THE CROSSING
Peipei est une lycéenne de 16 ans qui vit avec sa mère à Shenzen et étudie à Hong Kong. Avec sa meilleure amie Jo, elles rêvent de vivre un jour de Noël sous la neige au Japon. Alors que Peipei cherche du travail pour financer ce voyage, le petit ami de Jo lui propose de se faire de l’argent en passant illégalement des téléphones portables par la frontière. D’abord craintive, Peipei prend de l’assurance quand les entrées d’argent se font plus importantes…
Critique du film
La ville chinoise de Shenzen commence là où Hong-Kong s’arrête. Créée de toute pièce à la fin des années 1970, cette mégalopole ultra-moderne de plus de dix millions d’habitants est comme une prolongation de l’ex-colonie britannique. Chaque jour, des milliers de chinois franchissent la frontière entre les deux cités, une distinction existant toujours malgré la rétrocession de 1997. Hong-Kong est l’une des places fortes économiques mondiales et un pôle majeur dans toute l’Asie du Sud-est.
C’est dans ce contexte qu’évoluent les personnages de The Crossing, premier film de la chinoise Bai Xue. Peipei habite à Shenzen mais étudie à Hong-Kong, et bénéficie d’une carte d’identité établie dans cette dernière, ce qui va se révéler un atout. A 16 ans elle ne rêve que de fêtes et de sorties et d’évasion, loin d’une vie qui semble terne et difficile. Elle vit seule avec sa mère, ressemblant plus à une grande sœur fêtarde. Son père, séparé du foyer, est une présence absente et presque invisible qui lui aussi vivote à la marge des activités économiques florissantes de la grande ville.
L’influence économique et l’inflation démesurée de cette immense « banlieue » chinoise impacte directement les rêves et les actes de Peipei. Ses rêves sont liés à toutes les carences d’une population gonflée à l’économie de marché comme un bœuf aux hormones de croissance. Pour arriver à atteindre ses objectifs elle se met à passer de la marchandise, des téléphones portables, de part et d’autre de la frontière. Ce sentiment très fort d’être dans un entre-deux permanent est le sel d’un film qui joue beaucoup sur le trouble d’une génération perdue au beau milieu d’une crise économique dévorante. Leur seule identité semble dès lors l’argent que représente Hong-Kong, une fenêtre vers l’occident et ses biens de consommation qui manquent du côté chinois. Ce sentiment de fuite permanente crée un climat fascinant qui est renforcé par l’énorme travail effectué sur le son et sur l’image.
La photo et la bande-son sont en effet des acteurs majeurs de la réussite du film, à l’unisson d’une mise en scène sobre et propre qui suit les pérégrinations interlopes de Peipei. Tout est beau est subtil dans The Crossing. L’utilisation de la couleur n’est pas sans rappeler le Hou Hsiao Hsien de Millennium Mambo, lui-même annonciateur d’un changement de paradigme dans la Chine du début de siècle, ce par le biais de sa jeunesse, point commun évident entre les deux films. Le rouge épouse ici les émotions d’une scène de proximité entre les personnages, le jaune et bleu la folie de la nuit où tout s’active avec intensité. Dans les scènes clés, une simple note de basse vient mettre une ponctuation de bon goût pour rappeler la gravité du moment, ce tout en finesse. Le son de la ville, ainsi qu’une musique électro de qualité, tout concoure à renforcer l’ambiance du film.
Mais qu’en est-il d’Hong-Kong ? Qu’est-elle en définitive ? Peut-être rien de plus qu’un fantasme qui se consume pour bientôt disparaître. Ainsi on remarque deux très belles scènes qui montrent depuis une place haute tout le panorama de la ville, des Nouveaux territoires à la presqu’île de Kowloon. Pour la première fois on peut voir et admirer ce joyeux sino-britannique, appréhender son gigantisme et sa majesté au-delà de l’échelle humaine. C’est à ce moment précis qu’on touche au plus près le propos de la réalisatrice : changer d’échelle pour s’extirper de la pesanteur du quotidien pour rêver sa vie. En ce sens la très belle affiche du film ne dit pas autre chose, monter sur un toit et prendre de la hauteur, être seul face à l’immensité pour devenir soi-même.
Bande-annonce
12 août 2020 – De Bai Xue, avec Huang Yao, Sunny Sun et Carmen Soup.