JOSEP
Février 1939. Submergé par le flot de Républicains fuyant la dictature franquiste, le gouvernement français les parque dans des camps. Deux hommes séparés par les barbelés vont se lier d’amitié. L’un est gendarme, l’autre est dessinateur. De Barcelone à New York, l’histoire vraie de Josep Bartolí, combattant antifranquiste et artiste d’exception.
Critique du film
« 1939, ah oui le début de la Seconde Guerre mondiale ! » s’exclame le jeune Valentin à son grand-père qui lui évoque ses souvenirs de jeunesse. « Mais non ça c’est septembre, moi je veux te parler de février de cette année là ».
Dès le début les choses sont mises au point dans Josep, film d’animation d’Aurel, l’histoire commence à rebours du début des hostilités du deuxième grand conflit planétaire. Ce mois de février évoque une autre guerre, sans doute le « laboratoire » de ce que sera la suivante, à savoir la guerre d’Espagne – entamée en 1936. Pendant trois ans, républicains espagnols, venus de tous horizons (anarchistes, trotskistes, communistes…), luttent contre la mise en place d’un régime autoritaire autour de la figure du général Franco. Guernica, le fameux tableau de Picasso, représente ce qui fut le premier bombardement sur des cibles civiles. La guerre est désormais totale, elle n’épargne plus personne et n’est plus l’affaire exclusive des militaires.
Le point de départ du film est donc l’arrivée de ces Républicains espagnols dans le Sud-ouest français, par delà la frontière pyrénéenne, et de leur parcage dans des camps de concentration. Là encore, ce fait préfigure ce qui suivra et entache lourdement l’État français. Aurel représente avec beaucoup de justesse et d’âpreté le quotidien de ces exilés, qui, fuyant la barbarie franquiste, se retrouvent confrontés à une autre forme de violence, tout aussi redoutable et avilissante.
Le personnage principal est donc ce grand-père qui narre ses souvenirs à son petit-fils sur son lit de mort. C’est le récit de sa rencontre avec le dessinateur Josep Bartoli, une vision inspirée de l’histoire véritable de la vie de cet auteur réputé. Dans son effort de représentation de la vie dans les camps, l’auteur n’épargne personne, ni les gendarmes français, bourreaux implacables et racistes qui torturent les Républicains, ni même le personnage principal Serge.
C’est toute la force des choix narratifs du réalisateur : Serge n’est pas un héros, il est un homme ordinaire qui a peur pour sa personne et qui fait des choix égoïstes pour survivre. Il imite la cruauté de ses pairs pour s’intégrer, il aide en cachette Josep en lui fournissant des feuilles de papier et un crayon, mais doit être dur le reste de la journée. L’alternance entre ces scènes prouvent d’emblée la complexité de cette époque et de celles des rapports de force. Aurel n’a de cesse que de creuser les paradoxes qui émaillent cette période de l’histoire. Si les bourreaux sont facilement identifiables, il n’y a pas de saints véritables ici.
Un des moments les plus éloquents qui illustre ceci est cette scène où Josep, désormais au Mexique, repense à ses camarades de 1936. Le mur de sa maison est criblé de balles, tirées par l’un d’entre eux sur Trotski, pourtant le chef de file idéologique de nombreux combattants républicains. Josep brouille les pistes en démontrant que ces amis d’hier étaient plus fracturés dans leurs idées et dans leurs actes et que les lignes sont désormais bien troubles.
L’écriture du film brille également par son choix d’être par moments confus. En effet, c’est le récit d’un homme âgé, amoindri, qui n’a plus toutes ses capacités cognitives. C’est pour cela que certaines incohérences sont notables, et qu’on voit des personnages, comme Frida Kahlo, faire irruption dans l’histoire bien avant le moment de leur rencontre. Cette histoire n’est pas un bloc linéaire, c’est une marée qui dépose au grès de ses humeurs des éléments de réflexion, aussi imparfaite que peut l’être la mémoire, surtout quand celle-ci est sur le point de disparaître. L’élément clef est dès lors celui de la transmission, par le biais de l’émotion, celle-ci matérialisée par le biais d’un dessin, signalant la force intemporelle de cet art. Armé de son croquis légué par son grand-père, Valentin représente la dernière étape de transmission de quelque chose d’inestimable. La dernière scène, qui symbolise de nouveau ce don pour les générations futures, est à ce titre bouleversante et gorgée d’amour.
Ce premier film réussit, en à peine 1h15, à contenir une densité thématique hors du commun, aidée par une forme magistrale qui interroge le spectateur sur ce qu’il voit à chaque instant. Tous ces éléments dont de Josep un film important et politique, un véritable outil pédagogique et didactique sur histoire et mémoire, mais également une sublime mise en abime sur le métier d’illustrateur et son rôle de témoin et conteur d’histoires, au cœur même de la tempête.
Bande-annonce
30 septembre 2020 – De Aurel, avec les voix de Sergi Lopez, Gérard Hernandez, et Bruno Solo.