LES PROMESSES DE L’OMBRE
Une sage-femme enquête sur l’identité d’une jeune Russe, morte en couches, le soir de Noël. Elle découvre que celle-ci était une prostituée, mêlée malgré elle aux agissements d’un groupe de proxénètes. Ses problèmes ne font alors que commencer…
La chair et le sang
Premier film tourné entièrement hors du Canada, Les Promesses de l’ombre contient des thèmes chers au réalisateur mais représente aussi une curiosité par son aspect moins pessimiste qu’à l’accoutumée, du moins dans certains éléments. Le film est, il est vrai, très violent, avec des scènes à la limite du gore mais on trouve une forme de happy end, très inhabituelle. Le film se déroule durant la période des fêtes de fin d’année. Est-ce une sorte de film de Noël pour adultes ? Derrière la boutade, on peut légitimement poser la question tant certains rebondissements apparaissent comme légèrement dissonants dans une œuvre marquée généralement par une profonde noirceur.
La chair, sur laquelle on travaille avec des tatouages, qu’on malmène, qu’on martyrise pour tuer quelqu’un ou qu’on charcute post mortem pour rendre méconnaissable un cadavre, cette obsession organique chère à David Cronenberg est une fois de plus très présente dans ce film. Cette chair constitue aussi une carte d’identité, une preuve de ce que l’on est ou de ses exploits : nous sommes chez les Vori Z’Kone, les voleurs dans la loi et chaque tatouage a une signification bien précise sur un forfait accompli ou un grade atteint dans la hiérarchie du crime.
Sauvage mise à nu
La violence graphique dans Les Promesses de l’ombre se traduit par des égorgements, des doigts sectionnés et diverses blessures à l’arme blanche, notamment dans le climax du film, un affrontement dans un hammam où deux tueurs tchétchènes s’en prennent au personnage de Kolya, le chauffeur / homme de main interprété par un Viggo Mortensen, nu comme un ver et dont la vulnérabilité apparente ne l’empêche nullement de se défendre avec pugnacité et sauvagerie.
Une thématique plus inhabituelle chez David Cronenberg est celle de la famille, celle dont on est issu et celle qu’on se crée. Semyon (Armin Mueller-Stahl) considère Kolya comme son fils car il le juge certainement plus fiable que son vrai rejeton Kirill (Vincent Cassel), ce dernier apparaissant assez immature, voire instable : jaloux de Kolya, de sa solidité et de sa libido – il va jusqu’à lui imposer d’avoir des rapports sexuels devant lui. Kolya et Kirill, malgré le lien hiérarchique qui soumet en théorie le premier au second, ont une relation qui oscille entre une certaine camaraderie et une fraternité.
Même si l’attraction que Kolya exerce sur Kirill semble à plusieurs reprises éveiller chez ce dernier des pulsions homosexuelles refoulées, mais évidentes au point d’attirer la curiosité et la raillerie chez des rivaux qui paieront cher leur irrévérence. Anna (Naomi Watts), émue par le sort du nouveau-né serait prête à l’adopter. Mais la vraie famille de certains, c’est le clan auquel on appartient, auquel on prête allégeance lors d’une cérémonie où on va jusqu’à renier ses propres parents, à insulter leur mémoire.
Mensonge
Le mensonge, l’ambiguïté concernent plusieurs personnages : l’oncle Stepan (Jerzy Skolimowski) prétend avoir travaillé pour le KGB, Kolya n’est pas qui il semble être, Kirill veut se faire passer pour plus fort qu’il n’est et Semyon envisage de sacrifier son cher Kolya en le désignant à la place de son vrai fils que les tchétchènes veulent exécuter. Semyon fait mine de vouloir aider Anna à retrouver la famille de Tatiana. Mais cette ambiguïté constitue parfois la possibilité de sauver quelqu’un : on apprendra qu’une prostituée a été extraite de son enfer par la police qui connaissait la jeune femme par son prénom, d’où la preuve d’une complicité interne. Seule Anna semble avancer non masquée au départ et si elle dissimule certains éléments c’est sur les conseils de sa famille.
À la fois fraîchement accueilli par une certaine critique, mais également lauréat de plusieurs récompenses, Les Promesses de l’ombre est un grand film noir, vénéneux, non exempt de certains défauts (en premier lieu certains éléments un peu convenus, notamment vers le dénouement), mais parfaitement réalisé par Cronenberg, entouré de ses fidèles chef opérateur (Peter Suschitzky) et compositeur (Howard Shore). La voix off de Tatiana qui égrène son funeste destin et le saisissant plan final de Viggo Mortensen, déjà mort intérieurement, hanteront longtemps la mémoire des cinéphiles.
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