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LAURENT DURIEUX | Interview

L’illustrateur belge Laurent Durieux était l’invité d’honneur du troisième festival Bédérama qui s’est tenu du 14 au 17 octobre au Forum des Images. À la fois illustrateur et graphiste, comme il aime à se définir, ce maître du détail connaît un succès considérable depuis une dizaine d’années dans le milieu des affiches alternatives, un phénomène qui rend dingue les collectionneurs cinéphiles de toute la planète. Chacune de ses créations, où il revisite un film souvent culte, s’arrache en quelques secondes. Durant les quelques jours du festival, il a d’abord présenté ses œuvres exposées sur les murs du Forum, puis a donné une masterclass pour le public parisien. Il a aussi présenté le documentaire Out of the Box de Laurent frapat qui lui est consacré, et où il revient sur son parcours en même temps qu’on le suit dans son processus créatif pour la réalisation d’une affiche alternative dédiée au film Le silence des agneaux (Demme, 1991). Pour cette interview, il a accepté de revenir avec nous sur son art, ses influences, et ses goûts en matière de cinéma. (Interview réalisée le 16 octobre)

 

Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la sérigraphie et pourquoi vous utilisez cette technique particulière pour vos affiches ?

Laurent Durieux : La sérigraphie, pour faire simple, c’est un petit peu le système du pochoir. C’est une technique ancestrale qui vient de Chine, où chaque couleur est imprimée séparément, et superposée de la plus claire à la plus foncée. Ce sont donc des pigments de couleur, purs, qui ne sont pas tramés. C’est parfait pour des images un peu artistiques, ou bien même pour les autocollants, les t-shirts, etc… Aux États-Unis, il y a cette culture des gig posters, c’est-à-dire les affiches de concerts de rock. Ça date de la fin des années 60, et ces posters étaient imprimés par des sérigraphes dans des garages, quelques jours avant le concert, et donc tu pouvais avoir chaque fois un poster pour une date… Aujourd’hui encore, la sérigraphie est très vivante aux États-Unis, et un jour, Rob Jones, un des créateurs de la galerie Mondo au Texas, a eu l’idée de faire un concept d’affiches de cinéma alternatives, et il a décidé de le faire de la même manière que pour les concerts de rock et d’utiliser la sérigraphie. C’est un produit très qualitatif, imprimé par des artisans, donc c’est vraiment un très bel objet que l’on peut collectionner.

Comment définiriez-vous votre style au sein de cet art ?

En fait, mon style a été défini par la sérigraphie elle-même. Avant, je mettais autant de couleurs que je voulais, sauf qu’en sérigraphie il y a une limitation de couleurs, donc je me suis demandé comment je pouvais m’adapter à cette technique, comment avoir une image assez riche malgré cette limitation ? J’ai alors exploité ce système des “griffes”, des “trames mécaniques”, des hachures… pour justement récupérer un peu de richesse dans les valeurs, les textures.

Dans le documentaire Out of the Box, vous évoquez vos influences : Moebius, Saul Bass, Antonio Petruccelli, Kawase Hasui… Pourquoi le travail de ces artistes vous a-t-il autant touché ?

Tout ce qui m’influence, ce sont des choses qui me frappent, qui m’attirent. Je suis un peu une hydre à deux têtes car je suis en même temps illustrateur et graphiste. Ce n’est pas forcément le même métier, donc je peux aussi bien être admiratif devant une synthèse graphique, comme la simplicité d’une affiche de Saul Bass par exemple, qui est pour moi la référence, et en même temps être hyper emballé par le Désert B de Moebius où là, c’est des multitudes de détails, un trait très précis, très fin. Les deux n’ont rien à voir, mais c’est le grand écart que je peux faire. Petruccelli, c’était vraiment un coup de foudre quand j’ai découvert son travail, comme pour le japonais Kawase Hasui, c’est spectaculaire, tu prends un uppercut quand tu vois ses illustrations. Son travail sur les lumières résonne énormément dans le mien. Et il y a encore tellement d’artistes… Une autre de mes grandes influences, qu’on a malheureusement dû couper dans le documentaire, c’est Norman Rockwell. C’est un storyteller incroyable, en une image, il arrive à raconter une histoire extraordinairement riche. Il y a aussi Edward Hopper… Tout ce qui me plait est potentiellement une influence dont je peux me servir.

