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À L’ABORDAGE

Paris, un soir au mois d’août. Un garçon rencontre une fille. Ils ont le même âge, mais n’appartiennent pas au même monde. Félix travaille, Alma part en vacances le lendemain. Qu’à cela ne tienne. Félix décide de rejoindre Alma à l’autre bout de la France. Par surprise. Il embarque son ami Chérif, parce qu’à deux c’est plus drôle. Et comme ils n’ont pas de voiture, ils font le voyage avec Edouard. Evidemment, rien ne se passe comme prévu. Peut-il en être autrement quand on prend ses rêves pour la réalité ?

Critique du film

Quel drôle de parcours que celui du cinéaste Guillaume Brac depuis ses débuts en tant que réalisateur à l’orée de la décennie précédente. Remarqué par quelques court-métrages, notamment le sublime Un monde sans femmes avec Vincent Macaigne, Laure Calamy et Constance Rousseau.

Son premier long-métrage de fiction, Tonnerre, sort en 2014, toujours avec le même Macaigne, célébrant son amour du cinéma de Jacques Rozier, on retrouve Bernard Menez qui brillait dans Du coté d’Orouët, film adoré par Brac. Mais ce début assez « classique » ne laissait pas présager de la suite de son parcours. Délaissant les castings classiques où les metteurs en scène recherchent des « noms », il se tourne vers le Conservatoire de Paris, où il officie en tant qu’enseignant, et développe des projets avec de jeunes acteurs qui vont nourrir son univers si particulier. C’est ainsi que nait le diptyque Contes de Juillet et L’île au trésor, une fiction et un documentaire à première vue, mais les deux faces d’une même pièce à y regarder de plus près. En effet, Brac aime dans ces films à infuser une même matière qui brise la barrière entre ces deux genres du cinéma, pour construire quelque chose de dense autour d’un même sujet, ici la base nautique de Cergy.

Ce désir de travailler avec de jeunes acteurs, de nouveaux visages émergents, perdure dans ce nouveau projet de Guillaume Brac intitulé À l’abordage. Si nous sommes de nouveau dans une fiction, assez classique d’une certaine façon, ce qui ressort est cette spécificité. Les têtes d’affiche se nomment ici Eric Nantchouang, Salif Cissé et Edouard Sulpice. Les deux premiers sont deux amis, dont l’un a rencontré une jeune femme qui le pousse à sortir de sa zone de confort pour tenter quelque chose de fou : partir à l’aventure. Felix tombe amoureux et veut revoir à tout prix cette Alma qui lui a tant plu. Son ami Chérif le suit un peu forcé, prend des congés maladroitement sans grand projet autre que celui de partir loin de Paris. Le co-voiturage fait intervenir le troisième larron, Edouard, très différent d’eux, venant d’une famille bourgeoise très éloignée de l’univers des amis. À partir de là, c’est une structure classique de buddy movie, avec la constitution d’un groupe assez hétéroclite, où une dynamique très claire se forme, et pourtant où la surprise peut surgir.

A l'abordage
En effet, si on part avec la quête de Félix, qui est obsédé par l’idée de retrouver Alma, peu à peu l’évidence montre que celle-ci n’est pas aussi intéressée par lui qu’il le voudrait. Le conquérant mâle alpha perd de sa superbe avec l’avancée du récit et son assurance fond avec l’absence d’ardeur dans sa relation amoureuse. Brac change alors la polarité du récit pour mettre en valeur ses autres personnages, à commencer par celui de Chérif. De simple faire valoir il fait montre de qualités et d’une intelligence qui met sous l’éteignoir les autres protagonistes, et en premier lieu Félix qui se détache de plus en plus du groupe. Chérif rencontre une jeune mère avec son bébé, son mari ayant quitté sa famille pour rejoindre son activité professionnelle. L’attirance entre eux n’est pas immédiate, Chérif craignant de n’être qu’un utile baby-sitter, un allié de circonstance. Mais la passion a changé de camp, de même que la narration et le regard de la caméra, qui délaisse le couple Félix Alma pour regarder Chérif et son amie.

Ce très beau casting aux visages frais et nouveaux est bel et bien le grand atout de À l’abordage. Tout ce que tente Brac avec ses acteurs réussit et séduit par le biais de ces acteurs inattendus qui nous surprenne à chaque encablure du récit. On se félicite également de pouvoir regarder cette belle histoire simple, des amours de vacances, représentés par des personnes aux origines diverses, ici deux hommes noirs, sans que cela soit jamais une problématique citée ou nommée, mais sans que cela ne perde non plus de son importance en termes de représentation, car encore une fois, ce que l’on montre a une importance.

Le cinéma a un rôle fondamental dans les identités de chacun.e, et À l’abordage nourrit tout cela avec qualités. Guillaume Brac s’inscrit dans le sillon de ces cinéastes français qui arrivent à créer des choses enthousiasmantes à partir de pas grand chose, à faire surgir d’une scène un sentiment, une émotion, par la magie du jeu et de la très belle troupe qu’il a réussi à créer depuis trois films.

Bande-annonce

Le 28 mai sur Arte, au cinéma en 2021