LA TRILOGIE DU MILIEU
Entre les fabuleux exports italiens que furent les westerns spaghetti et les gialli des années 60-70, on trouvait un autre genre aux codes très marqué : le poliziottesco. « Polar bis » ou « néo-polar » selon les envies de traduction le politziottesco est un ensemble de séries B policières dont la Trilogia del milieu, composée de trois films réalisés presque d’une traite par Fernando di Leo, pourrait être le porte-étendard.
Centrés sur le milieu [mafieux], Milan Calibre 9, Passeport pour deux tueurs (ou encore L’empire du crime et La mala ordina en V.O. – plusieurs titres, un gage de qualité s’agissant des séries B ?) et Il Boss sont des films sombres et très similaires. Sombres et ultra-violents mais pas dénués d’un certain kitsch et d’une ambiance série B, avec moustaches et costumes pastels à la clef. Ou encore l’excellente bande son de Luis Bacalov sur les opus 1 et 3, quelque part entre le jazz et le funk (LIEN).
Les trois long-métrages présentent chacun les tribulations d’un antihéros débordant de testostérone et la noirceur de la fraction violente de la société italienne de l’époque. Fernando di Leo, que l’on connait (ou pas d’ailleurs, ses contributions ne figurant que rarement au générique) plutôt comme scénariste (entre autres, des deux premiers films de la Trilogie du dollar) se révèle être un brillant réalisateur. La force de la mise en scène est précisément ce qui rend intéressant cette série, en plus de son aspect capsule temporelle vernaculaire. On pourrait ici lister les fulgurances de réalisation, mais le réalisateur nous offre une solution clefs en main : les scènes d’introduction qui précèdent le titre de chacun des trois films sont excellentes.
Milano s’ouvre par une mallette qui passe de main en main ; le second film par une phrase qui définit la course-poursuite que sera le reste du long-métrage. « Vous devez tuer Luca Canali », comme ça au moins c’est clair. Dans celle d’Il Boss, enfin, Henry Silva tue un groupe de mafieux au lance-grenades dans une salle de cinéma. Di Leo semble nous mettre au défi de ne pas nous retourner vers la cabine du projectionniste, au cas où.
Cités mafieuses
Au-delà de la réalisation, les films partagent un cadre urbain : Milan, Milan et… Palerme. Si l’on reconnaît à peine cette dernière le temps de quelques plans fugaces, elle fait aussi bien office de ville-fonction que Milan. Hostiles au protagoniste, les cités mafieuses sont autant d’arènes à ciel ouvert, dans lesquelles il faudra se débarrasser de toutes les menaces pour espérer enfin être libre.
On y recroise les acteurs d’un film à l’autre. Mario Adorf fait le lien entre le premier et le second volet, Henry Silva entre le deuxième et le troisième. Antagonistes puis protagonistes, tous deux passent à chaque fois de l’autre côté de la barrière. Les trois personnages principaux sont des figures masculines fortes – il n’y a qu’à voir les moustaches de Mario Adorf pour en être certain-, individualistes, et surtout totalement détachée de tout compas moral. Gastone Moschin dans le premier, Adorf dans le second et Henry Silva dans Il Boss, tous ne servent qu’une cause : la leur. Avec plus ou mois de réussite.
Autre constante dans la trilogie, tout le monde trahit tout le monde et le sang jaillit régulièrement (d’un rouge criard, si rouge que Tarantino le cite dans ses influences pour Django Unchained). Les films regorgent de scènes dont on se dit qu’elles ont forcément fait hausser les sourcils à la censure de l’époque. Entre la violence brute, les insultes et les figures féminines absentes ou savamment maltraitées (que ce soit le personnage de Barbara Bouchet dans Milan Calibre 9 ou celui d’Antonia Santili dans Il Boss), les trois films sont de fiers (et crasses) porte-étendards des années 70. La trilogie fait montre d’un mauvais goût certain, caricatural, dont on se demande parfois s’il est premier degré ou non. Les morts à l’écran s’enchaînent et elle glisse d’un film à l’autre vers quelque chose de plus sombre. Il Boss finit par impliquer policiers et politiciens dans le milieu, et n’hésite pas à les supprimer d’une balle dans la nuque.
Salauds
En filigrane, c’est l’anti-Parrain que dessine Di Leo : sorti la même année, le film de Coppola présente une vision bien différente de la mafia, quasi-romantique en comparaison. Vue depuis les bas-fonds italiens, la mafia n’existe pas : elle serait plutôt un mot pour désigner un ensemble de petits truands, d’existences individuelles dont les intérêts et les égos sont en conflit perpétuel. Les codes d’honneurs restent une vague idée. Tout le monde, globalement, est un salaud en puissance : aucun personnage ne peut prétendre avoir des traits positifs. Luca Canali veut un temps protéger son ex-femme et sa fille… mais n’y parvient pas. Il revient bien vite à sa survie comme seul objectif.
Le fait de voir les films dans l’ordre joue d’ailleurs un rôle méta dans l’appréciation du spectateur : face à Canali, on se rappelle qu’on a vu Mario Adorf dans une autre rôle capable du pire… et au bout du troisième volet, on sait que n’importe quel pacte passé entre deux personnages sera brisé. Di Leo ne tient pas en grande estime ses personnages, et ne vise pas la fin heureuse à tout prix.
Il Boss se conclue sur un carton « à suivre » … resté lettre morte. Fernando di Leo réalise ensuite encore une dizaine de films, mais en se concentrant plutôt sur l’autre camp, celui des policiers qu’il ne fait que brièvement observer dans sa trilogie (avec notamment Salut les pourris, sorti en 1974). Comme s’il avait su synthétiser tout ce qu’il y avait de mauvais dans « le milieu ».