Comment se passe la collaboration avec les galeries qui font appel à vos services ?

Ils ont des listes de licences de films pour lesquels ils souhaitent faire une affiche alternative, et comme c’est des gens très malins avec une culture graphique, ils savent très bien qu’ils ne vont jamais me proposer Star Wars ou un Marvel. Ils savent que je ne suis pas là-dedans, ils connaissent mon imagerie, les films que j’adore. Après c’est une question de temps et de timing, parce que je leur fais pleinement confiance, ils sont tellement sympas et talentueux.

Qu’est-ce qui fait qu’un film peut vous intéresser ?

C’est d’abord l’histoire et les multi-couches, si je peux trouver des éléments qui n’ont pas été exploités sur les affiches précédentes. J’adore les films profonds, avec des histoires complexes. Je sais bien qu’il y a des choses à dire sur Star Wars, mais il y en a tellement qui l’ont déjà fait. Pendant très longtemps, les gens m’ont considéré comme un geek, alors que pas du tout.

Une fois que vous vous êtes mis d’accord sur une licence avec la galerie, la première étape de votre travail, c’est de revoir le film ?

Oui, je visionne le film, une fois ou deux. Parfois un peu plus, si c’est compliqué. Et puis je fais un petit croquis rapide, une esquisse, avec ce qui me semble être une bonne idée. Une espèce de condensé de ce que j’ai retenu du film. Et j’essaie de jouer un peu avec ce que j’appelle, non pas des mots-valises, mais des “images-valises”, avec l’utilisation de trompe-l’oeil, d’objets symboliques, comme dans mon affiche de Die hard, avec cette boule à neige qui n’est pas dans le film. Mais au bout du compte, quand tu regardes cette affiche, tu retrouves le film, donc c’est ça l’image-valise. Je vais chercher des trucs, des objets qui en apparence n’ont rien à voir, je les mélange, et ça devient des images un peu hybrides, mais qui fonctionnent.

En fait, vous vous appliquez à traduire l’esprit du film, plus que le film lui-même ?

Oui, c’est tout à fait ça ! C’est l’esprit du film qui m’intéresse, ce qu’a voulu raconter le réalisateur. Ça m’ennuie un peu d’être premier degré et de refaire des scènes du film. Ou alors, si je dois exprimer une scène, il faut qu’elle soit un peu déformée, et qu’elle aille dans le sens de ce que j’ai envie de dire. Je la modifie pour accentuer certains points de vue. 

Où se situe la frontière entre le respect de l’œuvre originale et la trahison, la limite à ne pas dépasser ?

Il faut que ça soit très juste, que ça fonctionne. Je ne veux pas que mon travail aille à l’encontre de ce que le réalisateur a voulu faire, parce qu’alors là, c’est de l’égo, et ça je ne veux pas. C’est ça la frontière. Il faut que le réalisateur puisse retrouver son travail dans ma vision. S’il ne le retrouve pas, c’est que j’ai raté mon coup.

Toujours dans le documentaire, vous parlez de votre souci que l’affiche puisse être fièrement accrochée sur un mur ?

Oui, parce que je n’ai pas de problème à dire que c’est un objet de décoration, alors si tu dois l’avoir au mur, autant qu’elle soit agréable à regarder, qu’on puisse y découvrir des choses. J’aime que mes images soient toujours classes. Pas classe pour être classe, hein, mais qu’elles résonnent, qu’elles soient en adéquation avec ce que j’ai envie de faire et de montrer. Donc effectivement, quand on me propose un film comme Le silence des agneaux, il faut que l’image soit intrigante, pas dans la surenchère, comme l’affiche originale d’ailleurs qui n’était pas effrayante. Beaucoup d’autres artistes font des trucs atroces, effrayants, ils rajoutent une couche, ça ne m’intéresse pas du tout, j’aime bien le décalage entre une histoire qui est glauque, qui peut être très dure, et un visuel qui ne l’est pas. C’est toujours plus intéressant, je trouve, parce qu’il se passe une tension entre ce que tu proposes visuellement, et le fond. Rajouter de la torpeur, de l’horreur sur un truc déjà horrible, non. Mais de toute façon, je penserais de la même manière si c’était pas une affiche faite pour la décoration. Parce qu’on est fait comme on est fait. J’aime bien créer des images mystérieuses, qui provoquent une réflexion. J’ai pas envie de faire du « pré-mâché ». 

