BILAN | Nos coups de coeur du mois de novembre 2021
Chaque mois, les membres de la rédaction vous proposent leur film du mois, celui qu’il fallait découvrir à tout prix en salle ou dans votre salon (sorties SVOD, e-cinema…). Découvrez ci-dessous les choix de chaque rédacteur de Le Bleu du Miroir pour le mois de novembre 2021. Ce mois, d’une sacrée richesse en termes de sorties, trois films qui se distinguent particulièrement.
Le choix de Thomas Périllon
Adapté d’un roman semi-autobiographique d’Annie Ernaux, l’histoire n’a rien d’inédit mais mérite d’être racontée inlassablement à une époque où certaines voix (trop audibles) tentent de faire régresser les droits féminins, à disposer de leur corps comme de leur plaisir. Après le remarquable Never rarely sometimes always d’Eliza Hittman qui se situait dans l’Amérique actuelle, c’est une autre cinéaste qui porte le sujet de l’avortement à l’écran pour revenir dans la France des années 60, une dizaine d’années avant la loi Veil. Ni didactique ni ouvertement politique, Audrey Diwan met sa mise en scène délicate et sobre au service d’une narration déjà lourde de sens, d’oppressions et d’injonctions, entre thriller social oppressant et drame intime qui n’a nul besoin d’être amplifié artificiellement. La vie d’Anne s’effondre en silence, rendant son récit si déchirant et la terreur croissante d’autant plus prononcée. Parce que les combats d’hier demeurent ceux d’aujourd’hui, et parce qu’il est une éblouissante réussite, L’événement est un film indispensable.
Le choix de Florent Boutet
La différence et la fin d’un monde sont les deux articulations qui font tourner le coeur des Magnétiques de Vincent Maël Cardona. Philippe est le petit frère, le taiseux, celui qui ne fait pas retentir sa voix, perdu dans l’ombre de la statue du commandeur de son frère Jérôme. Il est le gamin étrange, bizarre, et pourtant c’est lui qui part faire son service militaire, le frère apte, le discipliné. L’amour de la musique transpire à chaque instant, en parallèle d’un goût de mort qui hante les faits et gestes des habitants de cette petite ville de province, signe distinctif de ces années 1980 qui sonnèrent le glas des grandes utopies et des grandes espérances d’un monde meilleur. Ce coté crépusculaire ourle le film, pesant comme un morceau de cold wave, précédant tout le cynisme qui allait suivre dans des années de crispation intense. Retranscrire l’esprit de ce moment, les énergies qui le composait, c’est tout le talent de l’auteur qui avec une écriture précise et poétique, réalise un film brillant et mélancolique.
Le choix d’Elodie Martin
« Rien. » « Aidez-moi. » « Il n’est pas question que je le garde. » « Je veux continuer mes études, c’est capital pour moi. » Voilà les mots que l’on met sur autant de volonté que de détresse. « Tu es folle. » « Sortez d’ici. » « Ce ne nous regarde pas. » Autant de violences rétorquées à ce qui, il a moins de soixante ans encore, était illégal et rejeté comme l’incommensurable expression du droit des femmes à disposer librement de leurs corps. L’Évènement d’Audrey Diwan est un film nécessaire, que la grâce d’Anamaria Vartolomei porte avec une sincérité aussi désarmante que cruelle, tant elle représente le visage des femmes à l’état brut face à leur choix si souvent encore décrié.
Le choix de François-Xavier Thuaud
C’est l’histoire d’un corps anachronique, d’une liberté chère à payer, d’un combat sans adversaire, d’un courage sans pareil. C’est l’histoire d’un film qui devient, par sa justesse, par sa cohérence, un classique instantané. C’est l’histoire d’une comédienne et d’une réalisatrice, en osmose, dont les talents conjugués traduisent à l’écran l’immense texte d’Annie Ernaux. Réussite totale.
Le choix de Fabien Genestier
Philippe est un jeune homme timide, introverti, au point qu’on pense dans un premier temps qu’il pourrait être autiste lorsqu’on le voit se réfugier derrière sa console de mixage (soulignons là l’interprétation extraordinaire de Thimotée Robart), mais qui est en fait écrasé par son frère et par l’étroitesse des perspectives d’avenir dans un village des années 80. Les Magnétiques sera ainsi le récit de son émancipation, poussée par les nouveaux horizons qu’il découvrira lors de son service militaire, mais surtout par l’amour qu’il porte à la petite amie de son frère. Vincent Maël Cardona rend hommage à la France des cassettes audios et des radios pirates pour en tirer une poésie inattendue et nous offrir le magnifique portrait d’un jeune homme en quête de lui-même. Si au regard de son sujet le film propose une superbe partition sonore, c’est peut-être plus encore visuellement qu’il subjugue. Un quasi sans faute en termes de mise en scène, chose rare pour un premier film, qui compte deux points d’orgue, la déclaration d’amour de Philippe sur les ondes et la concrétisation de cet amour sous le feu des phares d’une voiture.
