Gregoire-Auger

GRÉGOIRE AUGER | Interview

Compositeur des Promesses de Thomas Kruithof (en salle le 26 janvier), Grégoire Auger fait partie des figures montantes de la musique au cinéma en France. Musicien autodidacte, expérimentateur et improvisateur, il a entamé un chemin en dehors des sentiers battus qui l’a vu commencer sa carrière avec le premier film de Thomas Kruithof, La Mécanique de l’ombre (2017), puis enchaîner avec trois autres films (dont Burn Out en 2018). À 44 ans, le compositeur se distingue par une approche instinctive dans laquelle il mêle l’orchestre avec des sonorités électroniques pour aboutir à une musique unique. Lors d’une rencontre à son domicile, il a bien voulu nous livrer ses secrets de fabrication.

Comment êtes-vous arrivé à la musique de film ?

Ce n’était pas mon projet au départ. J’ai commencé la musique en faisant de la guitare au lycée. J’étais passionné par le rock, le blues, Stevie Ray Vaughan. J’ai appris la guitare en autodidacte. J’ai essayé la guitare classique, mais ça n’a pas trop fonctionné, le solfège me rebutait. J’ai plus accroché avec la guitare électrique, le rock : j’écoutais et je reproduisais les morceaux. Ensuite, j’ai fait des études de droit en propriété intellectuelle. Mais ça ne m’intéressait pas vraiment et j’ai continué la musique. Mon approche était de tout faire tout seul. Cela ne me facilitait pas la vie, notamment pour communiquer, vu que je ne lis pas la musique. Et d’autant que je n’ai pas la parole facile.

Vous êtes plutôt François de Roubaix que Georges Delerue ?

Tout à fait, même si j’aime beaucoup Delerue aussi ! En termes de méthode de travail, je fais le maximum tout seul. Je suis curieux des techniques d’enregistrement. J’adore prendre un instrument dont je ne sais pas jouer. Comme cette guitare ténor, j’essaye de trouver des formes, c’est un instrument folk, très blues, mais je m’en sers différemment. J’aime chercher de nouvelles manières de composer. Je travaille aussi avec l’ordinateur, j’aime tout ce qui est technologique. Ces dernières années, il y a eu beaucoup d’innovations dans le domaine musical : de nouvelles formes de contrôleur numérique, de nouveaux systèmes d’agencement chromatiques. Cela permet de jouer différemment, cela me donne des idées, tout en enrichissant ma palette.

Après vos études et ce premier boulot dans le droit, comment êtes-vous arrivé à vivre de la musique ?

J’ai travaillé pour un operateur/fournisseur d’accès internet, ça a duré un an. C’est là que j’ai rencontré Thomas Kruithof. J’avais des amis qui travaillaient pour des boîtes de production, dans les médias, et qui m’ont demandé de faire de la musique pour des films institutionnels ou pour des pubs. C’est comme ça que ça a commencé, avec beaucoup d’aléas.

Comment en êtes-vous arrivé à La Mécanique de l’ombre ?

Thomas a écrit ce long-métrage sur une longue durée. Il est très mélomane et nous avons des goûts proches. Il avait fait un court-métrage auparavant  [Rétention en 2012, NDLR] dont j’avais fait la musique. En général, j’ai beaucoup de mal à montrer ce que je fais, je suis assez réservé. À l’époque, peu de gens savaient ce que je faisais, même mes proches. Thomas a aimé la musique pour son court-métrage, et il m’a demandé de travailler sur son long.

Comment avez-vous composé la musique ?

La Mécanique de l’ombre a mis beaucoup de temps à se monter, donc on a eu du temps pour réfléchir à la musique et tester plusieurs idées. J’avais trouvé un thème un peu étrange, avec du Cristal Baschet. Thomas avait été surpris, ce thème lui plaisait. Il n’en n’était pas certain pour le film, mais avec le temps il s’est imposé. Il y a un côté sériel, répétitif, qui allait bien avec l’état d’esprit du personnage de François Cluzet. Cela s’est fait au montage, il a fallu une certaine maturation. J’aime bien aller un peu plus loin que le système narratif, c’est ça qui est intéressant. On met ainsi le spectateur dans une ambiance, et dans un film de cinéma tout court !

Avez-vous participé au montage ?

Non du tout. On en parle avec Thomas, mais c’est lui et son monteur qui décident. Parfois, je peux défendre certaines idées.

Le film a bien marché ?

Correctement et il a eu un succès d’estime. La musique a plu et j’ai eu des retours positifs. J’ai été surpris par cet accueil, et on m’a contacté pour d’autres films. Burn Out était déjà dans les tuyaux.

Quelle a été votre approche sur ce film ?

C’est un score très électro que j’ai envisagé comme un exercice de style. J’ai travaillé ensuite sur Los Perros (2017) et Une intime conviction (2018). À cette époque, je suis rentré dans une agence de compositeurs, ça a changé ma manière d’appréhender les choses. Il faut aller vers les autres, je ne suis pas très doué là-dessus, donc le fait d’être dans cette agence a changé beaucoup de choses. 

Comment combinez-vous les instruments classiques avec la musique électronique ?

Je n’ai pas de recette et ne me pose pas la question, je mélange et ça se fait naturellement. J’adore les vieux synthés, je joue et certaines sonorités s’imposent. Certains sons de synthé des années 60-70 fonctionnent bien avec les violons. Je mélange et parfois cela ne marche pas, je cherche.