Vous faites aussi référence au concept de “la couleur rare”, pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?

Quand vous allez voir des tableaux de maîtres dans un musée, il faut vraiment que vous fassiez attention à ça. Les peintres utilisent souvent cette technique. Par exemple, t’as une composition dans les tons bleus, et tout à coup, sur un des éléments de cette composition, il y a une petite couleur orange… Tu crois ne pas l’avoir remarquée, mais en fait, c’est elle qui fait vibrer tout l’ensemble. Je dis dis orange, mais ça peut être n’importe quelle couleur, c’est une couleur qui tranche avec l’aspect général de l’œuvre, et qui fait qu’il y a une vibration, que ton œil est attiré. Souvent, le premier réflexe que l’on a, c’est de jouer avec le rappel de la couleur. On voit, par exemple, beaucoup ça dans les affiches de cinéma officielles. Tu as une ambiance générale rouge ou verte, avec une petite complémentaire orange, et souvent la typo du titre reprend cette couleur orange, or c’est une erreur, ça amoindrie la force du concept. Prends l’exemple de mon affiche du Silence des agneaux, tu vois que mon idée est là, dans ce quartier qui est découpé, ce petit triangle rouge ou rosé, avec la chair en dessous. Tu comprends vite que tu ne peux pas mettre ce rouge ailleurs, parce que sinon tu casses cet effet très graphique, très connoté… Donc, c’est très important. 

Je viens de finir la pochette d’un vynil pour le film Bullhead (Michael R. Roskam, 2012) avec Matthias Schoenaerts. On y voit la vitrine d’une prostituée avec Matthias qui passe devant et qui n’est pas intéressé, parce que, tu connais l’histoire, il est impuissant… donc pour moi, ce film, c’est d’abord un rapport à la sexualité, ce n’est pas un film sur le dopage, les stéroïdes, etc… C’est sur sa sexualité, son rapport aux femmes, la violence qu’il a subi enfant… C’est pour ça que je fais cette image avec le bordel éclairé, et le personnage de Matthias qui passe devant, et dans le reflet du sol mouillé, il y a Matthias, enfant. Et donc, tu vois, il y a des néons rouges, et premier réflexe, je me dis que je vais aussi mettre le titre en rouge. Sauf que très vite, tu te rends compte que lorsque tu mets le titre en gris, l’image attrape une classe insensée ! Et là, tout à coup, la couleur rouge est utilisée en bonne quantité, en bonne proportion. Tu mettais le texte à côté avec cette même couleur, ça accompagnait la prostituée, or le sujet du film, c’est Matthias Schoenaerts qui passe devant sans la regarder. Donc, il y a une réflexion à avoir sur le narratif de la couleur, car l’utilisation d’une couleur raconte une histoire.

Pour ce documentaire, comment Laurent Frapat, le réalisateur, vous a-t-il convaincu de le laisser entrer chez vous, dans votre atelier ?

Parce qu’il était très sympa ! Son père était Jean Frapat, qui faisait Tac au tac, une émission des années 70 où des dessinateurs s’affrontaient en direct par dessins interposés. C’est un vrai passionné de cinéma et un vrai passionné de dessin. Il a parlé avec son cœur et m’a dit qu’il adorait mon travail et m’a expliqué son projet, et donc j’ai dit “Ok, on y va !”. Tout simplement.

C’est facile de dessiner avec une caméra au-dessus de son épaule ?

Non, ce n’est pas facile, tu trembles un peu au début, tu perds tes repères… D’ailleurs, dans le film, on le voit, c’est insensé, je prenais n’importe quel crayon de couleur qui me tombait sous la main, des couleurs que je n’ai jamais utilisé de ma vie ! Cet espèce de vert olive, dans mon concept avec le masque d’Hannibal Lecter. Parce que j’avais la pression de la caméra, de l’instant, je devais être dans l’action donc j’ai pris le premier truc qui passait, mais ce n’est pas du tout mes gammes de couleurs… Bon, après, j’ai retravaillé dessus, et finalement ça rend bien.