Le choix d’Eric Fontaine
Même si on est en droit de lui trouver des maladresses ou des excès, De son vivant nous entraîne avec énormément de sensibilité et d’humanité dans un voyage vers l’acceptation de l’inéluctable, lorsqu’on se sait condamné à très court terme. Un cheminement intérieur durant lequel il faut apprendre à se réconcilier avec l’autre et avec soi-même, avec ses manquements et ses échecs. Permettant à Catherine Deneuve et à Benoît Magimel de livrer de remarquables interprétations, le film d’Emmanuelle Bercot constitue une bouleversante réflexion sur la fin de vie et l’ultime enseignement qu’elle apporte parfois.
Le choix de Grégory Perez
Après avoir secoué les planches du théâtre français avec sa troupe des Chiens de Navarre, Jean-Christophe Meurisse s’attaque de nouveau à nos écrans avec le bien nommé Oranges sanguines. Toute l’acidité et la violence suggérées par ce titre explosent au visage du spectateur, d’abord dans une première partie aussi irrésistiblement drôle que cynique, avant que le film ne bascule dans une violence difficilement soutenable. À mi-chemin entre la folie destructrice d’un Bernie et l’énergie révoltée des Nouveaux sauvages, Meurisse nous entraîne à bord de ses montagnes russes. Provocateur jusqu’à l’extrême, il ne nous épargne rien, surtout pas le mauvais goût, et c’est ça qui est bon.
Le choix de Tanguy Bosselli
Auréolé du prix du Jury au dernier festival de Cannes, Apichatpong Weerasethakul a survolé à la manière d’un OVNI ce mois de novembre en salles. Difficile de résumer Memoria, et pourtant tout le sel viscéral du cinéma est présent au cœur de ses cent-trente-cinq minutes : un éloge angoissant fait au pouvoir du mixage son, une multitude de phénomènes plastiques captivants qui prennent en otage l’image ; et au centre du noeud narratif, la spectrale Tilda Swinton, gestionnaire d’un continuum spatio-temporel abstrait à souhait. Memoria peut fortement rebuter, mais Memoria peut aussi être appréhendé comme l’expérience de cinéma la plus stimulante de 2021. C’est à vous de vous laisser tenter.
Le choix d’Antoine Rousseau
Auréolé d’un Lion d’Or à Venise et d’une presse quasi dithyrambique, on attendait de découvrir L’événement à la fois avec excitation et appréhension, redoutant le film à thèse un peu vain. Pourtant, le second film d’Audrey Diwan résonne comme une belle évidence. En suivant chevillé au corps Anne (remarquable Anamaria Vartolomei) pendant 1h40 dans son parcours pour avorter clandestinement, la réalisatrice traite le sujet du corps des femmes en replaçant avant tout l’humain, et en l’occurrence l’humaine, au cœur du récit. Une immersion viscérale dans une horreur sociétale française pas si lointaine et qui rappelle de manière implacable pourquoi certains droits ne devraient jamais être remis en question. Puissant !
Le choix d’Emilien Peillon
Memoria est assurément la séance la plus marquante de l’année. Il est étrange et agréable à la fois de voir le rapport au sommeil et au somatique de la mise en scène de Weerasethakul en pleine action sur son public, affalé dans son siège, plongé dans des pensées à la dérive, mais pourtant uni dans une réaction collective lors de la fin sublime. Memoria communique des choses très précises, pourtant difficile à décrire avec de simples mots, et il faut accepter le fait que lorsqu’on pense saisir quelque chose du film, celui-ci se trouve toujours un peu à côté de ce qu’on vient d’isoler, plus riche et mystérieux encore.
Le choix de Victor Van De Kadsye
Lion d’or à la dernière Mostra de Venise, le film de Audrey Diwan tient la force politique et émotionnelle du récit d’Annie Ernaux par une mise en scène étouffante qui se resserre sur son héroïne incarnée par Anamaria Vartolomei.
Le choix d’Eleonore Boisvieux
Zanka Contact de son titre original, premier film prometteur d’Ismael El Iraki, est la collision fantasque entre le triste souvenir de l’attentat du Bataclan et la célébration d’une musique punk débridée en plein cœur de Casablanca, au Maroc. Au rythme d’une voix féminine profonde rappelant Yasmine Hamdan dans Only lovers left alive, le film fait l’effet d’un salon enfumé d’opium, aux volutes claires éclairées à la lanterne. Lunettes noires et total look python forment la carapace de l’un de ses héros, sensible Ahmed Hammoud, à l’émotivité opaque mais terrassante sous les écailles. L’autre apparaît sous le visage candide et le cœur curieux d’une fille de joie sans larmes, électrique Khansa Batma, elle est le souffle de vie de l’histoire, elle est la main tendue vers l’échappée nocturne, adolescente, tragique et romantique. Par accident, les deux se rencontrent, comme pour se guérir l’un l’autre, et tenter de survivre. Egayé d’un humour tendre, Burning Casablanca ravive la flamme indocile du genre tragi-comique, embarquant le spectateur dans une virée rock-ambolesque embrassant tout de la misère sociale : violence, espoir fou, et spontanéité.