RESPECT
Critique du film
“Tu devrais réfléchir, réfléchir à ce que tu essaies de me faire » défiait elle dans la scène culte de The Blues Brothers. Du haut de son petit mètre soixante-cinq, arborant tel un insigne d’honneur son tablier rose tâché de café, elle transformait alors peu à peu le sol graisseux du « Soul Food Café » en un véritable royaume de rythme et de puissance – telle la Reine incontestée qu’elle était. Les amateurs du film de John Landis savent que, malgré sa performance, elle n’aura pas su retenir son mari Matt de rejoindre la troupe de Jake et Elwood ; mais si ce dernier reprendra la route, jamais il n’oubliera les mises en garde de son épouse. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on aurait aimé que dans son biopic hommage à « Lady Soul », Respect, Liesl Tommy en fasse de même.
Il faut dire que, pour un premier long métrage, Tommy s’attaque à l’une des plus grandes figures, non seulement de la musique, mais aussi de l’Histoire américaine toute entière. Aretha Franklin avait le don de faire de chacune de ses chansons un hymne, et de rassembler autour de son art un public bien plus large que celui du gospel et du rythm and blues. Aussi charismatique que généreuse, imprégnant chaque note d’un vécu longtemps ignoré tant la chanteuse maintenait un point d’honneur à n’en jamais trop divulguer sur sa vie privée, la Reine avait pour ainsi dire adoubé elle-même celle qui l’incarnerait sur grand écran – et alors que la jeune femme venait d’être oscarisée pour son rôle dans Dreamgirls. Sur ce point, et malgré la très belle performance de Cynthia Erivo dans la série biographique « concurrente » Genius : Aretha, Franklin ne s’y était pas trompée. Ceux qui connaissent l’immense talent de Jennifer Hudson ne seront pas surpris de la voir se glisser avec révérence mais investissement sous les traits de la regrettée légende. Outre ses performances vocales stellaires, Hudson arrive à amener le spectateur dans la grâce si particulière des instants d’improvisation, moments suspendus dans le temps qui commencent par quelques notes égrenées sur un piano et qui finissent par éclore en chef d’œuvre.
Pour autant, un biopic musical ne saurait vivre exclusivement de la voix de son interprète principale. Réussi, à l’image du Rocketman de Dexter Fletcher, il est l’occasion pour un metteur en scène d’offrir un regard incisif et visionnaire sur un parcours de vie atypique. Et de ce point de vue, Respect n’est pas sans soulever quelques interrogations.
TROUVER SA VOIX, CHEMIN DE CROIX (?)
Long de deux heures et demi, le film ne va paradoxalement se concentrer que sur l’enfance d’une part, et les vingt premières années de carrière de « Sister Soul » d’autre part. Ainsi, il nous montre comment Aretha, fille d’un pasteur militant pour les droits civiques, va faire sa voix dans la chorale de gospel de sa paroisse, mais également lors des soirées mondaines organisées par son père (impérial Forest Whitaker), – qui n’hésite pas à tirer sa fille de son lit en pleine nuit pour épater les convives. Le ton du film semble ainsi être donné, avec la dépeinte d’une relation éminemment toxique et possessive de laquelle cette petite fille devenue femme va vouloir s’émanciper – à l’image de l’évolution de son style musical, créant une jolie métaphore entre trouver sa voix en tant qu’artiste et trouver sa voie en tant qu’individu.
Force est de constater que de ce message d’indépendance, il ne reste plus grand chose dès lors que le film tombe dans la surenchère de chants lexicaux religieux, plaçant le respect non plus dans celui que chacun doit avant tout avoir pour soi-même, mais celui qui consiste à suivre à la lettre les préceptes bornés des cultes organisés. Effleurant à peine les abus dont Franklin aura été victime à l’âge de douze ans et qui aura résulté en deux maternités précoces, passant sous ellipse son engagement auprès de Martin Luther King, la part belle est faite aux dialogues de sourds entre l’artiste se laissant submerger par le succès et ses proches, qui assistent impuissants à sa descente aux enfers. Et après s’être vue opposer qu’elle se laisse « rattraper par ses démons » et qu’elle s’est « écartée du droit chemin », le parcours d’Aretha Franklin tel que dépeint dans Respect se conclue par la reconstitution fidèle de l’enregistrement du célèbre album live « Amazing Grace », ainsi que le traditionnel panneau de texte rappelant combien cet album gospel aura marqué son immortelle carrière.
Qu’Aretha Franklin ait été croyante ne fait aucun doute, et toute sa vie, elle sera restée fidèle à ses origines. Pour autant, la cantonner à cette seule dimension parait aussi réducteur que démagogique. Rappelons que parmi ses tubes planétaires, on compte, outre Respect et Think, les incontournables Natural Woman et Chain Of Fools – textes qui ont inspiré des générations de femmes dans leur lutte pour le respect de leurs droits. Le dernier album de la chanteuse était du reste une compilation hommage aux divas de la soul de tous les temps, comme en témoigne notamment sa reprise de Rolling In The Deep d’Adèle. Autant de considérations que Liesl Tommy aura donc délibérément choisi d’ignorer…
Bande-annonce
8 septembre 2021 – De Liesl Tommy, avec Jennifer Hudson, Forest Whitaker et Marlon Wayans