La lumière est un élément crucial dans ton travail, on le constate lors du passage sur votre affiche pour le film Les moissons du Ciel (Terrence Malick, 1978), et vous dis vous-même travailler “comme un chef opérateur”. Est-ce qu’il y a des chefs opérateurs dont le travail vous a influencé ?

Écoute, je ne les connais pas tous, je ne suis pas du tout un théoricien. J’aime le cinéma un petit peu comme tout le monde. Ce qui m’intéresse, c’est surtout une bonne histoire, donc je n’ai pas de connaissances encyclopédiques sur qui fait quoi. Après, je m’y intéresse. Par exemple, je m’interroge quand je vois Blade Runner (Ridley Scott, 1982). La photographie de ce film est extraordinaire. Je peux te citer les films où je trouve qu’il y a vraiment une image soignée, pareil pour certaines séries, mais je ne suis pas du genre à retenir le nom des techniciens, pas encore… Je le fais avec la musique, je suis passionné de jazz, de soul, et je suis du genre à regarder qui est le mixeur etc… Mais en cinéma, ça commence… C’est marrant, parce que maintenant, quand je regarde un film, j’analyse très vite le scénario. À force de les décrypter, pour essayer d’en trouver l’essence, j’apprends beaucoup du métier de scénariste. C’est très intéressant, et c’est la même chose pour le travail de lumière. Je vois quand un film est laid, et qu’il n’y a pas de travail spécifique sur l’éclairage, qu’il n’y a pas un bon directeur de la photographie, je le vois tout de suite, ça me saute aux yeux.

On a compris que le travail sur les affiches de cinéma, c’est venu par hasard…

Oui, complètement par hasard !

Avant ça, le cinéma, ça occupait quelle place dans votre vie… Notamment quand vous étiez enfant ?

Une place normale… Alors il faut définir la normalité et ce que c’était dans les années 70. Il n’y avait que trois ou quatre chaînes en Belgique, alors quand il fallait programmer un film, c’était pas n’importe quoi. Maintenant, il y a tellement de chaînes qu’on peut se permettre d’avoir du très bon et du très mauvais, mais je peux te dire, qu’enfant, j’ai vu des films incroyables ! C’était le cinéma de minuit, les westerns… Il y avait du lourd, c’est le cinéma des années 70, il y avait beaucoup moins de films aussi. J’ai découvert les films de Claude Sautet à cette époque, César et Rosalie (1972)… J’ai grandi avec les films de Sautet, c’est quand même pas mal ! Il y avait les Truffaut qui passaient à la télévision, comme L’homme qui aimait les femmes (1977), ou les films de Claude Lelouch… Et ça c’est uniquement les films français, parce que je me rappelle, le premier film américain qui m’a marqué, c’est Voyage au bout de l’enfer (1978) ! J’avais 12 ans, et je me suis dit “Ok, ça, c’est mon film favori”. Donc j’avais déjà un terrain un peu propice à aimer le grand cinéma. Parce que Michael Cimino, c’est quand même pas n’importe qui. Mais sinon, je ne suis pas un mec de festival. Lorsque j’ai été invité au Festival de Telluride (Festival de films dans le Colorado, ndlr), pour lequel j’avais fait l’affiche, on m’a donné un pass pour voir tous les films, et je ne suis allé en voir aucun. Je préférais me promener, visiter, découvrir la ville que de m’enfermer… Je ne suis pas un rat de festival.

Aimez-vous malgré tout aller au cinéma pour découvrir les films ?

Oui bien sûr ! Mais je choisis. Je me dis “Ça c’est un film qu’il faut voir au cinéma, ou ça c’est un film léger, je pourrais très bien le voir à la télévision”. J’admire les gens qui sont des jusqu’au-boutistes, qui veulent voir tous les films, moi je n’ai pas ce courage, je suis une feignasse ! Et puis il faut dire aussi, je n’ai pas trop le temps, je suis toujours occupé. Le prochain film que je veux aller voir, c’est Dune (Denis Villeneuve, 2021). Ça, je sais que c’est un film que je dois voir au cinéma.

Vous aimez tous les genres de films ?

