SOME KIND OF HEAVEN
En Floride, The Villages, surnommé le Disneyland des retraités, accueille plus de 130 000 personnes âgées. Rues sûres, pelouses parfaitement entretenues et innombrables activités sportives entretiennent le mythe du rêve américain. Dans ce paradis retrouvé, Some Kind of Heaven rencontre avec humour des résident.e.s marginalisé.e.s en quête de bonheur contrarié.
Critique du film
Le documentaire est une forme cinématographique qui, plus encore peut être que la fiction, permet l’irruption de la surprise chez le spectateur. L’inattendu est un élément clef qui peut surgir et même dépasser le cinéaste. Le floridien Lance Oppenheim a décidé de consacrer son premier long-métrage à cette gigantesque « gated community » pour retraités que représente The Villages. Ses choix de mise en scène sont les vecteurs de la surprise citée en préambule. S’il choisit de présenter des portraits de personnages, ce qui peut apparaître comme classique, il le fait d’une manière qui transforme littéralement la matière étudiée.
Dernière chance
Très rapidement on s’éloigne de la description initiale presque publicitaire pour basculer dans un univers presque terrifiant. Chaque couple, chaque personne est présentée par Oppenheim en gros plan. On les scrute de près, le grain de leur peau, leur bronzage, rien ne nous échappe, à commencer par leur détresse. Si elle est tout d’abord cachée derrière les façades, après tout ils disent vivre au Paradis, les fêlures s’exposent vite jusqu’à l’extrême. Les habitants des Villages ont en commun de tous venir d’autres points des Etats-Unis. Aucun n’est natif de Floride, ce qui signifie que tous ont choisi de s’installer là pour entamer la dernière étape de leur vie. Sous la caméra du cinéaste, cela sonne vite comme une dernière chance.
Tout d’abord à travers le personnage de Dennis, 81 ans. Le cuir tanné, sourire ravageur et gouaille omniprésente, il dit être là pour se trouver une épouse fortunée et s’installer, lui qui vient de Californie où il côtoyait les stars. Accompagner Dennis c’est se rendre compte de la détresse atteinte par un homme qui n’a plus que son véhicule pour vivre. Le moment le plus ubuesque est sans doute une conversation téléphonique où cet octogénaire discute au téléphone avec sa mère, qui le sermonne comme un adolescent, constat terrible et improbable d’un homme figé dans le temps et dans des schémas voués à l’échec.
La communauté fut pour ce personnage un phare et une dernière chance pour réussir quelque chose, aussi relative soit cette intention. Le couple formé par Anne et Reggie est un autre exemple fascinant. Tous deux sont désormais très différents, autant elle incarne la raison, le sport et la bonté, lui semble perdre la tête après avoir juste donné le sentiment d’une excentricité amusante et sympathique. La souffrance qui se dégage de ce foyer, là encore de manière graduelle et subtile, devient avec la libération de la parole et l’évolution du comportement de Reggie, complètement angoissante. Ici encore, les lieux rêvés comme un havre de paix contaminent et pervertissent d’une manière singulière et très déstabilisante. Anne le dit elle même : « c’est pire depuis que nous sommes ici ».
Ville déshumanisée
Tout repose sans doute dans les fondations même de cette zone construite et pensée de toute pièce dans les années 1980. Son « inventeur » avait pensé le lieu comme une recréation totale des centres-villes de la jeunesse de ces retraités. L’artificialité toute tournée vers le commerce a donné une ville tentaculaire déshumanisée qui se vante de ne jamais s’arrêter, drainant une énergie folle pour une population très âgée incapable de supporter cette charge digne de Las Vegas. Ce que décrit Lance Oppenheim c’est avant tout la violence des rapports humains entre personnes âgées pourtant en quête de quiétude et de joie.
Qu’un jeune cinéaste de 23 ans ait voulu filmer cette communauté est la première surprise, et il le fait avec un regard qui n’est pas moins étonnant. A l’inverse d’une apologie marketing sur l’organisation de ces clubs fermés du troisième âge, il nous livre des morceaux de vie touchants, grinçants, et alarmant sur des hommes et des femmes dont il a extrait toutes les aspérités et contradictions. Lance Oppenheim montre ce qui fait mal, la belle histoire n’est dès lors qu’un paravent et ce qu’il cache sonne faux et triste. Avoir réussi à le présenter de si belle manière est un bel exploit pour celui qui s’est fait remarqué par Darren Aronofsky, également producteur du film.
Présenté au festival de La Roche sur Yon