Quelle a été votre approche sur Les Promesses ?

Ça a commencé avec le scénario, j’ai suivi toute la construction du film. J’avais déjà produit des choses avant le tournage, qui ne sont pas restées. En gros, ce qu’on entend dans le générique de début a été trouvé pendant le montage.

Avez-vous une approche thématique par personnage ?

On en a parlé avec Thomas, mais ça ne s’est pas fait comme ça. Le scénario était brillant mais par endroits assez technique. Au départ, je ne savais pas trop, mais j’avais envie d’être plutôt macro que micro. L’envie de trouver, de donner une cohésion d’ensemble, ainsi qu’un peu de chair romanesque. Puis, il y a eu un élément déclencheur, j’ai revu Chinatown [réalisé par Roman Polanski en 1974, NDLR], avec la musique inimitable de Jerry Goldsmith et surtout le Love Theme avec sa trompette. Il y avait un souffle, quelque chose qui emportait. Ça m’a inspiré. Et pour Les Promesses, je me suis focalisé sur le vent, j’avais un tableau en tête, et j’écoutais pas mal de George Gershwin, notamment Rhapsody in Blue. Il fallait du souffle, un geste musical, un trait qui fasse office de thème et pour moi, c’était ce portamento au violon. Il fallait quelque chose de simple, trouver une identité. En général, je n’aime pas trop illustrer. Je préfère évoquer, aller un petit peu à côté.

Le compositeur Mark Isham a déclaré un jour :  « La vraie place de la musique que je crée pour le cinéma, c’est le film, pas le rayon bandes originales des disquaires. » Seriez-vous d’accord avec lui ?

Pas du tout ! Si la musique peut se suffire à elle-même, c’est mieux ! Il y a des musiques qui ne s’écoutent pas sans le film, mais de là à en faire une règle. Quand c’est juste une musique fonctionnelle, cela n’apporte pas grand-chose au film. Le but de la musique, c’est de montrer une autre facette d’un personnage par exemple, un supplément d’âme. Quand on va un peu plus loin, quand on dépasse le cadre du film, souvent la musique reste et on peut l’écouter indépendamment.

Au cinéma, depuis déjà pas mal d’années, on a abandonné l’approche thématique pour une approche plutôt bruitiste, notamment à cause ou grâce à Hans Zimmer. Où se trouve la frontière entre musique et effets sonores ?

Il y a toujours du thème ou de la mélodie, notamment dans les séries. Et certains bruits sont beaux. Le sound design, ça peut marcher dans un film, dans la BO de Burn Out, par exemple, il y en a beaucoup. Je ne suis contre rien, tant que cela fonctionne pour le film, je n’ai pas d’a priori. C’est quand c’est systématique que ça pose problème. Pour ma part, j’aime l’approche thématique, mélodique, j’adore cette vieille école.

Vous avez travaillé avec l’orchestre ?

Tout à fait, pour Les Promesses, on avait 22 musiciens, mais ce n’est pas moi qui dirigeais.

Donc, vous n’avez pas fait les orchestrations ?

Aujourd’hui, on travaille avec un séquenceur, on fait des maquettes. Je joue et ensuite, je donne mes partitions numériques à un orchestrateur qui va les transformer en partitions papiers, distribuer, arranger la musique au sein de l’orchestre. Que l’on soit autodidacte comme moi ou pas, c’est souvent comme ça que cela se passe, il y a un orchestrateur qui vous aide, prend le relais. Cette étape-là est assez vertigineuse, voir la musique prendre vie, se concrétiser…

Après il y a un travail de montage ?

Oui, un travail d’editing dans lequel on reprend les prises sonores, on corrige si besoin. 

Quels sont les compositeurs qui vous ont influencé ? 

Pas particulièrement des compositeurs de musique de film, même si j’aime beaucoup François de Roubaix, dont on parlait tout à l’heure. C’est toujours difficile de mesurer ses propres influences. Mais pour moi ce qui a été important c’est le jazz et la guitare. Mais aussi Gershwin, Gill Evans, Ravel, Debussy, Henri Dutilleux, Satie. Quand on va aux racines de ce qui nous a plu en musique de film, on trouve plein d’autres choses. J’aime beaucoup Howard Shore, notamment son score pour Crash [réalisé par David Cronenberg en 1996, NDLR], son travail sur la guitare. C’est un compositeur éclectique et surprenant. J’aime aussi Cliff Martinez, sa musique pour Solaris [réalisé par Steven Soderbergh en 1996, NDLR] est phénoménale ! 

Aujourd’hui, dans les médias français, la musique de film est la dernière roue du carrosse, comment expliquer ça ?

Tout le monde s’en fout ! En France, nous sommes mal lotis, c’est un peu moins vrai dans les pays anglo-saxons. Je trouve ça dommage. Ici, c’est une affaire de spécialistes. Il faudrait que la profession la reconnaisse davantage. À Cannes, il n’y a pas de prix officiel ! Il y aurait sans doute des choses à faire pour la valoriser.

Quels sont vos projets ?

En ce moment, je suis en train de faire une série pour Netflix et un documentaire, qu’on verra cette année.


Propos recueillis et édités par Jean-Christophe Manuceau pour Le Bleu du Miroir