A TEACHER
Qui ? Quoi ?
À l’origine, il y a un long-métrage, signé Hannah Fidell. La réalisatrice américaine, rencontrée par Le Bleu du Miroir à l’occasion du Champs Elysées Film Festival, où elle présentait son touchant deuxième film, Six years, trois ans après celui qui l’avait révélée, A teacher. Pour la chaine FX, elle adapte son propre film en format sérielle et étend le récit sur une dizaine d’épisodes, débauchant au passage Kate Mara (soeur de Rooney) pour camper l’enseignante au coeur de cette histoire troublante et Nick Robinson (Love, Simon) pour lui donner la réplique dans le rôle du jeune lycéen.
Insatisfaite de son mariage avec un homme rencontré à l’université, et éloignée de sa famille, Claire, solitaire, fait son entrée dans une nouvelle école, au Texas. La vie de la jeune femme est bouleversée lorsqu’Eric, un charmant élève de sa classe, s’intéresse à elle de façon inattendue. Capitaine de l’équipe de foot de l’établissement, l’adolescent est populaire et extraverti.
Si sa vie semble parfaite, Eric jongle en réalité entre la pression de l’école, son objectif d’intégrer l’université et un emploi à temps partiel, tout en aidant à prendre soin de ses deux jeunes frères afin que sa mère Sandy puisse subvenir aux besoin de sa famille. Claire et Eric se découvrent une connexion indéniable qui leur permet d’échapper à leurs dures réalités respectives. Cette relation interdite entre un professeur et son élève mineur pourrait bien avoir de douloureuses répercussions.
Quand ?
Diffusée par Canal+ chaque jeudi soir à raison de trois épisodes par soirée, la mini-série est également disponible en intégralité sur MyCanal.
Critique de la mini-série
Pourquoi faut-il découvrir la mini-série A teacher ? Parce qu’elle pose les questions qui dérangent : qui est l’auteur.e et qui est la victime ? Comment nos idées préconçues sont-elles compliquées par des cas de maltraitance ou de manipulation ? La cinéaste Hannah Fidell adapte très habilement son film de 2013 en une mini-série captivante du même nom, considérant de façon réfléchie et dévastatrice le rythme de la prédation, les mensonges et les non-dits. Qui est l’agresseur ? Est-on responsable de ses actes et apte à gérer ses pulsions à 17 ans ?
La question du consentement, au coeur de la parole qui se libère enfin, vient heurter nos convictions quand il s’agit d’explorer la zone trouble. Face à cette histoire d’amour prohibée, « l’agresseur » ne serait pas le loup prédateur. La trentenaire autodestructrice se voile la face et s’abime dans cette relation interdite – pour des raisons qui n’apparaissent que tardivement mais très justement, le temps de laisser le spectateur s’interroger. Le jeune homme, lui, très entreprenant, ne réalise que trop tard combien il s’est détruit dans cette histoire qu’il n’aurait du vivre à l’aube de sa vie d’adulte.
A teacher raconte ainsi la bataille de « ceux qui survivent » et ose s’essayer à redéfinir le cadre parfois étroit de la culpabilité et de la victimisation. Pour autant, existe-t-il une explication qui pourrait excuser le comportement de Claire ? Au premier regard, Claire semble être une femme normale et sans particularité. Elle vit en couple, dans une belle maison confortable, passe trop de temps sur l’écran de son téléphone. Avec son compagnon, elle essaie de tomber enceinte. Mais elle s’ennuie profondément. Il est effrayant de voir à quel point Claire est capable de tirer parti de l’autorité naturelle qui lui est accordée en tant qu’enseignante à son avantage. Effrayant car ce n’est jamais explicite. Claire se ment à elle-même lorsqu’elle prend sous son aile le lycéen pour l’aider dans la préparation de ses examens ou pour l’accompagner lors d’une visite de campus. Son refus de croire qu’elle fait quelque chose de mal devient pathologique et le spectateur, comme l’enseignante, se leurre en s’enfermant dans un regard romantique de la situation. Puis, Claire est une femme et Eric est presque un homme. « Elle ne peut pas être l’agresseur » – ce n’est pas ainsi que fonctionnent les relations hétéronormatives. Elle n’abuse pas de lui puisque c’est lui qui passe à l’acte en tentant de l’embrasser ou en lui envoyant des messages explicites. L’excuse de l’amour vient alors duper tout le monde…
A teacher avance sur terrain glissant mais s’en sort très subtilement. La mini-série présente le comportement de Claire sans l’excuser. Au cours de sa première partie, elle vous inciterait presque à accepter Claire et Eric comme une relation « normale », bien que Claire soit mariée. Mais la mise en scène rappelle que quelque chose de criminel est en train de se jouer, plaçant le spectateur comme témoin. Les interférences dans le bonheur romantique perçu par Claire et Eric sont encore plus fortes, et donc encore plus précieuses – et la seconde moitié de la saison, qui se concentre davantage sur la lutte d’Eric pour comprendre ce qu’il a vécu et faire face aux retombées, est remarquable.
Leurs expériences individuelles soulèvent d’autres questions sur ce que nous acceptons en termes de romance. D’un côté, les copains plus âgés d’Eric sortent régulièrement avec des adolescentes plus jeunes, insistant sur le fait que « l’âge n’est qu’un nombre »; est-ce que chacune de ces relations est un viol statutaire ? Quand Eric commence à coucher avec Claire, toute une vie de masculinité toxique le convainc qu’il est responsable de ses actes. Plus tard, il devient même l’idole de certains camarades de fac pour s’être « tapé » une prof sexy.
Comment faire alors évoluer les opinions et les discussions autour de la maltraitance alors que la prédation sexuelle semble encore attachée aux victimes de sexe masculin ? A Teacher s’efforce de sonder comment la culture américaine valorise la jeunesse et la satisfaction personnelle de façon obsessionnelle, souvent au détriment des autres. Et, fort heureusement, la mini-série a la lucidité de ne pas se parer d’artifices qui auraient été malvenus. Hannah Fidell assume sa tonalité délibérément inquiétante et, ainsi, profondément dérangeante, consolidée par les solides performances de Mara et Robinson qui soulignent à quel point nos stéréotypes sexistes mettent en péril celles et ceux qui ont le plus besoin de protection.
