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LES 2 ALFRED

Alexandre a deux mois pour prouver à sa femme qu’il peut s’occuper de ses deux jeunes enfants et être autonome financièrement. Problème: The Box, la start-up très friendly qui veut l’embaucher à l’essai a pour dogme : « Pas d’enfant! », et Séverine, sa future supérieure, est une « tueuse » au caractère éruptif. Pour obtenir ce poste, Alexandre doit donc mentir… La rencontre avec Arcimboldo, « entrepreneur de lui-même » et roi des petits boulots sur applis, aidera-t-elle cet homme vaillant et déboussolé à surmonter tous ces défis? 

Critique du film

Bruno Podalydès promène sur l’époque un regard tendrement désabusé. Entre Tati et Capra, il compose une fable grinçante où se fomente la revanche des rêveurs sur les ambitieux.

« En partant, tu m’as mis le cœur à l’envers. Sans toi la vie est devenue un enfer ». La voix d’Etienne Daho accompagne la séquence d’ouverture alors qu’Alexandre conduit ses enfants à l’école, elle traduit aussi ses sentiments et expose une situation de rupture sentimentale. Prêt à tout pour reconquérir l’être aimé, il n’a aucune idée des épreuves qui l’attendent. Une start-up l’embauche bientôt dans le secteur de la communication événementielle, lui attribuant la fonction obscure de reacting process. Premier problème, pour être accepté, Alexandre a nié l’existence de ces deux enfants. Jouant du décalage et du mensonge, le film enchaîne les situations où l’improvisation le dispute à l’incompréhension. Pour une visio-conférence, Alexandre doit dissimuler toute trace qui trahirait sa paternité. Une peluche dans le congélateur, une toupie dans le placard : effacer l’historique en 3 dimensions. 

Ange et démon

Candide inadapté, Alexandre va se voir flanqué de deux acolytes : un ange et un démon. L’ange s’appelle Arcimboldo (à cause d’un nez en forme d’aubergine), il se présente comme entrepreneur de lui-même. A l’aise dans son époque, il initie Alexandre aux subtilités du monde connecté et trouve des solutions à tout problème. Le démon s’appelle Séverine Capulet, manageuse survoltée parlant un sabir franglais que personne ne comprend vraiment mais que tout le monde adopte par souci d’appartenance. Le jeu sur le langage confine à l’absurde, les mots deviennent des bruits, des sons vidés de tout sens qu’on s’échange par convention.

Le cinéma de Bruno Podalydès a souvent fait preuve d’un goût de la tangente qui le portait vers une poétique buissonnière. Ici l’héritage est à chercher du côté de Tati, plus proche de Sempé que de Hergé dans sa capacité de croquer le contemporain avec tendresse (le lit des enfants perché dans l’entrepôt ou comment réenchanter le contemporain). Le film travaille la satire par l’absurde, croque les travers d’une modernité passée à la loupe du burlesque. 

Tendre et lunaire

On sait l’importance des objets dans le cinéma de Podalydès, un monde en soi. Ici la robotique est autant source de gags que métaphore d’un assujettissement inquiétant. Le film s’en donne à cœur joie, entre la reconnaissance faciale clownesque et les combats de drones. En contrepoint, ce sont d’autres objets qui viennent appuyer le coming out parental collectif. Par leur présence chaleureuse et symbolique, le refoulé surgit, balayant honte et compromission.

Le cinéma de Podalydès, loin du vitriol qu’on voudra bien lui attribué, est toujours rattrapé par la rêverie, à jamais du côté de l’enfance. On notera que les jumelles dont s’occupe Arcimboldo se prénomment Aglaé et Sidonie, on notera surtout que le titre du film renvoie à d’inséparables peluches jumelles, sorte de trésor indémodable et joli clin d’œil à La Nuit du chasseur. L’occasion de souligner le lien et la complicité que les frères Podalydès entretiennent à l’écran, bien aidés ici par Sandrine Kiberlain dont la singularité  et le talent illuminent le cinéma français depuis 30 ans. Les 2 Alfred, c’est aussi l’improbable rencontre entre deux figures de cinéma, Pierre Richard (Les Malheurs d’Alfred, 1972) dont la persona tendre et lunaire agit comme une ombre portée sur le film et Alfred Hitchcock pour les galettes volantes qui peuplent le ciel de Paris (Les Oiseaux, 1963).  

On rit souvent aux déboires d’Alexandre mais pas à ses dépends. Le film stigmatise la société contemporaine sans aucun relent réactionnaire. La seule chose qui semble tourner rond, c’est le manège, lieu de l’enfance, des exploits pour de faux et des retrouvailles entre Alexandre et sa femme. 

Bande-annonce

16 juin 2021De Bruno Podalydès, avec Sandrine KiberlainDenis PodalydèsBruno Podalydès