MINUIT À PARIS
Critique du film
Après avoir exploré Londres à travers Match Point, Scoop et Le Rêve de Cassandre, puis s’être égaré un instant dans la Ciudad de Gaudí avec Vicky Cristina Barcelona, il paraissait presque inévitable que le périple européen de Woody Allen l’attire vers la capitale française. Et si le prolifique cinéaste à lunettes signe une fois de plus une comédie de mœurs sur fond de psychanalyse, où la (mauvaise) dynamique d’un ménage sert de catharsis à l’accomplissement individuel, il n’est guère d’expérience dans sa filmographie semblable à Minuit à Paris.
IL EST MINUIT, PARIS ENCHANTE
Sorte d’alter-égo du réalisateur – et ce jusque dans ce phrasé mélancolique qu’Owen Wilson maîtrise à la perfection – nous suivons Gil Pender, un scénariste californien qui peine dans la rédaction de son premier roman et rêve de vivre à Paris – qu’il trouve plus belle encore sous la pluie – au grand damne de sa fiancée Inez, qui s’accommode parfaitement des succès commerciaux de son futur et qui ne se voit pas installée ailleurs que dans une grande maison à Santa Monica.
Dès le premier dialogue échangé sur le pont japonais des jardins de Giverny, on comprend que ces deux-là sont aux antipodes l’un de l’autre – lui, le romantique émerveillé, elle l’élitiste pragmatique. Tout le dilemme de Gil résidera dans sa dissonance cognitive, et sa capacité à s’avouer enfin que ce mariage n’a pas lieu d’être, puisque les deux promis ne s’aiment pas. Un parcours du héros vers la connaissance de soi qui pourrait paraitre d’un classicisme redondant, si la route empruntée (pour ne pas dire ruelle pavée) ne se faisait pas à bord d’une Renault Type 184 Landaulet.
En effet, un soir qu’il déambule seul dans les rues de la capitale, Gil se retrouve transporté dans le Paris des Années Folles ; perdu dans le déni de sa grise réalité, il va alors, nuit après nuit, se retrouver dans une rêverie nostalgique du « c’était mieux avant » – ce mythe de l’âge d’or qui, à l’image du philtre douceâtre que l’on retrouve à chaque plan, baignera pour un temps le protagoniste et son monde dans une lumière plus chaude, bien qu’artificielle. Déambulant aux côtés des écrivains de la génération perdue, des artistes de Montmartre et d’une délicieuse muse fictive nommée Adriana, dont il va (croire) tomber amoureux, Gil finira cependant par se réveiller et prendre conscience de ce qu’il veut.
Ayant réussi à trouver son chemin et ainsi sa « liberté de vivre », Gil joindra alors les deux rives entre le monde de l’esprit et celui du sens, en rencontrant véritablement quelqu’un qui le complète, et avec laquelle il débute une promenade dont la durée dépassera certainement celle de quelques nuits – et dont la première se fait sous la pluie.
MON PAYS E(S)T PARIS
Dépeignant une cité cosmopolite, concentré d’esprits géniaux et libres, Woody Allen joue habilement avec notre imaginaire, glissant avec une espièglerie à peine dissimulée une farandole d’acteurs bien connus dans des costumes de légendes. De Kathy Bates en Gertrude Stein plus vraie que nature à Corey Stoll en Ernest Hemingway implacable, il fait évidemment la part belle aux expatriés américains de la Rive Gauche. Côté Rive Droite, la scène de questionnements « Suis-je en train de devenir fou ? Est-ce que tout cela a un sens ? » adressées au cercle des surréalistes – avec Adrien Brody en irrésistible Salvador Dali – garantit le rire aux éclats.
Embrassant ce casting dans un décor de carte postale, et mise en valeur comme un personnage à part entière du film, c’est également la ville elle-même qui est célébrée – romantique sans être niaise, poétique sans être cliché. Que ce soit à l’ombre des arbres du Square Jean XXIII ou des devantures des bouquinistes, de ses terrasses insolites à ses plus belles adresses, Minuit à Paris prend presque des airs d’adaptation de « Paris est une fête », transmettant avec charme et sincérité un peu de cette amitié charnelle qu’Hemingway entretenait entre la ville et son art.