Je ne suis pas fan des films d’horreur. Et pourtant, parmi mes films favoris, il y a L’Exorciste (William Friedkin, 1973), et Shining (Stanley Kubrick, 1980) aussi. C’est du très haut niveau. Mais je n’aime pas les trucs gores. Encore une fois, ce qui prime, pour moi, c’est une bonne histoire, un bon scénario. Je ne suis pas sectaire, il faut que ça me touche, que l’histoire me bouleverse.

Quels sont vos premiers souvenirs d’affiches de cinéma ?

L’affiche des Dents de la mer (1975), celle de Blade Runner (1982), ou l’affiche des Aventuriers de l’Arche perdue (1981) par Richard Amsel. Amsel, c’était le mentor de Drew Struzan, et il est malheureusement mort en 1985. Cette affiche, je l’avais chez moi. Mais il y en a plein… Les affiches d’E.T. (1982) ou Tron (1982), j’adore ! Ce sont des madeleines de Proust, toutes ces affiches. Comme n’importe quel gamin, je me suis retrouvé avec des posters dans ma chambre, mais je ne sais même plus comment ils se sont retrouvés là… Je ne suis pas très fétichiste à ce niveau-là.

Êtes-vous collectionneur ?

Je dis souvent que je ne suis pas collectionneur, mais quand tu vois ma collection, tu te rends compte que je le suis. Mais ce n’est pas réfléchi, j’achète des choses que j’aime. Un collectionneur, ce n’est pas ça, il veut tout, même s’il n’aime pas. J’achète des trucs qui me plaisent, je ne suis pas complétiste. Alors parfois, ça manque un peu de cohérence, mais je m’en fous, je trouve ma cohérence dans l’esthétique des œuvres.

Quel serait le film ou le réalisateur que vous rêveriez d’illustrer ?

J’adorerais travailler sur Blade Runner, évidemment. Mais la licence n’est pas disponible. Certains artistes l’ont traité pour des commissions privées (groupes de collectionneurs qui se réunissent pour financer la production d’une affiche non-officielle, ndlr) mais c’est du fan art dans ce cas-là, et je veux travailler de manière officielle. J’aimerais aussi beaucoup travailler sur 2001, l’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968) mais… je ne sais pas si je peux dire ça, mais la personne à qui j’ai eu affaire était tellement mauvaise, et ne comprenait rien au concept, que j’ai préféré passer à autre chose. Pourtant, c’était un projet hyper respectueux.

C’est quoi, pour vous, une bonne affiche de cinéma ?

Une bonne affiche, c’est une affiche qui te donne envie d’aller au cinéma ! Une affiche mystérieuse, qui ne dévoile pas tout, juste ce qu’il faut. C’est aussi une affiche originale, que tu n’as jamais vu, et qui te met la claque. La tendance actuelle pour les affiches de rue, avec les “grappes de raisin” là, où tous les visages des comédiens sont mis côte à côte, je ne supporte pas ! Celle de Dune, par exemple, c’est juste ignoble. Tu vois bien que c’est conçu par du marketing. Mais de temps en temps, heureusement, je vois des affiches merveilleuses, il y en a quand même. Mais très peu… J’ai remarqué que c’est toujours celles qui évoquent le mystère. 

Un exemple d’une affiche officielle qui vous a marqué récemment ?

L’affiche d’un film italien qui s’appelle La Stanza (Stefano Lodovichi, 2021). C’est une affiche qui m’a subjugué par sa beauté. Elle est assez sombre, les distributeurs refusent ça en général. Et surtout, elle est mystérieuse et originale, avec cette composition où tu vois une femme dans un couloir, mais seulement à moitié, on ne voit qu’un bout de sa robe. Elle est magnifique… Sinon, il n’y en a pas tant que ça. Mais il ne faut pas en prendre ombrage, je suis certain qu’il y en a d’autres, je ne les ai peut-être juste pas vu.

Vous avez vous-même travaillé avec des distributeurs pour des affiches de films sortis récemment : Le sens de la fête (Toledano & Nakache, 2017), Adoration (Du Welz, 2020), The Deep House (Bustillo & Maury, 2021), Music-Hole (Lekens & Mutzenmacher, 2021)… Vous pensez qu’il y a une tendance des distributeurs à de nouveau faire appel à des illustrateurs ?

