que l’on devait déterminer des mois à l’avance pour obtenir les autorisations russes… Mais il y avait aussi quelque chose de très exaltant de pouvoir tourner dans ces lieux vierges d’images.
Nous n’aurions jamais pu obtenir toutes ces autorisations sans le soutien précieux de l’Agence Spatiale Européenne que nous avions convaincu de la nécessité de donner à voir d’autres images de la préparation spatiale, que celles de la NASA. Je voulais montrer que l’espace n’est pas qu’américain, malgré les images ultra stéréotypées et conquérantes que le cinéma américain a imposées au monde.
Avec le recul, de quoi êtes-vous la plus fière en revoyant le film ?
De la performance des acteurs dans leur ensemble, parce qu’ils viennent d’univers et de mondes très différents. En particulier celle d’Eva Green.
Dans un autre registre, la séquence de décollage à la fin du film. Je me suis inspirée de l’explosion de la maison dans Zabriskie Point, en filmant l’explosion des réacteurs sous plusieurs angles. Je voulais qu’on sente physiquement la difficulté à s’arracher du sol, de la pesanteur terrestre, qu’on ait l’impression d’être à l’intérieur des réacteurs…
Quel a été votre souvenir de tournage le plus fort ?
Je crois que c’était le tournage des chevaux sauvages dans la steppe que des cowboys kazakhs nous avaient amené sur le cosmodrome, en contournant les check point. Nous avons attendu avec toute l’équipe russe pendant des heures avec la caméra prête à être déclenchée. Quand on les a vu arriver à l’horizon et qu’on a senti le sol frémir, c’était vraiment émouvant.
Je me rappelle aussi du tournage de la séquence avec Eva Green et Matt Dillon, dans le supermarché de Starcity, qui était vraiment drôle, au milieu des vrais clients du supermarché, dont beaucoup étaient en treillis, en provenance des bases voisines.
Quelle a été la scène la plus difficile à tourner pour vous ?
La scène de l’entrainement en centrifugeuse et aussi celle de la piscine. Même si elle a une bonne condition physique, Eva ne pouvait pas les faire. La combinaison spatiale pèse plus de 120 kg et la force qui s’exerce dans la centrifugeuse est telle que c’est comme d’avoir le poids de 4 éléphants sur le thorax.
Nous avons travaillé avec des doublures et des effets spéciaux.
Il fallait donc mélanger des prises de vues dans les décors réels et avec un retournage sur fond vert à Paris. Ce qui était contraignant techniquement et pour le jeu, parce qu’il fallait se conformer rigoureusement aux plans déjà tournés.
Même si sur le fond j’aime bien tourner les scènes d’action.
Quel était le plus gros défi pour votre comédienne principale, Eva Green ?
Le plus gros défi pour Eva Green, était de jouer une mère puisqu’elle n’est pas mère elle-même. Elle avait peur de ne pas être crédible dans ses gestes, mais c’est précisément cette peur qui m’intéressait et qui me rappelait ma propre inquiétude de ne pas correspondre à l’image de la mère parfaite, telle qu’elle nous a été imposée.
On a beaucoup répété tous les week-ends avec Eva et Zelie, la petite fille, pour créer une intimité entre elles deux. Mais aussi avec Lars Eidinger qui jouait le père.
Le rôle était très physique et éprouvant pour Eva avec beaucoup d’entraînements avec les préparateurs de l’agence spatiale russe, mais cela ne l’inquiétait paradoxalement pas du tout… Elle ne se plaignait jamais de cette masse de travail. Ce que j’aimais c’est qu’Eva était un peu comme le personnage : une vraie astronaute, une amazone, qui n’a peur de rien et qui devait faire un chemin vers ses émotions.
Continuez-vous à suivre l’actualité autour de la conquête spatiale ? Que pensez-vous de la vision d’Elon Musk ? Pensez-vous qu’il faille désormais miser sur des investissements privés pour l’avenir de l’exploration spatiale ?
Je continue de suivre l’actualité spatiale bien sûr. Aussi par le biais des gens que j’ai rencontré à l’Agence spatiale européenne ou au CNES et qui sont devenus des amis. Comme l’astrophysicien Sylvestre Maurice, qui m’a invité au lancement du vaisseau Perseverance, vers Mars, conçu pour découvrir les traces de la vie ancienne sur Mars.
Je suis peu sensible à la vision d’Elon Musk… L’idée du film, plus que l’exaltation de la conquête spatiale était de faire un éloge de la terre… Ce qui nous attache à elle. D’ailleurs dans le protocole russe de décollage, au moment de quitter l’atmosphère on dit : « Séparation ombilicale », cette idée de la Terre mère ne vient donc pas seulement d’une projection poétique de ma part.
Nous avons beaucoup aimé Mignonnes, dont vous êtes visiblement co-scénariste, qui illustre formidablement le poids écrasant des traditions patriarcales, la condition de la femme dans certaines communautés et l’hypersexualisation des adolescentes. Comment avez-vous rejoint le projet ? Quelle a été votre implication dans l’écriture ?
J’ai seulement collaboré au scénario avec Maïmouna. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup et dont la détermination, en marge de tout, me touche intimement.
Elle m’a contacté sur Facebook, on est devenues amies et j’ai été embarquée par la force de son désir.
Le film a une grande qualité : il ne juge pas ses personnages, féminins comme masculins. Il y avait-il des points particuliers sur lesquels vous sentiez qu’il fallait être particulièrement vigilante ?
Je pense que c’est quelque chose qui vient de Maïmouna et de son talent.
Qu’est-ce qui vous plait dans le fait d’écrire pour d’autres cinéastes, comme vous l’aviez fait auparavant pour Deniz G. Ergüven ?
J’aime découvrir de nouveaux mondes, à travers le regard d’un réalisateur. Je pense que je peux me projeter dans des mondes très différents, dans des pays ou des cultures différentes. C’est d’ailleurs un hasard, mais j’ai toujours travaillé avec des réalisateurs étrangers. Plus c’est lointain, plus je me sens attirée… Mais j’ai besoin d’avoir une connexion intime à un endroit de ces histoires, quelque chose qui me lie profondément. Sans ce rapport intime, je serais incapable de m’y projeter.
C’est pareil pour les films que j’écris pour moi. Plus c’est personnel, plus ça doit se situer dans un autre monde ou à une autre époque. Comme pour mon premier film, Augustine, qui se passait au 19ème siècle à la Salpêtrière, ou pour Proxima, dans le monde de l’espace que je ne connaissais pas du tout.
Comment avez-vous vécu la période de confinement ? Quel a été son impact sur votre prochain projet ?
Pour moi le confinement n’a pas beaucoup changé de ma vie habituelle, puisque je suis naturellement confinée quand je ne tourne pas.Comme tout le monde, c’est plutôt le déconfinement qui a été compliqué, puisque mon tournage qui devait avoir lieu en octobre a dû être repoussé à l’année prochaine.
Avez-vous pu en profiter pour découvrir quelques films durant cette période ? Quels ont été vos coups de cœur ?
Pendant le confinement j’ai revu beaucoup de body horror movie. Tous les premiers films de Cronenberg, de Shivers, à Rage, et Chromosome 3. Je ne sais pas si c’est à cause de mon hypocondrie ou du virus qui rodait dehors, mais ces films avaient sur moi une étrange effet calmant et addictif.