CRUELLA
Londres, années 70, en plein mouvement punk rock. Escroc pleine de talent, Estella est résolue à se faire un nom dans le milieu de la mode. Elle se lie d’amitié avec deux jeunes vauriens qui apprécient ses compétences d’arnaqueuse et mène avec eux une existence criminelle dans les rues de Londres. Un jour, ses créations se font remarquer par la baronne von Hellman, une grande figure de la mode, terriblement chic et horriblement snob. Mais leur relation va déclencher une série de révélations qui amèneront Estella à se laisser envahir par sa part sombre, au point de donner naissance à l’impitoyable Cruella, une brillante jeune femme assoiffée de mode et de vengeance …
CRITIQUE DU FILM
Empruntant au mythe selon lequel les filles modèles vont au ciel quand les autres vont partout, Disney continue sur sa lancée de réinterprétation de ses grands classiques d’animation en s’attaquant, après Maléfique, à une autre de ses célèbres – et ciné géniques – antagonistes : Cruella.
Le challenge était de taille. Outre que la démoniaque adoratrice de fourrures, que l’on doit avant tout à l’esprit génial de la romancière Dodie Smith, avait une première fois marqué les écrans grâce à la conjonction entre l’animation de Marc Davis et la composition musicale de Mel Leven, l’inégalable Glenn Close avait achevé de porter le personnage au firmament de l’inoubliable – classant Ma’am d’Enfer parmi la liste des 100 plus grands héros et méchants du cinéma américain de l’American Film Institute.
La “tâche” qui incombait dès lors à Craig Gillepsie était donc d’une part celle de proposer une histoire encore inédite à raconter, et d’autre part de trouver les épaules sur lesquelles reposerait cette nouvelle création “au poil”. Et en s’entourant d’une équipe créative débordante d’énergie, tout en s’offrant les talents combinés d’Emma Stone et d’Emma Thompson, il y avait de quoi littéralement rhabiller les spectateurs en quête de nouveautés avec cette proposition endiablée – et de renouer avec la tradition de la chanson qui veut que “chacun a le frisson dès qu’il la voit.”
LE DIABLE S’HABILLE EN PERDITA
En un peu plus de deux heures de film, on nous conte donc l’histoire d’une orpheline qui, réduite à l’escroquerie malgré un esprit brillant, va se hisser aux sommets de la pyramide sociale à grands coups de crayons – se façonnant, grâce à ses créations avant-gardistes une panoplie d’armures pour arriver à bout de sa némésis, et coiffer non seulement la couronne de reine de la mode, mais également celle de son indépendance.
Rythmé par une bande son glam rock de premier choix, époustouflant par ses costumes (dont le personnage principal, à lui seul, en change pas moins de 47 fois), les deux atouts majeurs de cette “origin story” sont bien évidemment les “deux Emma”, dont on sent le plaisir évident à explorer tous les excès de leurs personnages qui, à défaut de servir en comique de situation, réussissent à donner un tant soit peu de nuances à un scénario tristement manichéen – à l’image de la coupe de cheveu bicolore de la célèbre dog-nappeuse.
Car lorsqu’il ne verse pas allègrement dans “l’hommage” au film de David Frankel, qu’il ne dupe personne en glissant ça et là des grands noms de la haute couture pour se trouver un peu de légitimité ou, pire encore, qu’il renverse les rôles en faisant de trois dalmatiens des bêtes féroces par lesquels tous les malheurs de cette pauvre Cruella arrivent, ce remake pâti du syndrome des prequels truffés de références qui expliquent bien davantage les détails de son apparence horrifique (le choix du nom “d’Enfer”, entre autre) que la réelle psychologie qui fait la saveur interne d’un bon antagoniste.
AU PARADIS(NEY) DANS UN TRAIN D’ENFER
Dans le monde merveilleux de Disney, il semblerait que dès qu’un personnage tient le premier rôle, il lui faut arborer des mains blanches de toute vilenie – quand bien même il serait labellisé comme “méchant”. En l’occurrence, Emma Stone coiffe plus souvent son joli et soyeux roux naturel que le carré électrisé caractéristique de son personnage, qui nous est présenté comme un deux en un, et dont celui qui donne son nom au film n’est qu’une carapace pour accomplir son destin. Si seulement la tâche du critique était aussi facile que le procédé scénaristique par lequel un personnage change de personnalité comme de perruque, tronquant sa mesure contre le génie tout subjectif de sa plume pour mieux détruire une œuvre…
Dans la grande tradition de Maléfique, dont le nom semblait l’avoir condamnée dès la naissance à être néfaste alors qu’elle n’y a été que poussée par l’avidité des hommes, Cruella n’est que la seconde personnalité d’Estella – littéralement étoile – dont le compagnon d’infortune est un adorable terrier, et qui sera poussée dans ses retranchements les plus obscurs par la cruauté narcissique du personnage de “la Baronne” – qui n’est pas sans rappeler la figure de la méchante reine, allégorie de ces femmes forcément diaboliques parce qu’elles n’ont pas et/ou ne veulent pas d’enfants.
Malgré un investissement évident de son casting, et une créativité folle de ses équipes techniques, Cruella travestit plus qu’il n’incarne le personnage, à grands coups de rires de gorge et de renouvellements capillaires qui donnent tout, sauf le change.
Bande-annonce
23 juin 2021 – De Craig Gillespie, avec Emma Stone, Emma Thompson