Je pense que les distributeurs, ou les réalisateurs, aiment mon travail. Mais il y a une différence entre aimer ton travail et franchir le pas. Avec la pression financière, ils ont peur. En fait, ce qu’il me faudrait, c’est que je fasse une affiche dessinée et que le film soit un carton monumental. Alors là, les gens se rueraient sur mon travail mais aussi chez les autres artistes pour avoir des affiches illustrées. Ça marche comme ça. Il y a cette idée idiote qui dit qu’une affiche dessinée, c’est un film qui ne marche pas. C’est quelque chose que j’ai déjà entendu… C’est d’une bêtise… Je suis très content de travailler avec des distributeurs qui me font confiance, mais la majorité ont un manque de courage. Ils analysent tout avec le point de vue du marketing. Ces gens-là ont fait des études, et ils te disent des trucs du genre “Si tu mets un fond jaune, c’est quand même très solaire, c’est bien pour une comédie”… Ça, c’est vraiment le métier que je n’ai pas envie de faire. Pendant 25 ans, on m’a imposé des trucs, et je voyais le résultat, c’était quand même très mauvais. Donc, faire confiance aux gens, aux artistes, je crois que c’est ce qu’il y a de mieux pour qu’ils se défoncent et donnent le maximum d’eux-mêmes.

Est-ce pareil pour vous de faire l’affiche promo d’un film qui n’est pas encore sorti, ou préférez-vous travailler sur un film culte que tout le monde a vu, et aller chercher le détail que personne n’avait remarqué ?

Ce sont deux exercices différents. Il y en a un où il y a une connivence avec le spectateur, pour un film qui est connu. Tu peux vraiment t’amuser avec cette espèce de jeu de piste. Alors qu’un film que personne n’a vu, par définition, il n’est pas iconique, donc t’es obligé de le penser autrement. Mais dans les deux cas, ça reste ma vision. Je propose des esquisses, des croquis, aux distributeurs, aux réalisateurs… Mais évidemment, il est plus difficile de  jouer avec des éléments cachés, puisque les gens ne connaissent pas le film.

Pouvez-vous nous dire un mot sur votre rencontre avec Francis Ford Coppola ?

Notre rencontre remonte un peu maintenant, ça date de 2018. J’ai appris qu’il était fan, qu’il aimait beaucoup mon travail. Et comme c’est un artiste, foncièrement, et qu’il me considère comme un artiste, on a eu cette connivence. Il a utilisé mes affiches sur les étiquettes de ses bouteilles de vin, parce qu’il a des vignobles en Californie. Il a voulu que je fasse plusieurs affiches de ses films. C’était un bel honneur. La dernière affiche que j’ai faite pour lui, c’était l’année dernière, pour la Director’s Cut de The Cotton Club : Encore. J’aimerais beaucoup faire son Dracula (1992) un jour, parce que j’adore ce film. Ou même Peggy Sue s’est mariée (1986)… Même si c’est compliqué à traiter, parce que c’est un peu le même registre que Retour vers le futur (1985) que j’ai déjà fait. Travailler le temps, c’est très difficile à exprimer visuellement… 

Dernière question, si vous pouvez nous en parler, quelles sont les prochaines affiches que vous préparez ?

Alors, je viens de terminer l’affiche vinyle pour Bullhead, sinon j’ai Marathon Man (John Schlesinger, 1976) qui arrive, puis Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976) et enfin The Parallax View avec Warren Beatty (aka À cause d’un assassinat, Alan J. Pakula, 1974). C’est trois titres qui doivent arriver bientôt pour un éditeur basé en Espagne qui habituellement fait des vinyles, mais veut aussi produire des posters. Et sinon, il y a aussi mon affiche pour Les chaussons rouges (Powell & Pressburger, 1948) qui est imminente. Ça fait plus d’un an et demi qu’elle est finie, et là j’ai reçu un mail du sérigraphe, donc c’est pour très bientôt, cette fois avec Dark City Gallery, un éditeur anglais.


*L’exposition des affiches de Laurent Durieux reste visible au Forum des Images jusqu’au 10 novembre.

*Le documentaire Out of the Box de Laurent Frapat sera de nouveau présenté lors du festival des Utopiales de Nantes qui se tient du vendredi 29 octobre au lundi 1er novembre 2021.


Remerciements : l’équipe du Forum des Images et du Festival Bédérama pour l’organisation de cette interview.

Propos recueillis et édités par Grégory Perez pour Le Bleu du Miroir