LES PETITES MARGUERITES
Marie 1 et Marie 2 s’ennuient fermement. Leur occupation favorite consiste à se faire inviter au restaurant par des hommes d’âge mûr, puis à les éconduire prestement. Fatiguées de trouver le monde vide de sens, elles décident de jouer le jeu à fond, semant désordres et scandales, crescendo, dans des lieux publics.
Critique du film
Réalisé en 1966, Les petites marguerites constitue un film inclassable, un Objet Filmique Non Identifié, influencé par la Nouvelle Vague française et le Pop Art, croisement improbable entre Zazie dans le métro et Les Funérailles des roses. On pense au premier pour l’insolence des personnages principaux et au second pour l’esthétique Pop, le passage de la couleur au noir et blanc ou à l’utilisation de filtres colorés. Ce choix plastique, initialement dû des raisons financières et à la pénurie de pellicule couleurs en dit long sur la capacité de la réalisatrice, Vera Chytilova, à transformer un obstacle en atout, à faire fi de l’adversité pour donner un cachet unique à son film.
Production des Studios Barrandov, où furent tournés d’autres films de la Nouvelle Vague tchèque, comme Les amours d’une blonde de Milos Forman ou Trains étroitement surveillés de Jiri Menzel – très récemment décédé – Les Petites marguerites se distingue par une narration originale et déstructurée, renvoyant au dadaïsme et au psychédélisme, par des collages, des faux raccords et une utilisation des couleurs, mises en valeur par la magnifique photographie de Jaroslav Kucera. Certains plans évoquent des tableaux.
Formellement très réussi, le film s’avère audacieux par le fond, qui, sous des dehors humoristiques, fait éclater un nihilisme et une violence, à travers Marie 1 et Marie 2. Ces dernières ne supportent apparemment pas de passer inaperçues et semblent prêtes à toutes les provocations pour se sentir exister ou pour être à l’image de cette dépravation qu’elles constatent dès le début. Leurs facéties de mauvais goût, les tours pendables qu’elles jouent ne cacheraient-ils pas une profonde angoisse existentielle ?
Et cette violence, cette envie de détruire ne font-elles pas écho à ces images de guerre qui ouvrent le film ? Et à ces cadenas, symboles d’une société rigide, muselée et oppressante. Ces coups d’éclats, ces farces malsaines ne sont-elles pas un pied de nez au régime, au patriarcat et à la vie elle-même ? Une sorte de baroud d’honneur avant peut-être de rentrer dans le rang, par la force des choses, même si certaines choses ne peuvent être réparées.
Il y a quelque chose de mécanique chez ces deux personnages. Une mécanique folle qui finit par se dérégler. Refusant toute morale facile et nous renvoyant à une certaine forme de malaise, mêlée au plaisir transgressif d’assister à un désordre cathartique, Les Petites Marguerites revient en salle en version restaurée grâce à Malavida.
De retour au cinéma le 31 août 2022
Cannes Classics – Festival de Cannes 2022