LA LUNE S’EST LEVÉE
Critique du film
La famille, le mariage, les relations parents-enfant. Autant de thèmes chers à Yasujiro Ozu qu’il n’est pas étonnant de retrouver dans le deuxième film de Kinuyo Tanaka puisqu’il en est le scénariste avec Ryôsuke Saitô. La Lune s’est levée est une comédie de mœurs, parfois proche du marivaudage, qui en dit long sur la société japonaise de l’après guerre, dont l’évolution ne se fera pas sans les femmes.
Un père, ses trois filles et leurs servantes. Ce qui frappe d’emblée, ce sont les cadres rigoureux dans lesquels la réalisatrice fait évoluer ses personnages. Des plans extrêmement composés de la maison familiale, jouant avec la profondeur de champ pour indiquer à la fois l’intimité et son absence. C’est dans ce contexte traditionnel, gouverné par la douce autorité du père, que surgit la modernité sous les traits de la fille cadette, Setsuko. Vêtue à l’occidentale, elle insuffle à la maison et au film un mouvement que seul la jeunesse peut incarner. Avec la complicité de Shoji, elle se met en tête de vouloir jouer les entremetteuses. Persuadée que Ayako et Amamiya éprouvent des sentiments secrets l’un pour l’autre, elle va tout mettre en œuvre pour les rapprocher. Setsuko est donc le comprimé effervescent que Kinuyo Tanaka verse dans les eaux apparemment calmes de son récit : primesautière et capricieuse, elle apparaît comme une cousine lointaine de Vivien Leigh.
Kinuyo Tanaka joue elle même le rôle de la servante de Setsuko, s’offrant une scène de pure comédie, devant précisément la jouer pour activer le manège imaginé par sa maîtresse.
Les jeux de l’amour étant par nature indomptables, les flèches de Cupidon, une fois la cible Ayako atteinte, vont revenir comme un boomerang vers Setsuko et Shoji, faisant basculer le film dans une dernière partie plus dramatique. Complices pour tirer les ficelles des histoires qui ne les concernent pas au premier chef, voilà les deux jeunes gens bien empruntés alors que leur avenir est en jeu. Setsuko rêve de Tokyo où précisément Shoji vient de laisser passer une opportunité d’embauche, préférant la céder à un ami davantage dans le besoin.
Chez Tanaka, les amours sont toujours contrariées. La faute a une pureté perdue en chemin, dans les méandres de l’Histoire ou ici, dans le labyrinthe des sentiments. Les femmes ne sont jamais modèles, mais vivantes, pleines d’une complexité qui les éloignent de toute caricature.
D’une très grande élégance, La lune s’est levée est un film qui cache, derrière son manège sentimental, une observation sociologique aiguë. Pour comprendre à la fois son ancrage et son universalisme, sa légèreté et sa rigueur, il faudrait imaginer un scénario d’Emmanuel Mouret tourné par Ozu et interprété par Audrey Hepburn.
De Kinuyo Tanaka, avec Chishu Ryu, Shuji Sano et Hisako Yamane