HELMUT NEWTON, L’EFFRONTÉ
Helmut Newton, l’un des photographes les plus influents de son époque, a consacré une grande partie de son œuvre à célébrer les femmes. Dès 1960, il est un précurseur controversé, mettant en scène des femmes libres et affranchies des codes sociaux. C’est au tour de ces femmes photographiées par Newton de tirer son portrait.
Critique du film
Tirer le portrait, c’est prendre le pouvoir sur… disait Helmut Newton. Gero von Boehm, proche du célèbre photographe de mode, a eu la bonne idée de renverser les rôles en donnant la parole aux femmes qui ont posé pour lui : Isabella Rossellini, Grace Jones, Charlotte Rampling mais aussi June son épouse connue également pour son travail de photographe sous le pseudonyme d’Alice Springs. Il en résulte d’Helmut Newton, l’effronté un documentaire à la fois éclairant et légèrement complaisant.
Provocateur, ambigu, pervers, espiègle, obsessionnel, drôle, Helmut Newton était probablement tout cela à la fois et aucun de ces qualificatifs ne lui faisait peur. L’homme qui photographiait les femmes, le plus souvent nues, laisse t-il une œuvre de géniale transgression ou de misogynie crasse ? Le film a le mérite de poser la question même s’il accorde davantage de place et de crédit à la première proposition. Pour la seconde on se contentera d’un extrait d’émission animée pas Bernard Pivot et un échange à fleurets mouchetés avec Susan Sontag :
– vos photos renvoient une image humiliante des femmes
– mais je les aime !
– c’est souvent le propre des misogynes de le déclarer
Isabella Rossellini assure qu’avec lui, il fallait se rendre disponible ou refuser. Charlotte Rampling confie n’avoir jamais été aussi bien photographiée que par lui et ajoute que le monde a besoin d’être provoqué. Sur ce sujet, Helmut Newton est aussi le miroir de son époque. La une du magazine Stern où Grace Jones pose les fers aux pieds a considérablement choqué, elle renvoie aux pires clichés que les photographies de Oliviero Toscani véhiculaient, dans les années 80, pour les publicités Benetton.
Si le style de Newton n’est pas toujours d’une grande finesse, ses modèles défendent toutes une approche de la photographie sans esprit de sérieux. Le témoignage de Marianne Faithfull plonge le film dans sa partie la plus intéressante, renvoyant le photographe à ses origines. Il était très Weimar dit-elle, influencé à la fois par Brecht, Weill et l’expressionnisme allemand. À cela s’ajoute un goût pour la grandiloquence directement puisé dans l’imagerie nazie à laquelle son œil d’enfant était confronté. Isabella Rossellini enfonce le clou en suggérant qu’il a photographié les femmes comme Leni Riefenstahl filmait les hommes. Durablement marqué par cette esthétique d’une puissance affirmée, Newton multipliera les nus en pied, distillant, pris en contre plongée, une forme de suprématie. Des femmes fortes, qui, à l’égales des cariatides, pourraient se substituer à des colonnes ioniques. Tout le paradoxe de Newton est peut-être niché dans cette influence inconsciente d’un régime que lui, le jeune juif, dut fuir un jour de décembre 1938, direction Trieste puis Singapour et l’Australie.
C’est là qu’il rencontre June Brunell, actrice, modèle et photographe. Ils se marient en 1948 et se photographient l’un l’autre sans discontinuer pendant plus de cinquante ans. Des images que disent la complicité sans aucune barrière à l’intimité. L’éternel voyeur dissimulé derrière son appareil, se livre totalement, jusque dans la vérité nue d’une salle d’opération.
Bande-annonce
14 juillet 2021 – De Gero von Boehm