POUR L’ÉTERNITÉ
Pour l’éternité nous entraîne dans une errance onirique, dans laquelle des petits moments sans conséquence prennent la même importance que les événements historiques : on y rencontre un dentiste, un père et sa fille sous la pluie, un homme dans un bus, un couple dans un café, des jeunes qui dansent, Hitler ou encore l’armée de Sibérie… Une réflexion sous forme de kaléidoscope sur la vie humaine dans toute sa beauté et sa cruauté, sa splendeur et sa banalité.
Critique du film
Pour ce premier jour de la 26ème édition de l’Étrange Festival (qui n’aura jamais aussi bien porté son nom que cette année), la programmation de Pour l’éternité apparaît comme un choix opportun. Le style singulier du cinéaste suédois Roy Andersson trouve en effet toute sa place dans un festival dédié à l’originalité et aux expériences dans une période qui pousse les deux critères dans des confins jamais imaginés.
Auteur de seulement six films en 50 ans, Roy Andersson est un réalisateur plutôt rare, consacrant la majeure partie de sa carrière à la publicité. Ça ne l’a pas empêché d’être multi-récompensé durant cette période, aussi bien à Cannes qu’à Berlin ou Venise. C’est encore le cas avec ce dernier film, qui a obtenu le Lion d’argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise en septembre 2019. Pour l’éternité constitue un nouveau chapitre dans l’œuvre du cinéaste, après sa trilogie démarrée il y a 20 ans avec Chansons du deuxième étage (Prix du Jury au Festival de Cannes en 2000).
Le style Andersson, c’est une succession de plans fixes, pour la plupart tournés en studio, mélangeant des éléments de décors et des incrustes ciselées, presque imperceptibles, donnant à l’ensemble des allures de théâtre moderne. Cette impression est aussi renforcée par le jeu apathique des comédiens et la lumière blafarde qui plongent le spectateur dans un état second, d’aucuns diraient catatonique. Les saynètes que le metteur en scène nous donne à voir, enchaînent sans lien apparent, mais semblent faire écho les unes aux autres, comme autant de tableaux qui s’animeraient sous nos yeux pour nous dévoiler les affres de la condition humaine. Et l’on devine, planant au-dessus de ces tableaux, le regard critique et circonspect de l’auteur face à un monde qui ne tourne pas tout à fait rond.
« Un jour, j’ai vu… »
C’est par cette formule, prononcée par une mystérieuse voix-off féminine, que les saynètes sont rythmées, comme un récit illustré de la banalité tragi-comique du quotidien humain. Car malgré la noirceur ambiante et le caractère désespéré des différents sketchs, la folie douce et l’absurdité du quotidien enveloppent le film d’une note humoristique inattendue. Ainsi, avec ses personnages décalés, un peu lunaires, à la vitalité toute relative, le film de Roy Andersson prend des allures de reflet sombre et désenchanté du cinéma de Jacques Tati. Le rire est léger mais a le mérite de surprendre dans la léthargie ambiante. Un rire proche du réflexe et profondément humain, qui surgit dans les situations incongrues. Un rire nerveux également, que lâche un individu désemparé confronté à la nature implacable des institutions.
Pour l’éternité est un film déconcertant. Le temps paraît s’arrêter malgré les moins d’une heure et vingt minutes que dure le métrage. Cela est autant le fait de sa mise en scène rigide et millimétrée, que de la tonalité du film. L’ennui n’est jamais très loin. Si les saynètes ont un intérêt inégal, certaines paraissant trop longues ; d’autres, heureusement, nous touchent en plein cœur, comme pour ce condamné à mort sur le point d’être fusillé est suppliant pour sa vie ; ou pour ses trois jeunes filles qui entament une danse improvisée sur la route, sous le regard impassible de quelques personnes en terrasse.
Des moments de trouble ou de grâce qui nous bouleversent et nous sortent de notre torpeur pendant quelques précieux instants. À l’image de ces chants de grues cendrées qui volent au loin et brisent le silence sur lequel s’ouvre et se referme le film. Un contraste symbolique avec l’absurdité de la vie, et les questions sans réponses. Les grues, imperturbables et indifférentes à notre désarroi, volent vers leur prochaine destination et continuent de rythmer les saisons et le temps qui passe.
Bande-annonce
4 août 2021 – De Roy Andersson, avec Martin Serner, Tatiana Delaunay