UN PAYS QUI SE TIENT SAGE
Alors que s’accroissent la colère et le mécontentement devant les injustices sociales, de nombreuses manifestations citoyennes sont l’objet d’une répression de plus en plus violente. « Un pays qui se tient sage » invite des citoyens à approfondir, interroger et confronter leurs points de vue sur l’ordre social et la légitimité de l’usage de la violence par l’Etat.
Critique du film
Après Merci Patron ! en 2016, qui fustigeait l’oligarchie, c’est au tour de David Dufresne de raconter les combats sociaux qui ont agités la France entre novembre 2018 et février 2020. Si les affinités politiques de son réalisateur ne font aucun doute – lui qui recensait sur Twitter les nombreuses vidéos de violences policières sous “Allo @Place_Beauvau, c’est pour un signalement -, Un Pays Qui Se Tient Sage analyse la place de la violence au sein de la démocratie à travers les images des mouvements de Gilets Jaunes, sans manichéisme.
David Dufresne fait de son film un véritable débat citoyen auquel il convie les spectateur.ice.s. Jamais nommé.e.s, les intervenant.e.s à l’écran se succèdent et se répondent : la pluralité des discours, des professions et des classes sociales permettent au film de ne jamais tomber dans la démagogie. Mieux encore, il laisse une place de choix aux spectateur.ice.s, libres de leurs opinions face aux images. Si certains visages semblent familiers, l’anonymat des témoignages met à égalité la parole de toutes et tous. Sociologues, historien.ne.s, mères au foyer, syndicat de police ou encore Gilets Jaunes, Un Pays Qui Se Tient Sage prend la forme d’une discussion érudite où chaque parole est nécessaire, sur la place de la violence et sur les fondements de la démocratie française.
Une vérité qui dérange
Si le film n’apporte pas de réponse définitive, il invite volontiers les spectateur.ice.s à prolonger la réflexion. En nous confrontant à l’image brute, issue des réseaux sociaux et des différents live, le film interroge sur notre propre réception de l’image. La violence est pour le moins insoutenable, renforcée par l’immersion propre à l’image du smartphone et de son point de vue à la première personne. Alors que l’on pensait connaître ces images par cœur, souvent réduites au slogan “Macron Démission” dans les journaux télévisés, l’écran de cinéma en emphase toute la virulence et nous place dans une situation particulièrement inconfortable où l’on ne peut plus détourner le regard. Coups de matraques, utilisation de LBD et bombes lacrymogènes; plus question de ne seulement condamner les mots “violences policières » -pour citer Macron-, mais bien de s’indigner de leur existence bien réelle.
Un Pays Qui Se Tient Sage n’est jamais complaisant dans la violence qu’il compile et la pose, au contraire, comme socle de réflexion sur le traitement de celle-ci dans les médias. Ainsi, le smartphone devient l’ultime caméra-vérité et capte une réalité qu’on ne peut plus maquiller. L’image devient alors le point névralgique du débat et laisse éclater les points de vues divergents, appuyés par des connaissances théoriques (Arendt, Rousseau, Weber) et empiriques (celles des Gilets Jaunes “acteurs” des vidéos). Toute l’intelligence du film réside dans sa manière de déconstruire l’image pour en extraire les différents rapports de force et oppressions, révélant ainsi les rouages de tout un pays qui n’a pas attendu les mouvements gilets jaunes pour basculer dans la violence.
Un Pays Qui Se Tient Sage est un film rude qui parvient à transformer sa colère en un débat citoyen, interrogeant tour à tour le cœur de la démocratie française ainsi que la légitimité d’un état policier. Un uppercut d’une rare densité qui parvient à remonter, par la force du médium cinématographique, à l’origine de la démocratie : réunir le peuple, pour le peuple.
Bande-Annonce
30 septembre 2020 – De David Dufresne.